Qui eut cru que des murs pouvaient décider d’une carrière ? Il s’agissait peut-être des murs d’un château, mais aussi riches paraissaient-ils, même aux regards humbles, ce n’était encore que des murs. Pourtant, c’est après avoir passé quelques jours entre ces murs que Risako avait choisi de devenir stratège. Elle avait dès lors demandé audience auprès de son seigneur…
Parée avec soin, le Haori des capitaines couvrant toutefois ses épaules, Risako avançait d’un pas sûr, parcourant les mêmes couloirs qui avaient décidé de son sort, bien que ce dernier se trouvait en vérité entre les mains de Nezumide Aoi. Elle allait ce jour-là convaincre son seigneur de la recruter en tant que stratège, et par la même occasion, mettre fin à ce principe qui disait que le rang d’une femme ne pouvait se permettre de transcender celui de son mari. Risako en était d’ailleurs assez inquiète, ce qu’elle s’apprêtait à commettre pouvant mettre à mal sa popularité de manière durable. Cependant, malgré son sexe et malgré son jeune âge d’il y a quelques années, elle avait été promue capitaine. Et une femme sans ambition ne pouvait se permettre de mener des hommes.
Plus un doute ne gênait son esprit lorsque la porte de la salle des audiences se trouva dans son champ de vision. Il n’était plus temps de réfléchir, désormais. Il fallait agir. Risako devait à tout prix montrer à son seigneur son énergie et sa motivation. Après que la jeune femme ait retrouvé sa sérénité et alors qu’elle faisait face à la porte à quelques mètres d’elle, une servante la rejoignit et l‘escorta à distance raisonnable du seigneur après que la guerrière lui eut confié ses armes.
Risako se prosterna jusqu’à ce que son front touche terre. Ce ne fut que lorsque le daimyo l’invita à se redresser et à parler qu’elle s’exclama d’une voix claire et posée: « Mon seigneur, soyez assuré que je me présente devant vous par intérêt pour mon clan. »
Elle avait relevé la tête, et se tenait droite sur ses genoux tandis que son regard, sans crainte, se posait sur l’épaule de son supérieur par déférence envers celui-ci. Risako poursuivit:
« En effet, alors que Nezumi voit profiler une guerre qui opposera l’Est à l’Ouest, je voudrais me proposer en tant que stratège. Majesté, vous voyez certes devant vous la veuve du capitaine Takahara Kidô… »
Veuve, elle détestait ce mot. Pourtant, elle l’était, du moins au yeux du seigneur. Il fallait à présent qu’elle s’en rende compte. Cependant, le capitaine ne se laissa pas ciller. Elle espérait que si, par hasard, Kidô était mort et enterré, il ne viendrait pas la hanter jusqu’à sa mort pour un tel manquement au code. Ô Kamis, donnez moi la volonté et l’éloquence !
« …mais je porte, tout comme mon feu mari, les armes et j‘ai également reçu une éducation militaire. Je serai comblée, Nezumide-sama, si vous ne vous arrêtiez pas à ce que je viens de vous confier. Permettez-moi, seigneur, de vous conseiller, puisque vous, votre clan et moi, avons à y gagner. »
Ces propos furent suivis d’une première courbette respectueuse. Et alors qu’elle fixait le sol pendant une demi-seconde, Risako se sentit mal. Il fallait dire que dans ce discours, elle misait beaucoup, énormément, même. Nezumide Aoi pourrait très bien ordonner son exécution sur le champ, persuadé qu’elle en avait bien trop fait pour une femme. Et quel serait alors le sort de son fils ? Face à son seigneur, sans toutefois chercher à le défier, Risako se permit de continuer :
« Majesté, sauf votre respect, il me semble que Nezumi ne comporte pas encore de conseillers dans ses rangs. Bien sûr, je ne compte pas Hazama Mitsuko qui est notre Grande Prêtresse. Mais vous conviendrez qu’une prêtresse, aussi gradée soit-elle, ne peut vous soutenir que de l’avis des Kamis. Jamais ceci ne pourra vous dispenser de l’avis éclairé -et disons le, plus humain- d’un Général ou bien d’un Stratège. »
Risako n’aimait pas non plus diminuer ainsi sa sœur de cœur, celle qui l’avait accompagnée durant ses jours sombres, alors qu’elle venait de perdre son mari et son grade. Elle savait que Mitsuko était intelligente et savait réfléchir, mais après tout, elle était Grande Prêtresse, et si elle avait à parler à son supérieur, elle ne pouvait que parler avec la voix des Kamis.
Le capitaine reprit son souffle, un souffle calme et régulier similaire à celui que la jeune femme prenait quand le sang coulait. Cette respiration si particulière lui assurait de garder son calme devant toute sorte d‘épreuve. Et c’est en ne quittant pas des yeux l’épaule de son daimyo qu’elle reprit:
« Seigneur, cela peut vous paraitre ridicule, mais c’est en vivant dans votre château que m’est venue l’idée de devenir stratège. Il faut l’avouer, je ne suis que capitaine, et même si cela est inespéré pour une femme du clan Nezumide, je suis seulement capitaine. Vous m’avez fait un immense honneur en m’offrant des appartements et un modèle masculin pour mon fils en manque de père. C’est à mon tour de vous rendre la pareille, du mieux que je peux. Si toutefois, vous le voulez bien. »
Deuxième courbette. Mais Risako se redressa bien vite. Il ne fallait surtout pas que son seigneur prenne de travers ses propos et la juge pédante et sans véritable vertu.
« Ne vous offusquez pas, Nezumide-sama. Je ne veux surtout pas vous paraitre arrogante. Je sais que les minutes que je passe devant vous n’appartiennent qu’à vous. Sachez tout de même que j’ai été nommée capitaine à dix-sept ans, pour le redevenir à vingt-quatre après la naissance de mon fils et la disparition de mon mari. J’ai maintes fois accompli mon devoir, jusqu’à sauver votre fief des monstres et des flammes tout récemment. Je viens également d’acquérir le don divin des Hauts Nezumide. »
Il s’agissait de Shinken, Lame Divine, ce don avec lequel on pouvait trancher le métal et la chair à distance. Il était connu pour ne venir qu’à quelques élus du clan Nezumide, à ceux qui sacrifiaient leur existence aux leurs au sein de la protection de Tachigami et qui avait gagné son soutien. Les Stratèges, les Chefs de Guerre et les Seigneurs l’avaient d’office. Mais pour ce qui était des capitaines…Devait-elle prendre cet évènement comme un signe ? D’autant plus, que lors d’un de ses rêves, les enfants du Kamis lui avaient adressé la parole.
« Seigneur, pour avoir travaillé des années au sein de votre armée, je connais ses forces et ses faiblesses. Et je serais ravie de vous soutenir quotidiennement pour tout ce qui touche de près ou de loin au clan auquel j’appartiens. Je peux vous assurer que celui-ci ne manque pas de bons éléments pour remplacer un capitaine devenu stratège. »
Risako se courba une nouvelle fois. Il y avait là tant de pensées non prononçables. Il fallait dire que la jeune femme n’était plus innocente depuis longtemps, et ses joues prenaient une légère teinte rouge quand elle songeait à son envie de revoir Kidô, même loin de sa ville natale.
« Alors, Majesté, je voudrais que vous me fassiez stratège. Ne vous fiez pas à ce que vous avez vu de moi le premier jour où vous m’aviez convoquée. Il ne s’agissait que d’une mère apeurée par ce qu’allait devenir son fils. Et puisque vous êtes seigneur, vous devriez savoir qu’une mère aimante et avisée, quoique rompue au combat, vaut mieux qu’une brute pressée d’aller en guerre, dans le but de préserver la vie de vos hommes, vaincre vos opposants et ceux qui vous font de l’ombre… »
Suigyuuku. Si Nezumide Aoi décidait un jour de les attaquer, elle ne pourrait que le soutenir. En veillant tout de même à ce que cette vengeance soit assez réfléchie pour qu’elle ne tourne pas au cauchemars. Risako, un doux sourire sur ses lèvres purpurines, se prosterna plus longuement, cette fois.
« J’ai terminé, Seigneur. Merci de m’avoir écoutée jusqu’au bout. Cependant, doutez-vous que mon sort, quoiqu‘éternellement entre vos mains, ne l’a jamais été autant qu‘à présent. »
Etait ce une journée particulière ou une de ces banales et grotesques journées qui se suivaient ? La nuit avait été froide, courte, les pensées ailleurs, le temps morrose et la concentration sur des faits bien plus important qu'une simple matinée qui s'éveillait à lui. Aoi n'avait que faire de ce qu'il entendait, le coeur déchiré entre deux solutions à offrir à son clan... La discipline et la guerre, ou la vengeance et la fourberie. L'un et l'autre pouvaient tenir dans une même main, dans un même temps, un même clan, et pourtant ce n'était en aucun cas une décision aisée à prendre.
Fidèle à ses habitudes, il s'était longuement préparé le matin, de bonne heure, pour profiter de la fraicheur et de la rosée sur les fleurs et feuilles encore entières et vierges de toute blessure. Le futur devenait incertain pour tous, même s'il savait qu'il n'y avait que peu de chance pour que des clans disparaissent complètement de la surface du globe... Non, les dirigeants et têtes pensantes préféraient bien souvent se soumettre en sentant la défaite arriver, plutôt que de mourir dans l'honneur. Une façon de préserver le peuple probablement... Exercice difficile que d'être à la tête d'une armée, à la tête d'un clan, d'une famille... Le bon sens poussait les hommes à mourir dans l'honneur, l'épée à la main, en combattant, et non à s'offrir une vie de servitude pour ses propres ennemis.
Qu'est ce qu'un homme pouvait décider de l'avenir de tout un clan ? Lorsqu'il fut prêt, étirements et repas pris dans le calme le plus total, un soldat vint lui annoncer que le Capitaine Risako désirait s'entretenir avec lui... Voulait elle lui faire perdre son temps en ces temps de crise ? Il congédia l'homme en acceptant, après tout ce n'était que quelques minutes, et au pire il l'enverrai faire deux ou trois corvées au château pour l'avoir dérangé sans but précis ou intéressant...
Il n'eut d'ailleurs pas longtemps à attendre avant que cette dernière ne fasse son apparition dans la salle où il se trouvait. Assis sur des coussin, jambes croisées, il la regarda s'avancer sans se relever ou marcher à sa rencontre, puis inclina très légèrement la tête quand elle marqua le signe de respect qu'elle lui devait... Les premières paroles le firent bailler très discrètement, et plus elle continuait plus cela semblait interminable... Quelle idée d'avoir accepté à ce qu'une femme use de son temps ! Il n'écoutait que des bribes de discussions, de ce qu'elle avançait, un mot sur deux voire moins encore... Il la détailla courtement, avant de remettre dans l'ordre les bouts de phrase qu'il avait compris...
Mon seigneur, soyez assuré que je me présente devant vous par intérêt pour vous. Veuve du capitaine Takahara Kidô, je serai comblée, Nezumide-sama de vous soutenir quotidiennement. Vous m’avez fait un immense honneur en m’offrant des appartements et un modèle masculin pour mon fils en manque de père. C’est à mon tour de vous rendre la pareille, si toutefois, vous le voulez bien. Alors, Majesté, je voudrais que vous me fassiez mère aimante et avisée dans le but de préserver la vie. J’ai terminé, Seigneur. Merci de m’avoir écoutée jusqu’au bout. Cependant, doutez-vous que mon sort, quoiqu‘éternellement entre vos mains, ne l’a jamais été autant qu‘à présent.
Aoi ouvrit ses lèvres sans émettre un seul son... Venait il vraiment d'entendre ce qu'il semblait avoir entendu ? Secouant lentement sa tête de gauche à droite puis de droite à gauche, il croisa ses bras sur son poitrail avant de se gratter le menton entre trois de ses doigts..
Risako chan, je me dois de vous avouer que vous me surprenez et me mettez dans un certain embarras quant à votre demande... Je n'ai encore songé à vrai dire à prendre épouse et obtenir une descendance qui puisse prendre le relai Nezumide une fois que...
Il se mit à repenser à la guerre, puis se reconcentra sur la femme qui lui faisait face.
Sachez toutefois que vous m'honorez de cette demande, mais que les temps ne se prêtent guère aux festivités et aux évènements de ce genre. Ne prenez point ce refus comme une offense je vous prie... Je ne puis vous répondre qu'une chose, attendons la fin de cette guerre et peut être si les kamis le décident ainsi, je repenserai à votre proposition de vous offrir à moi comme femme. En attendant, vous pouvez disposer, je vous ferai apprêter une nouvelle monture, le plus beau destrier du clan, pour vous témoigner mon affection.
Il esquissa un sourire, qui se faisait assez rare ces derniers temps, puis posa une main à terre pour se relever.. Peut être avait elle des choses à ajouter pour le convaincre qui sait, pour ça que ses gestes devenaient plus lents, bien trop curieux de connaitre la suite et jusqu'où elle était prête à aller.
Il ne fallait pas en attendre beaucoup d’un seigneur. Cet être ingrat pouvait si facilement manquer de respect envers les petites gens de son peuple. Et il n’y avait personne pour le châtier pour son arrogance. A part les Kamis.
On l’aurait deviné; Risako avait très mal pris la non-écoute de la part de son seigneur alors qu’elle s’était tant donnée pour le convaincre. Ce petit air surpris, ce « -chan » moqueur, ses paroles qui ne voulaient absolument rien dire, sans substance, sans cohérence, la faisaient rager. Il fallait l’avouer, il jouait fort bien le malentendant. Et cet irrespect dont il avait fait preuve en baillant alors qu‘elle parlait…
Elle se remémora un instant la proposition matrimoniale qu’il avait faite à Shuhei quelques jours plus tôt alors qu’il ne connaissait rien de l’histoire de la jeune femme. Et elle en vint à sérieusement se demander si Aoi prenait un malin plaisir à la tourner en ridicule. Il devait voir en elle une poupée douce et naïve, surtout naïve. Une de celle dont l’on se rit avec pitié et délectation. Dans ce sens, que pouvait-il attendre d’elle ? Il fallait qu’il se rende compte qu’il avait un capitaine devant lui !
Aussi rouge qu’une pivoine, Risako avait très chaud et sentait la migraine lui monter au crâne. Quelle poisse ! Pourquoi rien n’était aussi simple qu’elle l’aurait tant voulu ? Son doux sourire s’était bien sûr évanoui pour laisser place à un léger froncement de sourcil courroucé. Cette envie qu’elle avait de gifler son seigneur…
Ce fut lorsque le seigneur s’apprêta à se lever qu’elle remarqua qu’il attendait bien quelque chose. Ses gestes peu naturels lui firent aussi deviner qu’il n’avait pas pour intention d’attendre indéfiniment. Mais Risako ne bougea pas d’un pouce. Bien ancrées sur ses genoux, elle lui faisait face. Et sa façon de se tenir, tel un roc dans la tempête, n’avait pas la même aura que tantôt.
« Si cela vous fait tant plaisir, seigneur… » répondit-elle, glaciale. « Mais vous ne m’avez pas bien saisie. Je veux devenir stratège. »
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