Quelques jours étaient passées depuis qu’Ayumu avait découvert la ville de Saru aux détours d’une chasse. Depuis, la petite sauvageonne ne cessait de s’émerveiller dans cet immense terrain de jeu où elle pouvait chasser et observer à loisir la curieuse espèce humaine. Elle qui n’avait jamais cru pouvoir vivre en harmonie avec les humains, bondissait tranquillement de branches en branches sur les arbres de Saruha.

Malgré une discrétion indéniable, les plus observateurs l’avaient découverte dérobant de la nourriture de ses petites pattes agiles, chassant ci ou là les oiseaux et les rongeurs qui s’aventuraient assez près de la ville, ou bien, sur une branche et sous les feuillages, en pleine sieste, lorsque le soleil tapaient les citadins de toute la force de ses rayons. Pourtant, personne ne lui avait encore chercher des noises, et le pays, bien loin des panoramas frais, gris et montagneux de Suigyuu lui offrait un dépaysement total. En outre, tout se passait bien dans le meilleur des mondes.

Seulement, pour survivre au-dessus de l’animation d’une ville bondée comme Saru, il fallait pour la petite sauvageonne, qui n’avait pour l’instant pas le cœur de retourner à la forêt, soigner ses petits stratagèmes de jeune voleuse. Pas que les Saruha soient les plus violents des hommes, mais il fallait toujours être prudente quand on se livrait à ce genre d’activité dans une grande ville. Après tout, les gardes ne sont jamais loin.

Ce soir, sa victime serait une jeune femme au visage étrangement familier, selon la jeune fille. Cette femme, Ayumu l’avait croisée plusieurs fois sans pour autant beaucoup s’y intéresser. Mais ce modeste détail avait suffi pour que la petite sauvageonne la choisisse comme victime. Elle se réjouissait, en fait, de la voir assise dehors, attablée, prête à dévorer un bon repas, et surtout du poisson. La jeune Suigyuuku avait adoré le gout du poisson dès la première fois qu’elle en avait gouté. Dans les montagnes, à l’intérieur des terres, c’était un met plutôt rare, et la maladresse de la petite sauvageonne faisait qu’elle avait encore du mal à en pêcher sans que la créature ,humide et frétillante, ne file entre ses pattes.

La jeune fille surveillait ainsi ce qui allait faire son repas d’un soir à partir d’une solide et haute branche d’arbre. Elle descendit à pas de loup, bien que les feuilles tombaient et les branches craquaient sous son poids. Sa cible, le plat au délicieux fumet, trônait sur un coin de la table de bois. Si elle se débrouillait bien, elle pourrait dérober ce met juste en tendant le bras, et ce, sans même que la jeune femme ne s’en rende compte. Ayumu entama alors cette besogne, et alors qu’elle se penchait et s’étirait au maximum pour atteindre l’objectif, la branche s’abaissa et craqua une deuxième fois. Finalement, cette dernière n’en put plus, le bois lâcha. Et voilà que la petite voleuse chuta, se cogna la tête contre le coin de la table, faisant tomber et se briser le récipient qui accueillait de son vivant les succulentes brochettes.

Retrouvant ses esprits, la petite sauvageonne jeta un coup d’œil à la jeune femme dont elle avait gâché le repas, et ni une ni deux, plongea du museau sur le poisson à même la terre pour en dévorer le maximum. Elle aurait une vilaine bosse au front, et certainement des ennuis. Mais si elle pouvait gouter un peu de poisson, tous ses problèmes en vaudraient bien la peine.

Spoiler:

Décidément, Ayumu se trouvait bien maladroite ces derniers jours. D’abord, un Tanuki lui avait mordu le nez dans une bagarre, ensuite, elle était tombée et s’était cognée la tête sur un coin de table. Et cela faisait affreusement mal ! Alors que le délice fondait encore dans sa gueule, qu‘elle terminait sa dernière bouchée, la petite porta ses pattes avant et frotta, frotta, frotta sur le douloureux impact pour ne pas avoir de bosse.

On aurait dit qu’elle était alors sans crainte et sans soucis. Et c’est lorsque celle qu’elle avait volée lui effleura l’épaule que l’enfant déglutit difficilement et paniqua. Les yeux grands ouverts, tous les sens en alerte, elle recula de deux ou trois pas maladroits pour réfléchir. La jeune femme lui faisait face et l’assiette brisée entre elles deux ne comportait plus que du bois. Que faire ?

Si elle avait réagi, c’est qu’elle lui en voulait. Assurément. Un humain devient dangereux dès lors qu’on lui vole un de ses biens, puisqu’il prend ceci comme une agression caractérisée. Il en valait de même pour les animaux, mais certains savaient partager avec plus petits qu’eux. Et il suffisait souvent de fuir pour qu’ils vous fichent la paix. Justement, la petite sauvageonne allait prendre la poudre d’escampette quand elle fut surprise par un geste plutôt inhabituel.

En effet, la jeune femme, celle-là même a qui elle avait dérobé et gâché le repas, elle commandait une nouvelle assiette de poisson pour…elle, la sale petite voleuse ? Ayumu ne savait comment interpréter cet évènement inattendu. En y réfléchissant bien, peu importe ses bêtises, les humains qu’elle avait croisé depuis son départ de Suigyuu lui proposaient toujours à manger ou faisaient preuve de duplicité. Ce ne pouvait être que louche…Que manigançaient-ils, encore ?

La jeune femme lui demanda son nom. La petite sauvageonne le lui donna tout innocemment:
« Ayumu. »

Mais c’était surtout pour vérifier ce qui allait se passer ensuite. A sa posture, on pouvait voir qu’elle était tendue, accroupie et repliée sur elle-même, de façon à pouvoir esquiver les coups éventuels et de fuir à travers la ville. Après tout, un humain pouvait l’appâter comme il le souhaitait avec du poisson, pour ensuite la frapper à loisir alors que son attention était toute dédiée à son nouveau repas. Et puis quelle serait la réaction du responsable du petit restaurant quand il verrait le pot cassé ?

Le deuxième récipient plein de brochettes de poissons arriva. Ayumu, toujours retranchée sur elle-même, avait bien du mal à résister à ce cadeau qui lui tendait les bras. Pourtant, l’humaine devant elle n’avait pas l’air agressive et demandait même à faire connaissance. Elle disait s’appeler Ayumu également, la sauvageonne ne put s’empêcher de trouver ce détail assez bizarre. Quoi ? Une deuxième Ayumu ? Pourtant, elle ne lui ressemblait pas.

Ayumu avait pris l’habitude que les humains l’appellent ainsi, mais elle ne devinait pas à quoi ce nom servait. Elle ne savait même pas pourquoi on l’avait affublée d’un nom. Peut-être pour l’identifier parmi les humains ? Mais alors, pourquoi existait-il une deuxième Ayumu ? Parce qu’elle était comme elle ? Quelque chose pouvait-il les lier d’une manière ou d’une autre ?

Délaissant son assiette, la gamine intriguée scruta la jeune femme, tourna autour d’elle, l’examina sous toutes les coutures. Il s’agissait bien d’une humaine, donc, elle ne lui était pas semblable. Elle ne marchait pas comme elle, ne portait autre odeur que celle des humains, ne savait pas miauler, ne devait pas se toiletter dans les règles de l‘art. La petite sauvageonne revint à sa place, tous les sens en éveil.
Quelle curieuse chose de s’appeler Ayumu et d’en rencontrer une autre.

Son interlocutrice, resserrant les pans de son kimono, lui demanda où est-ce qu’elle avait passé l’hiver. Mais la gamine ne répondit pas, comme à sa précédente question. Après tout, elle ne connaissait pas cette inconnue et lui donner trop d’informations pouvait s’avérer dangereux, même si elle s’appelait Ayumu, comme elle. Au lieu de cela, elle se mit debout pour prendre l’assiette de ses deux pattes, marcha jusqu’à la table pour se blottir sous elle et manger tranquillement. Si la jeune femme venait la chercher, elle aurait sûrement moins d’aisance à se mouvoir. De plus, la jeune fille pouvait entendre distinctement tout ce qu‘elle lui disait.

Bien qu’elle ne lui répondait toujours pas, la jeune femme prénommée Ayumu lui adressait encore la parole. Cette fois-ci, elle lui proposa sa compagnie pour retourner à Suigyuu et lui promit un toit et de la nourriture. C’était louche, très louche. Mais la petite se trouvait tout de même attirer par l’offre. Après tout, la jeune femme mangeait du poisson contrairement aux religieux. C’était alléchant, à condition qu’elle la laisse se promener quand bon lui semblera.

« C’est la maison des Ayumu ? Si Ayumu y habite, elle pouvoir sortir quand elle le vouloir ? » demanda la gamine, d’un ton qu’elle voulait agréable.