Un matin comme tant d'autres, où brillait un soleil à demi camouflé par de fins nuages. Les rayons transperçant cette couche légère et se déposant non sans grâce sur le visage d'un jeune homme tiré du sommeil trop tôt. La légère brise caressait son épiderme de façon à ce que la chaleur ne le brûle pas, non sans interdire une certaine teinte de peau, plus noircie qu'à l’ordinaire. Qu'il aurait été agréable de rester ainsi, allongé sur les tuiles d'un toit qu'il ne connaissait que trop bien. Depuis les derniers évènements, le jeune Teruo n'aspirait qu'au repos, à l'entente cordiale et à l'accumulation des présents offerts en récompense de sa bravoure légendaire. Bien que légèrement extrapolée, son aventure et son combat contre un Gorille Géant particulièrement enclin à détruire le village avait suscité une vive réaction. Il restait l'idole des jeunes paysans, et le héros des plus vieux. Qu'un homme tel que lui reçoive sa part de gloire d'une telle façon ne laissait présager qu'une chose : Le monde changeait, petit à petit, et nul doute que le moindre petit être rêvassant au creux d'un toit usé pourrait faire pencher la balance plus tard. En attendant, il s'agissait de retrouver des forces inutilement perdues dans des concours de boissons.

Non avide mais possédant un certain intérêt nouveau pour les problèmes du quotidien, le jeune chef de guerre prenait soin de s'informer des diverses rumeurs circulant aux alentours du village. Aussi, il lui est arrivé de sauver un chaton en détresse ou de retrouver les poules d'un Grand Père aux aboies, perdues à travers tout un village. Si certaines de ces quêtes menaient à plus d'une récompense, jamais il n'en accepta. Jouir de sa belle vie aux frais du seigneur restait le meilleur possible, et n'en changer ne serait-ce qu'un terme serait un risque trop grand, du moins d'après ses pensées pessimistes. Aussi il refusa un drôle d'objet après avoir pourfendu le Dragon millénaire - Sanglier Huilé - du coin. Un instrument de musique, sans aucun doute, qui d'après la légende lui permettrai de voyager au travers même du temps. Il semblerait, au gré des rumeurs, qu'un jeune lutin vert prit possession de l'objet en question après le refus de Teruo, arguant prétextes en tous genres. Il semblerait que dans un futur imaginaire, un lutin vert aux oreilles pointues partira à la recherche d'une certaine 'Triforce' via le pouvoir d'un Ocarina du temps. Ce que les gens peuvent penser ... Bientôt, un moustachu sauvera une princesse d'une tortue maléfique en sautant sur des champignons. "Où va le monde" pensa-t-il une dernière fois, avant de retourner se dorer la croûte au soleil.

Les récentes rumeurs faisaient état de jeunes garçons disparus près d'un palais abandonné. Non que les enfants soient une priorité, mais les récents projets du Chef de Guerre Ryuuji l'incitait à aller voir ça de plus près. En effet, dans sa lubie, le jeune homme cherchait certaines pièces coûteuses pour en faire dieu sait quoi. La simple recherche de ces pièces restait une aventure comme une autre, et Teruo voyait d'ici l’œil intéressé de son cupide seigneur, dont on distinguait en son fond une pièce de monnaie. Nul doute que l'Okane no Tensai, Seigneur débutant, ferait bon usage d'un si inestimable magot. Restait à savoir si le palais en question n'avait pas déjà été pillé, mais il est de notoriété publique que chaque palais dispose de quelques chambres aux trésors cachées à l'insu de tous, et quoi de mieux qu'une recherche de passages secrets pour passer au mieux une après midi riche d'un soleil que trop présent. Aussi, rassemblant quelques outils et vêtements dans un baluchon suspendu au fourreau de son arme balancé entre sa main et son épaule, le jeune homme prit la route vers le Nord-Ouest, quittant une Ryuu en reconstruction et prêt à en découdre avec les ennuis. Car au vu de sa chance, nul doute que c'est ce qu'il trouverait. Préférant laisser son seigneur à ses travaux, il partait seul, et ce même s'il pouvait mourir d'une chute à travers un pont trop peu consolidé. Espérons seulement que sa légendaire mauvaise étoile ne croise personne sur sa route, sans quoi la pauvre âme en ressortirait traumatisée, si toutefois la mort n'est pas au rendez-vous.

Quelques jours auront suffit à rejoindre Shuho, région qui abriterait le dit palais ou temple abandonné. Abandonnant les sentiers, voilà que le guerrier s'entourait de la nature même, pourfendant quelques petits animaux de passage pour s'en faire un casse-croûte bien mérité. Manquant de chance mais certainement pas d'esprit, le jeune homme s'était frayé sans mal un passage à travers l'Hinomoto, mais sans but bien précis, comment continuer à avancer ? Sa quête n'avait pas même débuté qu'il se trouvait à demi perdu dans une région qu'il ne connaissait que trop peu, prêt à tout mais disponible pour rien. Restait à espérer qu'une jeune âme innocente guide le maître guerrier jusqu'au lieu de sa formidable aventure. Et si jamais il trouvait les enfants disparus en chemin, pourquoi ne pas en plus toucher la prime pour leurs retrouvailles, si jamais une telle prime existait. Ajoutant du bois sur le feu jusqu'à ce que ce dernier devienne un brasier repérable à des lieues d'ici, il s'allongea à même le sol, la tête sur son baluchon, prêt autant à se défendre contre un intrus indésirable qu'à s'endormir comme une masse à la lueur des flammes. Quelques instants plus tard, voilà que la réponse se dessinait à travers le silence, offrant aux alentours le son de ses ronflements ...

Un bâillement s'étouffa dans la gorge de Shin, synonyme d'un réveil tranquille. Il regarda par la fenêtre ouverte et s'étira de tout son long. Pris d'une soudaine envie de s'extirper de son lit douillet, notre homme se leva d'un bond avant de se diriger vers le sceau d'eau, où il pourra faire sa toilette matinale. Jetant un regard à ses vêtements, il prit néanmoins le temps de les ajuster sur sa personne ; un hakama complétement noir, un harimaki blanc pour lui tenir l'abdomen au chaud, un gilet couleur safran et un dôbuku noir lui conféraient ainsi l'habit parfait du guerrier comme pour montrer au monde sa position sociale. Il opta en ce jour de porter son katana à la ceinture, laissant ainsi ses deux lances reposer sur leur socle et se dirigea ainsi vêtu vers le portillon d'entrée de sa résidence, après avoir chaussé ses sandales dépourvues des traditionnels tabi blancs.

Prenant le tournant de la rue, il tomba sur deux de ses hommes et manqua de renverser l'un d'eux. Leur présence le surpris, car Shin ne s'attendait pas à les voir aujourd'hui, toutefois il semblerait qu'il ai oublié ses tâches de la journée. L'un des hommes avait une carrure massive et petite, tandis que l'autre était plus chétif, et en réalité ce n'étaient pas des guerriers mais des sortes de secrétaire qui semblaient prendre un malin plaisir à lui apporter du travail administratif. Chose tout à fait détestable pour un homme qui ne savait pas tenir en place plus d'une heure.

Suite aux récents évènements survenus il y a quelques jours à peine, voilà que le chef de guerre vadrouilleur s'en était déjà allé. Laissant le frère et la sœur Ondorie se retrouver après autant de temps sans s'être vus, Shin s'était vu donner la responsabilité de reprendre ses tâches quotidiennes, si ce n'était plus. Lui d'un caractère excessivement zélé pour tout ce qui concerne son clan et son Seigneur, ne pu s'offrir le loisir de refuser même si ce travail était ô combien déprimant et lassant. Il se dirigeait vers les nobles des environs de la grande ville d'Ondori dans le but de s'assurer qu'aucune autre attaque - humaine ou surnaturelle - n'était survenue en son absence. Fort est de constater que la puissance militaire dont jouissait Ondorie offrait une bonne protection aux habitants. Enfin la fin de la matinée, mais aucune envie d'approcher plus ne survint quand ils virent la dernière maison dont la propriétaire était réputée sorcière. Cordialités et tout le blabla habituel passés, la voilà qu'elle commençait déjà à se plaindre de tout et de rien - surtout de rien : " Et il fait trop chaud, et mes plants de haricots sont tout desséchés..." Blablabla. Quelle idée de vouloir s'en occuper soi-même, non mais franchement ! Et ce fut à ce moment précis que Shin eut un déclic.
Alors qu'elle l'invitait à prendre le thé, le jeune homme profita qu'elle ait le dos tourné pour prendre la poudre d'escampette, laissant ainsi ses deux secrétaires avec elle, ces derniers le regardaient d'ailleurs avec des regards suppliant de veaux qu'on emmènerait à l'abattoir. Lâchant furtivement "Restez avec elle ou vous serez maudits et votre virilité tombera comme des raisins aussi secs que ses haricots", il disparu au coin d'une ruelle dans un ricanement sinistre.

Profitant de sa fausse solitude, Shin déambulait d'un pas léger parmi les autres passants. Il ne saurait dire combien de temps, mais le soleil était au plus haut dans le ciel parsemé de fins nuages, et sa chaleur commençait à se faire lourde. Ce fut en se promenant la fleur au fusil que le jeune homme en entendit parler. De quoi ? De cette fabuleuse aventure qui lui tendait les bras. Des garçons avaient été portés disparus. Sûrement voir de charmantes demoiselles au village voisin, se dit Shin, toutefois ceux-ci n'étaient encore que des gamins imberbes. Tendant l'oreille à ces racontars, Shin apprit que même des enfants autres que du clan Ondorie s'étaient volatilisés dans les montagnes de Shuho. Ces montagnes, ce fut là-bas que le jeune guerrier livra sa dernière bataille. Et si les enfants voulaient les explorer en quête de glorieux haut-faits ? Cela était compréhensible ; quel garçon du Hinomoto ne l'avait jamais fait ? Toutefois le Chef de guerre décida d'y aller, inquiet par la probabilité de la présence de Yokaï ou Oni. Et puis, il pourrait ainsi échapper à ses deux secrétaires une fois qu'ils auraient réussi à s'extirper des griffes du terrible monstre plaintif.

Il repassa chez lui, en prenant le soin de ne pas être vu par quiconque qui aurait l'idée brillante de le suivre, afin de prendre quelques affaires et de piquer quelques onigiri dans la cuisine. Fin prêt, Shin se mit en route vers la chaîne de montagnes. Il lui fallu tout de même plusieurs jours avant d'y parvenir, jours durant lesquels toutes ses provisions ont été ingurgitées. La nuit était déjà en train de tomber, bientôt on ne verra pas plus loin que le bout du nez. Déambulant sans cesse à la recherche du moindre indice sur les enfants - ou d'une quelconque piste d'animaux à chasser - Shin se retrouvait dans l'obscurité. Quand soudain, la lumière fut ! Serait-ce un banquet de démons ou un Ondorie en auto-combustion ? Peut-être tout simplement les traces qu'il recherchait. Ou rien de tout cela à la fois. Quoiqu'il en soit, le jeune homme s'y approcha non sans rester sur ses gardes, tiraillé par une faim naissante.

Là, un homme d'un vingtaine d'années gisait sur le sol, la tête reposée sur un baluchon. Était -il mort ? Était -il comestible ? Erk. A tous les coups il devait être vénéneux ou au premier stade de la décomposition. Quoique son corps pourrait toujours servir à attirer d'éventuels prédateurs, et là PAF! Jusqu'à ce que le guerrier aperçoive le torse se soulever par la respiration. Un coup d’œil plus avisé sur le visage endormi rappela au chef de guerre quelqu'un qu'il avait déjà pu croiser. Shin jeta un regard à droite. Puis à gauche. Personne. Empoignant son katana initialement attaché à sa ceinture, mais en le laissant dans son fourreau, il entreprit de le tapoter et de le secouer avec un air blasé.

" Oï ! T'es toujours en vie ? "

La musique d'une voix mélodieuse s'élevait dans les airs. Une clarté et une douceur incomparable accompagnait le ton féminin de la chanson, n'offrant aucune autre parole que les simples sons sans schéma portés à bout de langue. Soudain, la sensation de hautes herbes chatouillant le creux de sa main, planant à l'horizontale, voguant tel un navire au rythme des pas, inexorablement attirés, l'un après l'autre, par deux silhouettes sombres en contrebas. La première, une femme, agitait le bras au gré du vent, dans un ralentit qui ne gâchait en rien l'ambiance sonore. La seconde silhouette, s'apparentant à un enfant ou à un nain particulièrement rachitique, n'avait aucune grâce et balançait son bras plus vivement, gâchant autant que possible la peinture présentée. S'il s'agissait d'un rêve, qu'une Valkyrie descende du ciel sur une licorne, dévêtue au possible, et enlève l'enfant pour le jeter dans le cachot le plus sinistre de toute les histoires de tous les univers créés dans tout les temps possible. Ou juste le virer du décors, si ça devenait irréalisable.

Une, deux, trois ... Aucune déesse du Valhala, aucun ermite sorti d'une lampe ni aucun dragon invoqué par plus d'une demi douzaine de boules de cristal n'avait pointé le bout de son nez. Si c'était un rêve, il était désolant. Ramenant vivement sa main chatouillée par la faune à la garde de son épée, voilà qu'il chassait toute magie pour se vautrer lamentablement sur le gamin, kata... Glaive en avant, le pourfendant au passage, avant de produire une roulade digne des plus grand gymnastes et finalement reporter son attention à la sublime créature aperçue peu avant. Armé d'un grand sourire et tentant de déformer son visage pour avoir l'air le plus charmant possible, il ouvrit lentement les paupières, pensant se donner un style follement classe et ...

- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaah !

Un homme ! Doux de physique certes, mais puissant à l'odeur, pensait-il vaguement alors qu'il se remettait de ses émotions, le tout à vive allure, naturellement. De ses songes ne restaient qu'un plus que vague souvenir d'homme en jupe abattant un régicide sous les acclamations d'un public déchaîné. Ce souvenir s'envolait également à mesure qu'il prenait conscience de son environnement. Un homme se trouvait près de lui. Habituellement, il est le premier réveiller, prêt à prendre la poudre d'escampette une fois la certitude que la personne avec qui il venait de partager son lit soit profondément endormie, fut-ce au sein même du palais Ryuuji. Gardant toutefois ses pensées pour lui même, il entreprit de rassembler ses affaires, se séparant de sa couverture pour s'équiper de sa paire de katanas. Se remettant péniblement debout, voilà qu'il oubliait à nouveau tout pour n'avoir finalement plus qu'une chose en tête.

- Hmmm, file moi du Sake Ordonna-t-il finalement au jeune blanc bec fautif du trouble de son sommeil. Repensant au visage de son seigneur lui priant d'essayer de faire bonne impression au reste du monde, il lâcha tout aussi prestement un S'cuze moi non très convaincant mais n'ayant que pour seul but une légère hausse de son estime. Sans doute que le temps de l'introspection viendrait bientôt, et avec la futile pensée à voix haute d'une certaine forme de suicide prisée des guerriers, pensée désignée à voix haute pour savourer l'amertume de la voix des hautes instances du clan Ryuuji le priant de ne rien en faire, bien qu'il n'attendent que ça depuis des années,malgré quelques faits d'armes bien réels qui auront sauvé leurs fesses une bonne dizaine de fois.

Souriant les yeux à demi clos, voilà qu'enfin il débranchait son cerveau pour faire clairement face à son interlocuteur. Bien que jeune, il semblait posséder quelques ressources, si bien qu'il était impossible au rougeoyant réveil humain de cacher sa maîtrise d'armes bien différentes du sabre ordinaire qu'il portait à la taille. Ses mains plus principalement ne le classait aucunement dans la famille des fermiers ou travailleurs habituels. Quant à savoir qui il était, Teruo n'en avait aucune idée et ne voudrait pas le savoir. S'il est arrivé par le passé qu'une dispute de comptoir devienne en quelques jours une guerre entre son clan et une faction indépendante, il s'était juré une fois son arme planté dans le cœur du général ennemi qu'il ne referait plus ce genre d'erreurs. Toute cette histoire avait coûté quelques vies et, plus important, elle avait surtout pioché dans les réserves de nourritures et de boissons. Sans compter l'incendie du lieux des plaisirs, mais là est encore une autre histoire.

- Heu ... Je suis à la recherche d'une bâtisse sensée être hantée. Il semblerait que de jeunes enfants aient eu quelques problèmes, et ... Ce genre d'histoire m’intéresse un peu, je dois avouer. Auriez vous une quelconque connaissance de ce lieux ou, peut être, une certaine conscience de la géographie ? Les étoiles, le vent, tout ça ... je n'y comprends pas grand chose. L'orientation n'est pas tout à fait mon domaine d'expertise.

Waw, ce qu'il parlait. Rarement le désormais légendaire Reiya Teruo se déliait la langue, d'autant moins pour avouer quelques problèmes le concernant. Mais l'homme lui faisant face avait quelque chose de différent. Presque assez pour forcer le respect, à l'image du Seigneur Ryuuji. Se grattant intérieurement la tête, les rouages de son esprit ne trouvèrent rien susceptible de trahir son identité. Soit, peut être le dirait-il lui même s'il le souhaitait. Après tout, Teruo ne s'était pas présenté non plus. Ah, bah justement ...

- Ah, oui, au fait, moi c'est Teruo. Pas de 'Tete', 'Teru' et encore moins de 'Toto'

Comme quoi il ne faut jamais présumer de rien en ce qui le concerne. Il suffit qu'on dise quelque chose et ... Enfin, l'important restait la non divulgation d'un quelconque grade ou d'une appartenance à un clan ou une faction. A vrai dire, il ne se présentait jamais totalement. Ramenant son popotin à même le sol, il retirait à présent une enveloppe de linge, présentant un gros lapin préservé de la décomposition et d'une partie de l'odeur pouvant amener à rencontrer toutes sortes de charognards. Présentant à tour de rôle son butin et les flammes du revers de la main, voilà qu'il invitait son nouveau compagnon à le rejoindre pour un petit déjeuner, qu'importe qu'ils soient au beau milieu de l'après midi ou au cœur de la nuit.

Le jeune inconnu tendait la main vers le visage de Shin, accompagnant ce geste à un charmant sourire. Des étoiles semblèrent apparaitre autour d'eux, un papillon aux ailes en forme de cœur effleura le visage de l'endormi, et une douce chaleur naquit sur les joues du guerrier Ondorie. Une scène digne des plus grands shôjos avait enveloppé les deux esprits dans une romance irréaliste, aux étoiles dans les yeux et aux bulles de savon dans les cheveux.
Se reprenant subitement, Shin repoussa la main tendue vers lui d'un revers de la sienne, dans l'autre but de réveiller le rêveur.


- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaah !


" Aaaaaaaaaah ! "

La surprise de l'un suscita la surprise chez l'autre, et leurs voix communes se firent écho avant que Shin ne tombe lourdement sur les fesses. Ce dernier le regarda se remettre de ses émotions, rassembler ses affaires et se lever, le tout dans un calme et dans un naturel déconcertants. La suite - enfin les premières vraies - paroles de l'homme fit naitre un rictus sur le visage de Shin. Comme si cela était son genre de se trimballer dans la montagne avec un tonneau de saké autour du cou, et encore plus d'en faire le service ! Calmant ses nerfs et gardant cela pour lui, il lui répondit simplement dans ce sens, avant d'analyser plus proprement l'homme qui se tenait debout face à lui.

Il était de taille moyennement grande et d'une carrure fine, surmonté d'une tête d'idiot ayant encore du sable dans les yeux. Une image, rien de plus, rien de moins. Car Shin cru déceler chez l'homme un certain charisme derrière son visage souriant. Les deux katana qu'il avait pris tantôt aidèrent l'Ondorie dans l'analyse du guerrier, puisqu'en posséder et en utiliser un n'avait rien d'exceptionnel, en avoir deux en revanche était presque toujours réservé aux personnes entrainées. Et avant de mettre mal à l'aise sa nouvelle connaissance, Shin stoppa ses regards jugeurs et se releva péniblement en prenant soin de s'épousseter le derrière.

Il était sur le point de le questionner, toutefois le jeune homme le prit de court et lui expliqua sa situation, ainsi que la raison de sa venue.

" Quelle coïncidence. Il se trouve que la même histoire m'ait parvenue et la curiosité a été ma principale motivation. Enfin pas tout à fait, c'était surtout pour se libérer du travail qu'incombait sa position sociale, mais se garda de le révéler.
Les montagnes de Shuho ne sont pas un endroit sûr, et s'y perdre est si vite arrivé. Nous devrions être au sud d'Ondori, peut-être un peu plus vers l'est. "

Shin se basait sur la route qu'il avait suivi en partant pour avancer de tels propos, mais savoir leur positionnement exact relevait du grand mystère. D'ailleurs, il serait temps de s'en préoccuper. Il s'étonna avoir du mal à retrouver la route alors qu'il se retourna vers l'emplacement où elle devrait se trouver. Basculant la tête en arrière à la recherche d'étoile à suivre, mais de fins nuages n'aidaient en rien la visibilité, et encore moins la reconnaissance.

- Ah, oui, au fait, moi c'est Teruo. Pas de 'Tete', 'Teru' et encore moins de 'Toto' .

Cette subite présentation fit sourire le guerrier, qui eut également le don de reporter son attention sur son interlocuteur. Ainsi donc, soit ce Teruo désirait garder sous sceller son identité, soit il s'en fichait et c'était sorti tout naturellement. Aucune distinction d'un quelconque clan ou même affiliation, toutefois son regard était l'un des plus perçant qu'il lui ai été donné de rencontrer.

" T'aimes pas les surnoms, quoi, répondit-il d'un ton légèrement moqueur. Moi c'est Shin. Enchanté de rencontrer un autre humain en cette belle soirée. "

Alors qu'il pensait qu'ils allaient se séparer comme ça, ou peut-être même à continuer leur quête commune côté à côte, Shin fut surpris de voir sa nouvelle connaissance se rassoir près du feu et déballer ses provisions. La vue de la nourriture fit gargouiller l'estomac dans un grondement sinistrement vide. Bien que le repas proposé soit frugal, le guerrier ne se sentit pas la force de résister à cette alléchante invitation. Tout en étant gêné, il le remercia poliment avant de prendre place à même le sol en face de Teruo et ils commencèrent à s'échanger leurs biens, dont une gourde d'eau à moitié pleine que Shin mit à disposition.

" Ah ! J'avais peur de mourir de faim dans ce trou paumé, ou finir dans les intestins d'une quelconque créature. "

Une manière comme une autre de faire la conversation, dirons-nous.
Et là, une forme à peine visible se tenait au-dessus de leurs têtes, dans le feuillage de l'arbre le plus proche, sans qu'aucun des deux hommes ne s'en aperçoivent. Un yokaï de faible niveau se trouvait là, à épier leurs moindres paroles et gestes. Portant un morceau de viande grillée à la bouche pour la troisième fois, Shin failli se mordre les doigts ; la nourriture avait disparue de ses mains. Pouf ! Volatilisée. Son attention se porta sur son nouveau compagnon, avec un air des plus accusateurs, mais toutefois en tentant de garder son calme.

" Oy oy ! Tu me proposes à manger et tu me la reprends à peine le temps d'y prendre gout ? "

Et avant même que Teruo ne finisse sa phrase pour sa défense, que ce qu'il tenait dans les mains disparu tout autant. Mais cette fois, tous deux purent voir une forme floue se faufiler entre eux à vive allure, faisant vibrer les flammes du feu de camp. La faim, l'obscurité, et maintenant ça. Pas question !

Sans demander son reste, Shin agrippa son katana et parti à la poursuite de l'odieux voleur de lapin grillé. Courant, sautant, s'aidant de l'appui de branches d'arbre dans les montées, la poursuite dura un certain moment, pour finir au bord d'une descente abrupte. Pfiou ! Encore un peu et Shin se serait retrouvé en bas, celui-ci dissimulé dans les feuillages de plusieurs pins. Ce fut bien sûr sans compter sur l'aide de son nouvel ami, et tombèrent tous les deux.

Des outch!, et des argh! plus tard, le guerrier Ondorie s'étala sur le sol terreux dans une classe folle du niveau d'un excrément de mouette, son katana tombant à quelques mètres de là. Enfin comme ça, il ne pouvait tomber plus bas. Il entreprit de se relever doucement, vérifiant que rien n'était cassé, mais un nouveau poids tomba du ciel et il se retrouva avec le visage dans la terre.

" Teruo-kuuun ~ fit-il d'un air désespéré, le suppliant de se relever, tout en recrachant les cailloux qu'il avait dans la bouche.

Levant la tête interpellé par un drôle de bruit tout près, les deux fraichement compagnons virent le yokaï forban, les morceaux de viande dans les deux mains et qui semblait faire la danse de la victoire avec effronterie sous le nez de ses victimes, avant de disparaitre dans le temple en ruine. Quel temple ? Celui-ci bien sûr :

[Seuls les administrateurs ont le droit de voir cette image]

Lugubre, très peu accueillant, voilà le genre d'endroits particulièrement apprécié de notre héros, bien que l'apparition de Yokais soit mauvaise source de souvenirs. Saloperies d'esprits vengeurs, toujours à vous foutre le nez dans la merde et vous laisser y patauger des heures. Cette fois, il n'y aura pas de quartiers, cet immonde petit personnage en prendra pour son grade, à grand coup de lame(s) entre les fesses. Teruo soulevait les siennes d'ailleurs, laissant son compagnon du moment, Shin, reprendre son souffle et pourquoi pas se relever. Les murs noirs d'encre de la bâtisse s'élevant devant eux n'avait rien de naturel, une enquête plus approfondie ne serait pas un mal. Ils n'y couperaient aucunement de toutes façons, le gaillard voleur s'étant échappé de leur champ de vision par un pan de mur écroulé, laissant échapper l'immonde lumière verdâtre baignant sa pièce d'origine. Non, vraiment, cette investigation pourrait se révéler bien plus amusante qu'il ne l'aurait escompté. Si en plus il lui était possible de briser quelques roubignoles de Yokai au passage, alors ce serait la journée parfaite. A défaut d'en faire des tranches de steack non comestibles, au moins ces créatures de malheur feraient porter le message à leurs copains. On ne fait pas chier Teruo si on tient à ses bijoux de famille. Joignant le geste à la pensée, voilà que bien pensant dragon s'engouffrait à son tour dans la pièce par la petite porte, faisant signe à son crasseux compère de le suivre, une paire de lames supplémentaire ne feraient que plus de mal au derrière de ces ignobles petites créatures.

Fort de cette idée, le duo avançait sans grande crainte, ne se méfiant que de quelques trous et fissures pouvant abriter quelques pièges. Mais rien. Ni signe de Yokai ni de piège, du vide et du vide seulement. Pas même une ambiance sonore à refroidir les plus valeureux, pas le moindre signe de captivité d'enfants ou de fornication musclée. Un silence brisé par le frottement du vent au travers des nombreuses prises d'air. Le chemin, linéaire s'il en est, menait à présent au travers d'un dédale de murs, tapissés d’hémoglobine noirâtre et de coups d'instruments contondants et tranchants. L'endroit rêvé pour tendre une embuscade s'en tiendra à n'être qu'un décor d'autant plus macabre, où seule l'imagination serait susceptible de croiser le fer avec quelconque apparition. Le vent glacé s’atténuait rapidement, jusqu'à disparaître à la vue d'une bibliothèque poussiéreuse, où la vue des rares documents encore préservés dégageait un sentiment familier, douceur chaude empoignant le cœur, jusqu'à réchauffer le reste du corps. L'horrible vert des flambeaux laissait place au bleu du clair de lune, moitié maquillé de nuages épais quoi que rassurant. Dans cette atmosphère morte, la mobilité de quelques cumulus possédait le pouvoir de démentir l'arrêt du temps, si bien que Teruo forçat le pas, jusqu'au croisement suivant, où deux nouveaux chemins se présentaient. L'escalier partiellement détruit, à demi rongé, usé et gorgé d'eau permettait de rejoindre l'étage, tandis que la trappe épargnée sur la gauche promettait menues promenades sous terre, hantise des claustrophobes. Si le bon sens indiquait de prendre la poudre d'escampette, nul doute que les camarades d'un soir feraient fit et se précipiteraient sous terre, où choses sans commune mesure avec le prologue évidé se profileraient.

Enhardi d'une envie d'égorger quelques esprits, c'est avec l'arme au poing que le chef de guerre réduisait en miettes la trappe du plat du pied, pour finalement s'engouffrer à la suite des débris de bois, provoquant l'affolement de quelques chauves-souris au loin. Le bruit sourd du choc entre son corps et la terre creusée n'oublierait pas d'avertir quelques présences de son arrivée, avec de la chance atténué par des voix d'enfants, à peine audible de leur position. Il leur semblait évident maintenant que la surface sous terre s'étendait davantage que le sommet de l'iceberg, ce temple d'aspect extérieur faisant office de trompe-l’œil, n'ayant certainement jamais abrité de culte à quelconque Kami si ce n'est toutes sortes d'avatars soit-disant maléfiques propres à la culture Yokai. Esquivant de peu le corps plus lourd que prédit du jeune Shin, et lui tirant la langue intérieurement, Il prit les devants de poursuivre son entreprise, plus soucieux de sa future victime voleuse de petit-déjeuner que du sort des enfants, pourtant source de sa présence dans le coin. Pas à pas, l'avancée ne fut pas plus objet de surprise que le premier pèlerinage du rez-de-chaussée, jusqu'à l'arrêt brutal du duo, alors qu'une salle facilement qualifiée d'énorme s'étendait quelques mètres plus bas. Carré parfait, cet espèce de stade entouré de quatre murs de terre et de roche, avec pour seule protection aux chutes une barrière de sécurité de bambou à hauteur de la taille évoquait vaguement l'idée d'une arène. La porte de sortie se voyait noyée sous ces formes juste trop connues. Des Yokai. Un bon groupe, trops horribles pour trouver le courage de les compter. Une chose certaine cependant, notre voleur n'en faisait pas partie. Celui qui brillait d'un sourire malicieux se serait trop vite trahi même au sein de ses pairs, maudit jusqu'au bout des ongles par l'âme du Chef de Guerre. Attrapant son compagnon par le bras, il enjamba le bambou pour atterrir trois bons mètres en contrebas. Faute à pas de chance, alors qu'il était jusque là épargné de mésaventures revanchardes de la part de son compagnon, ce dernier vint coller son poids à l'équation, amenant notre héros à s'affaler comme le crétin qu'il est sur le sol, avalant à son tour son content de terre et de cailloux.

Un Groumph ... pour toute tentative de se dégager, il n'avait pour seul pouvoir que d'appréhender la vague de Yokai se propageant à présent sur la surface, forts de leur nombre.

- Et voilà, toujours une connerie pour me mettre le nez dans la merde juste avant que ça ne devienne intéréssant ...

L'allégement fut des plus charmants lorsque Teruo leva enfin ses fesses qui retenaient cloué au sol le pauvre Shin. Simple gémissement en guise de remerciement, mais aucun mot n'était nécessaire pour la suite des évènements, car même s'ils venaient tout juste de se rencontre, fort était de constater qu'ils avaient quelques points de caractère en commun. Comme le fait de s'engouffrer gaiement dans un temple d'un sinistre sans pareil.

Le silence des lieux mit Shin aux aguets, redoutant ce genre de calme avant la tempête. N'y aurait-il pas eu une immonde petite chose là-dedans ? Le jeune homme n'était plus sûr de rien. Le temps s'avérait être figé, emprisonnant l'endroit tout entier. Et lorsque le choix de la route à poursuivre se profilait, entre un escalier en piteux état menant à l'étage supérieur, et une trappe semblant avoir été épargnée des malheurs de la vie, les deux hommes n'avaient même pas à y réfléchir. Comme dans un enchainement d'une danse bien synchronisée, tous deux tirèrent leurs lames longues et dures de leurs fourreaux, avant de fracasser la pauvre trappe faite de bois d'un bon gros coup de pied. Il faut dire que Shin approuvait cette méthode, puisque lui-même était quelqu'un de direct, même si l'effet de surprise était maintenant réduit à néant. D'autant plus que Teruo ne manqua pas de s'étendre lourdement sur le sol, ce qui aurait pu aussi être le cas de l'ondorie s'il ne s'était pas récupérer au dernier instant, du plat de la main. Et tandis que l'un semblait orgueilleux de son esquive, l'autre s'en voulu de l'avoir loupé. Il perdait rien pour attendre !

Teru reprit les devants, cependant Shinou était resté un temps en arrière, tendant l'oreille à des voix aussi lointaines et irréalistes que dans une hallucination. Mais ce n'était pas en restant les bras ballants que le fin mot de l'histoire pouvait être déclaré. Ainsi donc, après avoir rengainé son arme, il lui emboita le pas à travers un dédale souterrain, bien plus vaste que l'étage supérieur. Plus loin, Teruo s'était immobilisé. Curieux de savoir ce qui pouvait bien retenir ainsi son attention, Shin jeta un regard par-dessus son épaule. Et là, une salle immense s’étendait sous leurs yeux, juste à quelques mètres en dessus de leur position actuelle. Les structures étaient étranges, du genre que l'on réservait aux entrainements au corps-à-corps des guerriers Ondories. D'un regard rapide, Shin ne vit rien qui pouvait le retenir ou le forcer à descendre, d'autant que la pièce était bondée de yokais. Peut-être plus tard, histoire de se défouler un peu avant d'aller passer une bonne nuit de sommeil après toutes ces péripéties.

Mais quelle idée lui traversa l'esprit à ce taré lorsqu'il lui empoigna le bras, dans le but de le trainer en bas ?! Sautant au-dessus de la barrière de bambou, le Chef de guerre se promit vengeance, et étant donné qu'il se trouvait derrière au moment de la chute, rien n'était plus facile que de lui retomber lourdement dessus, insistant bien sur son poids à la retombée.

L'air triomphant qui disait hé ouais mon coco !, le jeune guerrier n'eut aucun mal à se relever pour la première fois depuis que cette fichue soirée avait débuté. Encore un peu plus, et il en aurait même ricané. Un vrai gamin... Néanmoins, son sourire vaniteux s'estompa bien vite lorsque le sol se mit à vibrer sous les coups répétés des démons qui les encerclaient, comme de violents chocs sur des tambours de guerre, en rythme d'un "we will rock you" d'un autre temps. Ceux à l'extérieur de l'arène encourageaient ceux qui venaient d'y pénétrer. Comme venait de le dire Tete, ça devenait intéressant...

Pour commencer, deux yokais de stature d'un homme entrèrent afin de défier les deux humains. Autant dire que c'était le menu fretin, ou l'apéro, c'est selon. Ils possédaient des outils agricoles organisés en arme improvisée. On pourrait se dire qu'il y en avait un pour chacun, deux "duels"... Naaan ~ S'avançant avec une allure follement arrogante, Shin s'interposa entre eux et Teruo, profitant que ce dernier soit encore à terre pour profiter de l'occasion de pouvoir s'amuser. Il porta ses deux mains dans son dos par-dessus ses épaules... Mais ! Ah oui c'est vrai, ha ha ha se dit-il alors qu'il venait de se rappeler qu'il était venu sans ses lances, l'air de l'imbécile heureux sur le visage. Qu'à cela ne tienne ! Il dégaina son katana, droit comme un i, la lame nue tenue à l'horizontale. Plus aucune place à la plaisanterie, cela, son visage soudainement implacable le démontrait bien.

Un moyen comme un autre de s'assurer que ses adversaires ne seraient pas pris par surprise, bien qu'avec le boucan précédent, cela ne devrait pas être le cas. L'aura flamboyante du guerrier s'éveilla brusquement, oppressante, si bien que la pression qu'elle exerçait sur les personnes ou créatures d'en face pouvait à elle seule leur faire plier les genoux. Empoignant son sabre des deux mains, il s'élança alors dans un bond spectaculaire, d'un coup de pied en fit reculer l'un et d'un coup d'épée en trancha l'autre en biais de haut en bas. Celui mis à l'écart voulu prendre l’opportunité de porter un coup à la tête du guerrier, mais ce dernier avait frappé pour que son ennemi soit là où il le voulait, et n'eut aucun mal à esquiver en se baissant. De sa jambe tendue, Shin le renversa pour finalement accompagner la chute avec un coup d'épée plongeant à ce qui s'apparentait être son thorax.

A peine eut-il le temps de laisser s'échapper un profond souffle, que le prochain opposant entrait sur scène. Une montagne, à vue de nez il devait mesurer au moins trois mètres. Vêtu de morceaux d'armure désuètes qu'il a surement dû ramasser sur des cadavres humains, le monstre était armé d'une naginata toute rafistolée. Soit parce qu'elle n'allait pas tarder à tomber en morceau, soit pour la solidifier à cause de la force de son propriétaire. Shin lui fit face, déjà prêt au prochain combat.

Oui mais voilà, il n'avait pas perdu de vue la raison pour laquelle il était en ces lieux. D'une porte dérobée, le guerrier cru entendre les mêmes voix d'enfants qu'il avait entendu tantôt. Malheureusement, le colosse lui barrait la route, et celui-ci crut comprendre que Shin était attentif à autre chose pour qu'il assène le premier coup, un avertissement, sur le sol tout près des deux hommes qui fit trembler la terre et lui fit perdre l'équilibre.

" Tsk! Y'en a marre de la caillasse ! " Se relevant habilement, il se remit aux côtés de Teruo, et sans le regarder, il lui lança : " Un p'tit coup de main pour le gros bébé ? "

Ne manquait qu'un coktail. Peut-être un manuscrit à lire. Quelque chose pour créer une ambiance personnelle relaxante tandis qu'il apercevait une hémoglobine de drôle de couleur s'étaler sur le sol. Le petit avait un côté doué, se faire deux Yokais en moins d'deux avec une arme qui était loin de refléter son talent habituel, c'était pas mal. « L'armée Ryuuji manque cruellement de talent » se disait-il alors que Shin terminait le second. L'âme du guerrier ne laissait place au doute, force était de constater qu'un entraînement militaire quelconque était lié de près ou de loin à la maîtrise de la lame. Et avec la chance dont faisait preuve Teruo, nul doute que l'inconnu notoire provenait du clan du Phoenix, ou pire, celui du Tigre. Mais qu'importe, pour l'heure il n'était aucunement fait mention de rivalités entre clans, d'autant qu'un colosse s'avançait au nom du défi suivant.

Qu'il était étrange de constater avec quelle facilité les Yokais endossaient les habitudes humaines. Ils allaient jusqu'à porter les mêmes armes et proposer un déroulement proche de celui du duel, ce qui n'était pas pour déplaire au chef de guerre, loin de là. S'ils avaient eu dans l'idée de laisser deux individus face à une petite armée, sans doutes les choses se seraient réglées différemment, incluant la mort de la paire d'intrus. D'un coup d’œil il balaya les alentours. Les yokais envoyaient leur champion, ne restait derrière que des demis portions, la majorité de dépassant le mètre à partir du sol et n'étant aucunement pourvus d'appendices propices au combat. Qu'à cela ne tienne, terrasser le géant suffirait peut être à calmer leurs ardeurs.

" Un p'tit coup de main pour le gros bébé ? "

«Je te proposerai bien les jupons de ta mère au passage, mais pour le coup ce sera plus pratique. Tu t'es déjà bien amusé, laisses le moi et va chercher les enfants. » répondit-il à demi sérieux. Ne faire qu'une bouchée du géant serait chose facile, l'envie de meurtre n'étant que trop rarement de cette ampleur. Un monstre deux fois plus haut que soit est une chose, mais une abomination prétextant jouer de la Nagitana n'est rien de plus qu'un manque de respect envers le clan dragon, rare chose pouvant encore faire naître ce sentiment de dégoût chez le chef de guerre. De sa main droite il sortait sa lame de son fourreau tandis que de la gauche, il usait du pouvoir offert par le Yomigami. S'il est un pouvoir plus pratique que réellement efficace, Rétablissement reste utile en maintes occasions au combat. Les débris d'armure perchés sur le corps de cette monstruosité ne tardèrent pas à bouger, jusqu'à se recoller maladroitement entre eux, lacérant cet immense corps et lui bouchant la vue au passage. D'un bond, le dragon passait derrière le colosse, rapidement suivi d'une tête, pendue par une oreille entre les ses doigts. Alors que le corps inerte retombait à terre de tout son poids, la tête fut renvoyée au milieu de la troupe Yokai d'un mouvement de cloche. Alors que tous les yeux suivaient la trajectoire du trophée, le sifflement d'une seconde lame sortie de son fourreau ne promettait que chaos.

Comme on pouvait s'y attendre, la perte de leur étendard leur fit perdre tous leurs moyens. Pour la majorité choses ridicules à peine assez douées pour vivre, la quasi totalité de l'attroupement prit la fuite, ne laissant plus que des cris étouffés par l'echo audible au loin. Les moins chanceux, ou les moins intelligents n'auront eu d'autres choix que de perdre la tête à leur tour, ne laissant en tout et pour tout qu'une demi douzaine de cadavres sur le sol, faits d'arme de Shin compris. Et c'est dans l'idée de rejoindre ce dernier que Teruo prit à son tour la poudre d'escampette, oubliant totalement à quel point son sens de l'orientation pouvait être minable. Dirigé ci et là par des sons, il alla jusqu'à se perdre au fond d'une caverne creusée, dubitatif. Il aura fallu quelques minutes supplémentaires pour retrouver le stade vide d'où il était venu, où il décidait finalement de rester en attendant le retour de son compagnon.

Spoiler:

Un long sifflement sortit d'entre les dents du guerrier suite à la réplique de son comparse. Décidément, ce dernier n'était pas avare en paroles cinglantes. Toutefois pour le coup des enfants, il n'avait pas tord et son dévouement à faire du colosse son adversaire laissait à Shin l'opportunité de passer. Combien fut-il surpris en voyant Teruo user du pouvoir accordé par le Kami Dragon avec autant d'aisance ! L'ondorie sourit. Il ne s'était pas attendu à rencontrer un Ryuuji cette nuit-là, et encore moins d'en faire son allié temporaire et fortuit. Ce qu'il trouva d'autant plus ironique, c'était que Shin l'avait bel et bien déjà vu auparavant. C'était il y a quelques années dans un petit village aux abords du fief du dragon, en train de roupiller avec insouciance au soleil. Ce furent les habitants locaux qui apprirent à Shin l'identité de cet homme. Reiya Teruo, le chef des armées de Ryuuji Niwa, et l'ami de celui-ci. Mais il décida de garder cette information pour lui, du moins jusqu'à accomplissement complet de la mission. Il prit alors une profonde inspiration et s'élança en avant.

" Je passe ! " cria-t-il lorsqu'il dépassa le colosse. " On se revoit tout à l'heure, Tete. "

Et sans s'arrêter de courir, l'arme en poing, il dégomma un yokaï qui eut le malheur de ne pas s'écarter de son chemin, et s'engouffra par la porte susmentionnée. Ne pouvant se fier qu'à son instinct, Shin poursuivit sa course et tenta de deviner les bonnes directions à emprunter afin d'arriver jusqu'aux enfants. Il stoppa net ses pas ; il était complètement perdu dans ce dédale souterrain. Pas déjà maintenant... Plus qu'une solution s'offrit à lui, et tant pis s'il devait s'attirer une horde de monstres sur le poil.

" Oéééééééééé! Y'a quelqu'un ? "

La réponse ne se fit pas attendre ; des voix enfantines lui parvinrent distinctement. Les suivant comme s'il courait après une lumière au bout d'un tunnel lugubre, Shin arriva devant une pièce dont l'entrée était bloquée par un amas de débris en bois. Sommant les gamins de l'autre côté de reculer, il vérifia qu'il n'était pas suivi avant d'user à son tour de son pouvoir du feu. Une Colère Ardente ne tarda pas à naître et à embraser les débris. Il s'arrêta lorsque le bois commençait à craquer sous la chaleur, et les dégagea de plusieurs coups du plat du pied.

Shin trouva les sept enfants disparus. Heureusement aucun ne manquait à l'appel et étaient vivants, mais dans un état déplorable. Certains avaient des lobes d'oreilles arrachés, pour d'autres c'était des doigts. L'un avait même la jambe cassée et on pouvait voir l'os du tibia. Peut-être était-ce la punition pour avoir essayé de s'échapper. Un autre avait déchiré son yukata pour lui faire un bandage de fortune. Contemplant avec horreur la scène, son silence commença à affoler les enfants, et s'empressa donc de ranger son épée.

" Calmez-vous, je suis venu vous chercher. "

Il avait prit une voix calme et avait bien articulé chaque mot. Néanmoins ils n'avaient pas le luxe de pouvoir s'attarder plus longtemps ici, il fallait sortir au plus vite. Ainsi donc, il prit sur son dos l'enfant qui avait la jambe cassée, les autres aidant à l'attacher à l'homme grâce au dôbuku enroulé de celui-ci. Ce garçon était si léger.

Sous les directives de Shin, la troupe prit le chemin en sens inverse. Ils n'allaient plus tarder à rejoindre la grande salle où se trouvait l'arène et surement encore Teruo. Cependant avant de traverser à nouveau la porte, le guerrier se retourna. Un ancien temple d'une entité inconnue ne pouvait rester ainsi souillé par la présence d'esprits impurs, et après avoir attendu que les six autres enfants soient arrivés dans la salle d'où émanait aucun bruit, il fit demi-tour, libéra une main qui portait le garçon et n'eut aucune hésitation. Il invoqua une nouvelle fois le pouvoir de Moegami ; l'Enfer Sacré. Il comptait purger cet endroit par les flammes. La gigantesque boule de feu fut projetée le plus loin possible, et au contact déjà le feu prenait à une vitesse prodigieuse.
L'ondorie rejoint les autres où Teruo avait déjà rencontré les enfants. Il vit, sans grande surprise, le corps inerte du colosse et sa tête un peu plus loin.

" Tu t'es bien amusé toi aussi, on dirait, dit-il au guerrier ryuuji. Il faut sortir d'ici sans plus tarder ou on sera tous ensevelis. "

Le trajet en sens inverse leur parut moins long tellement ils couraient, Teruo ouvrant la marche et le passage à travers les derniers opposants d'un autre genre, et Shin fermait l'escorte.
Enfin l'air libre, le grand air. Cette odeur nauséabonde s'estompa bien vite des narines du guerrier. Ils s'éloignèrent encore de plusieurs mètres jusqu'à s'arrêter à l'orée de la forêt de pins. Shin se laissa tomber à même le sol après avoir soulevé les jambes du garçon, épuisé physiquement et spirituellement après avoir combattu, couru et utiliser ses deux dons. Il avait besoin de reprendre son souffle, en contemplant l'édifice prendre feu.

" Le Touyu Hosen brule... " dit avec regret et en même temps de soulagement le garçon sur son dos.