Chevauchant depuis une semaine dans le but d’atteindre Ryuu, Risako avait traversé Saru, Hinode, Hitsuji, Noguchi et vu le temple de Terayama avant de se perdre dans les montagnes de Shuho. Au bout d’une demie journée d’errance en territoire ennemi sans en voir le bout, elle en eut sa claque et chercha désespérément une quelconque personne en mesure de lui montrer son chemin. Or, alors que la nuit suivant le huitième menaçait de tomber, la trentenaire tomba sur un homme muet qu’elle prit pour un Yamabushi. Celui-ci tendit l’index pour lui indiquer une direction approximative puis disparut sans rien demander en retour. Risako poussa un énorme soupire tandis qu’elle s’enfonça dans la brousse et dans les hauteurs vers la direction que le vieux avait bien voulue lui donner.
Elle ne se réjouissait pas de devoir encore passer la nuit dehors alors qu’elle était blessée. La guerrière ne pourrait dormir que d’un œil, soucieuse d’une éventuelle attaque qui lui volerait sa monture ou bien la déshonorerait sans qu‘elle ne puisse faire grand-chose. Et elle avait grand besoin de repos tout comme sa jolie et placide jument qui marchait maintenant l’écume aux lèvres. Seulement, elles avaient beau avancer, la jeune femme ne voyait aucun village ou temple l’horizon, et encore moins de ville comme Ryuu. Lorsque le soleil rasait l’horizon, elle bailla en se demandant si elle ne ferait pas mieux de s’arrêter et de se résigner à son triste sort en priant Tachigami ou bien si elles pouvaient encore de parcourir les moyens sommets jusqu’à ce que les lumières d’une ville soient en vue. Le choix fut vite fait.
« Allons, ma vieille. Avançons encore un peu. Je sais que tu en es capable. Il en va de ta sécurité et de la mienne. »souffla-t-elle à la jument.
La guerrière lui donna une pomme abîmée à croquer avant de regagner difficilement sa scelle. Son destrier hennit en retour. Elle reprirent leur route. Les ondulations forcés que Risako subissait en chevauchant la bête commençaient à tirailler dans sa jambe blessée. Au bout d’une bonne heure de souffrance et alors que la lune fut bien visible, elles virent avec espoir les lumières d’un temple scintiller de mille feux. Ni une, ni deux, la jument se mit à gambader de toutes ses pattes vers ce bâtiment qu’elles voulaient ami, ce qui surprit Risako. Mais cette dernière la laissa faire. La bête aubère à crinière blonde finit sa course et s’arrêta nette devant les portes de cet étrange édifice dont les parois, les murets et les murs étaient meurtris par l’humidité. Risako descendit, sa jument hennit lorsqu’elle frappa trois coups aux gigantesques portes jumelles.
Première surprise, le portier qui vint lui ouvrir ne fut autre qu’un…Yokai. Un Kappa visiblement, qui se dégagea du chemin, mais qui, lorsqu’il vit Risako hésiter à entrer, s’exclama avec agressivité :
« Vous attendez quoi ?! Le levé du soleil ? »
Répondant à cette curieuse injonction prononcée d’une voix de fausset, Risako n’attendit pas plus pour s’introduire en boitillant dans les jardins du bâtiment. Elle vit sur les balcons de celui-ci des créatures de toutes les tailles et de tous les profils se déplacer avec nonchalance, fumer ou bien se restaurer de quelques étranges mets au clair de lune. On lui avait dit un jour que les habitants de l’Ouest étaient des démons, mais jamais elle ne s’était attendue à tomber sur de véritables créatures du genre. La trentenaire aux cheveux de feu se tourna vers le petit Kappa à la voix aigue pour lui demander en quoi consistait cet étrange endroit et pourquoi était-il aussi peuplé de Yokai. Le monstre aquatique ouvrit de grands yeux. Cependant, il ne voulut lui répondre et s’en retourna à ses portes, les ouvrant à un attroupement de monstres qui discutaient et se réjouissaient d’être enfin arrivés aux sources chaudes pour démons, fantômes et autres bestioles, le « Touyu Hosen » comme ils l’appelaient. Risako resta figée sur place.
Bon, arriver dans un lieu comme celui-ci était une occasion en or pour pouvoir se reposer sans être dérangée par quiconque. Mais qu’un territoire soit entièrement infesté de monstres, qui n’avaient d’autant plus rien à faire des humains, n’était pas bien rassurant. Un sourire peu assuré s’esquissa sur les belles lèvres purpurines de Risako tandis qu’elle fouilla dans ses affaires pour en sortir une paire d’oreilles de renard en bois couvertes d’une douce fourrure fauve. Cet étrange objet acquis lors des réjouissances de l’agriculture vers Noguchi s’introduisit alors dans sa chevelure rousse. Elle n’avait pas l’air fine comme ça, mais au moins était-elle rassurée de ressembler un tant soit peu à une Kitsune. La jeune femme ne troublerait pas tellement ses hôtes ainsi. Elle fronça cependant les sourcils lorsque sa jument la fixait avec insistance et hennit. Cette dernière avait l’air de la charrier.
Malgré ses attentes têtues, elle ne trompait absolument personne. Cependant, s’efforçant de rester absolument maîtresse d’elle-même, elle fit la queue, se présenta à l’accueil et donna sa taille et sa pointure. Moyennant quelques ryos, on emmena sa monture à l’écurie et on lui présenta un yukata simple mais usé, des serviettes de différentes tailles et des socques de bois brillantes de propreté. Une fois installée dans sa chambre, la guerrière fut abandonnée à elle-même et eut du mal à trouver son chemin dans la foule de créature. Oui, elle aurait très bien pu rester sagement dans la pièce qu’elle avait louée pour la nuit, mais sa curiosité la poussait à explorer les environs. Étrangement, un petit vieux au sourire tordu lui indiqua le chemin vers les sources chaudes et la trentenaire déboucha donc vers des bains faiblement éclairés au clair de lune.
C’était merveilleux. Comme une scène qu’elle aurait pu rêver, des Yokais par dizaines étaient dispersés dans de grands bains un peu moins nombreux et discutaient calmement entre eux ou bien profitaient en silence de la soirée. Certains étaient pleins de beautés et de charmes, d’autres étaient tout simplement horribles. De voir ces étranges créatures s’occuper pareillement à de vulgaires humains, Risako en était bouche bée. Mais le vent souffla, un vent frais, même froid, qui incita la jeune femme à rapidement se déshabiller dans le but de se savonner de la tête aux pieds avant de vider des sauts entiers d’eau chaude pour plus qu’aucune trace de savon ne se remarque. Enfin, la guerrière releva ses cheveux rouges sur sa nuque, et à l'aide d'un ruban immaculée, les mêla en un vaste chignon d’où tombaient innocemment quelques mèches folles.
Sa nuque révélée, son sublime corps de jeune femme à la fois svelte et musclé et à la peau blanche n’attira cependant aucun regard, même s’il était barré à plusieurs endroits de cicatrices rosées. L’une des plus vives et colorées étaient situés à sa cheville où l’on distinguait très nettement une trace de corde. Une autre comme celle-ci était moins visible mais bien présente à la base de son cou. Aussi portait-elle deux couches de fins bandages sur le ventre, dissimulant une blessure récente de dix jours.
Risako boitilla jusqu’à l’un des bains les moins peuplés et y plongea son corps meurtri. Elle lâcha alors comme un râle d’allégresse en se délectant de la douce caresse de l’eau très chaude sur sa peau puis ferma les yeux. Son doux minois faisait face au ciel et ses bras reposaient tranquillement au bord de l’eau.
Pas banal. Ce serait sûrement là la réaction du premier quidam un minimum cynique qui aurait vent de la situation actuelle. Le chef de guerre d'un clan relativement renommé perdu au beau milieu d'une forêt de pins, bien loin de son fief natal. Pourtant, non. Reiya Teruo, chef de guerre, ami de son seigneur, grande personnalité de l'Hinomoto à première vue, ne restait qu'un simple d'esprit dès qu'il s'agissait de voyager. Il se voudrait même possible qu'il se retrouve en un pays étranger alors qu'il ne recherchait qu'un coin sombre pour ses petites affaires non loin du palais seigneurial de son clan. Sens de l'orientation : zéro, doublé d'une malchance peu commune, d'autant plus si l'on se prête à la comparaison avec la notoriété de son clan. Pays de chanceux, disait-on. Yomigami aura beau incarner toute la grâce et le charisme nécessaire à un dragon, son sens de l'humour s'en voit, pour le coup, légèrement en dessous des attentes habituelles. « Foutu karma » se plaisait-il à pester en de pareilles conditions, lorsqu'il n'était pas trop occupé à tenter de subsister, tant par la chasse que par la confection d'un nid douillet pour la nuit.
Aussi talentueux soit-il, Teruo n'en garde que faiblesses d'autant plus importantes. Capable de résoudre des énigmes de haut niveau, ou d'ordonner les troupes efficacement sur un champ de bataille, il n'en reste pas moins que l'orientation subsiste en tant que point noir, qu'importe l'état d'esprit, l'objectif ou l'importance de ses actions. Seul, à moins d'être en terrain connu, il gardera tout le mal du monde à trouver sa direction. Le plus étrange, sans doute, serait le fait qu'il ne s'arrête jamais. Il aura beau passer des portes, traverser des forêts ou des océans, si son esprit reste occupé par un autre sujet, il ne s'arrêtera pas, qu'importe qu'il cherche le boulanger en plein centre de Ryuu. Devant une telle preuve de stupidité, peut-on encore s'inquiéter de sa santé mentale alors qu'il se retrouve perdu au milieu de cette forêt de pins, avec pour seule compagnie que le chant des loups alors que le soleil se couche ?
Seulement, parfois, on retrouve en ce manque de chance une pointe d'humour, d'illogisme, de bien être. Peut-être les trois réunis, se dit-il lorsqu'il posa les yeux sur la vieille battisse en contre-bas. Il était déjà venu, un jour, restait à savoir comment et pourquoi. Cette impression de déjà-vu pouvait tout aussi bien être caractéristique d'un petit trou paumé en périphérie de Ryuu, alors aurait-il été plus enclin à retrouver son chemin, mais non. Des pins, encore, toujours, quelques brins d'herbe, et une petite clairière à quelques centaines de mètres de là où s'étendaient les ruines d'un bâtiment noirci par les flammes. Au diable le mode de vie à la Saruha, peut-être cette fois aurait-il la chance de trouver un petit toit au dessus de sa tête pour sa nuit. Les étoiles savent être belles dans le creux de la nuit, mais le froid sait se faire tout aussi intense à l'approche de l'hiver. A défaut d'être condamné à suivre le mode de vie des Suigyuuku, une bâtisse, fut-elle en ruines, lui offrirait un maigre réconfort bienvenue.
Ruines ... Ou pas. Les souvenirs d'une précédente quête dans les alentours semblaient altérer sa vision, alors que les buches calcinées se muaient en une vaste porte. Phénomène occulte ou simple perception décalée, Teruo n'aurait su le dire, la seule chose encore certaine restait la promesse d'un confort bien plus agréable qu'escompté. Un, deux, trois pas, puis une centaine, c'est le sourire aux lèvres qu'il se tenait finalement devant la porte, dégoulinante d'humidité. La chaleur se dégageait en fine vapeur autour des lieux, nouvelle preuve de confort hors du commun, du moins selon les normes du paysage. Sauna, Onsen ou Marmite pour trolls géants, restait à ouvrir les portes de la masure pour se faire une réelle idée.
Vaste, coloré, bondé. Trois mots suffisaient à décrire le décor, alors que toutes sortes de Yokais s'agglutinaient dans les parages. Dans le fond, quelques dessins évoquant le bain finirent par rassurer le chef de guerre, qui prit enfin le soin de refermer la porte, découvrant un Kappa semi écrasé contre le mur. Pauvre bougre, subir de la sorte l'empressement du dragon pour ne plus ressembler qu'à un parchemin bleuâtre, triste fin, même pour un Yokai. Pourtant de rancœur envers ces créatures il se voyait dépourvu. A la manière des hommes, il pouvait combattre les plus hostiles et sauver les plus faibles, pour peu que ledit sauvetage garde quelque récompense monétaire. Les Yokais auront toujours leur place dans le monde, qu'importe les guerres internes humaines, a quoi bon alors continuer à les haïr. Pour la majorité, ils n'ont que peu d'ennuis avec les humains, simple question de respect que de leur rendre la pareille.
Mais nous traversons là le récit de Reiya Teruo, qui n'a de toutes les façons possibles aucun respect pour quelque forme de vie que ce soit. Si ça ne se mange pas, ça n'a que peu d'importance, comme il le démontrait à l'instant pour son déni total vis-à-vis de la situation du pauvre Kappa. De même que la file d'attente pour les bains, qu'il se fit un fabuleux plaisir de doubler honteusement, pour finalement jeter ses vêtements en boule par terre et ouvrir la porte du bain d'un coup sec, comme si sa nudité se devait d’intéresser toutes les âmes présentes. Un petit tour par le savon, une belle douche d'eau tiède pour se rincer et la perle de la soirée : double salto avant position fœtale splash, ou encore connue comme Bombe dans l'eau de la mort qui tue qui te prend la vie qui te la rend pas. Tout Teruo, ça, que d'éclabousser tout le monde dans un rayon de cinq mètres sans l'ombre d'un remord, pour finalement s'étendre contre un rocher, l'eau à hauteur de la naissance du cou, oubliant en une fraction de seconde la majorité de ses frasques des dernières minutes. Restait à espérer que Niwa n'entendrait jamais parler de ça.
- Yale Yale, rien de mieux qu'un bain chaud à la tombée de la nuit...
Les bains étaient si calmes et si accueillants ! Risako n’aurait jamais espéré mieux pour détendre ses muscles et se reposer d’un long voyage. Dans ce moment de détente, elle espérait néanmoins que sa jument était aussi bien lotie et que son fils resté à Nezumi ne souffrait pas de son absence et ne s’inquiétait pas pour elle. De toutes manières, elle reviendrait sur ses pas dès qu’elle aura trouvé un Ryuuji assez aimable pour la soigner. Elle n’avait guère l’intention de tenter le diable en s’attardant en terres ennemies. Mais, tant qu’elle était là, pourquoi ne pas profiter de ce qui s’offrait à elle ? Après tout, se prélasser dans les bains était une activité de courte durée, si on ne voulait pas ressembler à une écrevisse ivre, molle et trop cuite au sortir.
Risako, les doigts mêlés sous sa nuque, pensait ainsi lorsqu’elle fut subitement attaquée par un immense raz-de-marée qui vint curieusement asperger ce qui voulait ce garder hors de l’eau. Elle prit une grande inspiration paniquée. Son nez la picotait soudainement, lui arrachant deux trois fines larmes au bord des yeux tandis que quelques unes de ses mèches de cheveux échappèrent à l’étreinte du ruban et ondulèrent avec mollesse sur un de ses yeux ou sur sa nuque. La surprise passée, la guerrière dirigea son regard vers le trouble-fête comme tous les Yokai présents dans les bains.
Comme elle aurait pu s’en douter, il s’agissait d’un gamin d’une vingtaine d’années. Il était en face d’elle, affalé sur un rocher, si bien que l’eau engloutissait ses épaules alors qu’il devait être plus grand que la trentenaire, elle à qui l’eau restante arrivait à mi-poitrine. Hé bien, heureusement que le bain était grand ! En fusillant le gamin du regard, la guerrière rectifia sa position pour se tenir bien droite, et comme elle voulait passer outre la bêtise de ce jeune énergumène, elle ferma les yeux et respira fort dans le but de se calmer. Pas qu’elle était en colère, non. Elle était certes passablement énervée et ce genre d’incivilité ne pouvait troubler la patience d’un digne officier de Nezumi. Risako cherchait seulement à retrouver la gaieté dont elle jouissait tout à l’heure. En vain.
Alors, Risako ré-ouvrit les yeux pour fixer le petiot. Elle se tenait toujours bien droite. Les monstres discutaient tranquillement entre eux en chuchotant. Elle ne pouvait pas croire qu’un soi-disant humain soit la plus impolie des créatures dans des bains remplis de monstres. C’est avec un petit sourire sarcastique que la trentenaire s‘adressa à l’impertinent.
« Il est étonnant que vous ne vous soyez pas fait mal. Votre Kami doit être d’une extrême bonté… »
D’une extrême bonté ? Plutôt d’un suprême laxisme ! Ce jeune idiot aurait du se faire mal tant l‘eau était peu profonde. Au moins y aurait-il réfléchi à deux fois à l’avenir. Et, les montres auraient bien ri après s’être faits arroser par cet imbécile. D’ailleurs avait-il vraiment un cerveau ? Une petite erreur de calcul dans ses magnifiques pirouettes et c’en aurait été fini de lui….
« Si l’on dit que le sang de l’Oue…d’humain est chaud, ce doit être pour sa bêtise. »finit-elle par prononcer tout haut avant de ramener ses mains sous sa nuque pour reprendre son moment de détente.
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Sujet: Re: Kézaco ? Touyu Hosen ?
Kézaco ? Touyu Hosen ?
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