Des claquements de sabots sur les pavés indiquaient la venue de visiteurs. Néanmoins pas très nombreux, il s'agissait d'un petit cortège d'une dizaine d'hommes armés et plutôt élégants. En cette période de célébration de la fête de la nature, il était coutume d'offrir des offrandes aux esprits qui, l'année passée, avaient été plutôt cléments et généreux envers les humains. C'était en cette occasion également où hommes et femmes ressortaient leurs plus beaux vêtements. Très peu était d'ailleurs vêtu de noir, comme pour accepter le printemps avec gaieté.

Uma était une grande ville fortifiée, toutefois ses habitants toujours chaleureux et de bonne humeur. ' Voilà qui change du climat martial d'Ondori ' se disait Shin, un jeune homme plus habitué à côtoyer l'ambiance militaire. ' Bientôt l'été, et avec lui les températures seront à la limite du supportable. ' En attendant c'était le printemps, et mieux valait en profiter.

Mettant pied à terre, le Chef de guerre décida d'emprunter les rues en se mêlant à la foule. La vue de son cortège d'hommes armés à cheval avait déjà effrayé des civils en chemin. D'ailleurs, il put ainsi mieux profiter de l'art et la manière dont les Umano usaient afin d'honorer la fameuse fête. Alors que dans sa ville natale il était question avant tout d'expositions et de ventes d'objets, vêtements et bijoux à l'effigie de la nature, ici c'était une cérémonie plus attractive et ludique.

Partout des origami aux milles dégradés de vert virevoltaient accrochés aux bâtiments. Les personnes les plus âgées s'adonnaient avec passion à des jeux de Go autour d'une dégustation de thé, tandis que les plus jeunes s'entrainaient à la calligraphie du caractère "Hana" avec sérieux et amusement, car les plus beaux décoreront également la ville.

Le guerrier, élégamment vêtu lui aussi d'habits faits sur mesure, déambulait dans la ville à presque oublier la raison principale de sa venue. Un unique katana était accroché à sa ceinture, laissant ses imposantes lances toutefois à porter de main puisque deux de ses hommes en portaient chacun une. Il n'était pas question de faire montre de son rang de guerrier cette fois-ci, toutefois il n'avait pas pu se résoudre à les abandonner chez lui. L'emblème d'Ondorie tissé dans le dos de son haori, Shin avançait à grand pas vers le palais seigneurial.

Des messagers étaient partis prévenir de la visite il y a de cela quelques jours, les serviteurs de la demeure les attendaient donc de pied ferme. Leurs regards étaient baissés, les têtes inclinées. Même les guerriers qui accompagnaient le Chef de guerre se montraient respectueux, et souriaient même aux plus belles femmes de cette contrée dans leur magnifiques kimono fleuris. La consigne était donc respectée.

Un homme au crâne dégarni et à l'allure d'un professeur vint les accueillir. Des sceaux et des serviettes avaient été apportés afin que les voyageurs puissent se laver les mains et les pieds, ensuite Shin et deux de ses hommes furent invités à entrer. Ces derniers avaient été choisis pour leur jeunesse et leur robustesse, quoiqu'ils possédaient tout deux des visages aux traits doux. La porte de papier glissa sous les mains fines d'une servante agenouillée, donnant l'entrée dans une pièce de taille modeste mais à la décoration de saison. Les trois hommes prirent place, la porte se referma sur leur passage. " Sa Seigneurie a été prévenue de votre arrivée, avait dit l'homme âgé, permettez-moi de vous apporter du thé. " Shin s'était contenté d'un signe approbatif de la tête.

Lors de l'attente, le jeune homme scrutait avec attention les peintures qui ornaient les écrans de papier de la pièce. Plusieurs arbres étaient représentés comme pliés sous le poids du vent, des feuilles de vert pâle se baladaient partout, et plus précisément autour des chevaux. Ceux-ci couraient, quoique aux yeux de Shin il avait plus l'impression qu'ils volaient qu'ils ne galopaient. La porte glissa à nouveau pour ne laisser entrer que la voix du serviteur.

" Sa Seigneurie Taku est prêt à vous recevoir. Le thé sera servi en sa compagnie."

Se levant promptement, les trois hommes se levèrent et sortirent de la pièce d'attente pour aller, à travers un long couloir, dans celle où allait les recevoir le stratège et frère du seigneur d'Umano.



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Hana :: fleur en japonais.
Origami :: l'art du pliage du papier.
Jeu de Go :: jeu à 2 sur une grille avec des pierres noires et blanches.
Haori :: veste qui tombe aux hanches ou jusqu'aux genoux, et qui ajoute un peu de formalité.

Le couloir est plutôt court et tu arrives vite dans la pièce ou se trouve Umano Taku. Ladite salle est de taille raisonnable, ni trop grande ni trop petite, elle est seulement décorée de quelques peintures représentant les armoiries équestres du clan. Taku est debout, entouré de deux gardes du corps au regard neutre, ils restent assis par respect du protocole et alors que tu t'avances dans la pièce, ils posent front à terre.

Taku s'avance vers toi et tout en restant à distance raisonnable t'invite d'un geste de la main à t'asseoir en face de lui.

Il n'y a pas de table, seulement deux coussins et un service à thé posé au milieu. Alors que vous êtes enfin tous les deux assis, il prend la parole en premier.

" Tayake Shin? Navré je ne suis pas doué pour tout ce qui touche au protocole, j'ai beau être stratège de mon état, je préfère laisser tout ça à mon frère la plupart du temps. "

Esquissant un léger sourire, qui pourrait paraître narquois, mais lorsqu'on connaît Taku on sait qu'il n'en est rien.

" J'espère que vous avez fait bon voyage, je sais que joindre notre belle ville peut être éreintant lorsqu'on n'est pas habitués aux hauteurs "

Taku reste léger pour détendre l'atmosphère, après tout vous êtes tous deux jeunes et la réunion ne pourra que se passer mieux si l'ambiance est au beau fixe.

" Bien, bien. On ne m'a pas informé des raisons précises de votre venue, je vous écoute Tayake san. "

Conduits par le vieux serviteur, les trois Ondories entrèrent dans la pièce où ils étaient attendus, juste après que l'homme n'ouvre les écrans de papier. S'avançant jusqu'à garder une distance raisonnable, Shin se laissa tomber et posa front à terre. Même si les positions de ces deux hommes étaient quasiment égales, Taku restait le frère d'un seigneur. La voix de ce dernier lui permit de relever la tête afin de s'assoir en seiza. Au regard du guerrier, Taku lui semblait jeune mais mature en même temps, et ce sans qu'il ne puisse l'expliquer clairement. Surement ses yeux souriants qui le rajeunissaient, et cette façon d'être, épaulé par deux gardes. Assis dans cette pièce dépourvue de tout meuble accentuaient son autorité. Et déjà avait-il commencé par prendre des nouvelles du voyage.

" C'est un honneur de vous rencontrer enfin en personne. Bien entendu, cette visite n'aurait jamais eu lieu sans les chevaux que vous avez vendus aux Ondories. Ce sont les meilleurs qu'il m'ait été donné de monter. "

Les flatteries venaient de débuter, et elles seront légions tant Shin se les avait répété inlassablement tout le long du trajet. De plus, une enquête approfondie avait été menée sur les deux frères Umano, alors le chef de guerre savait qu'il mettait les pieds dans un domaine apprécié par Taku : les chevaux. Cependant ce qu'il dit n'était pas non plus un mensonge, il avait pensé chacun de ces mots, il suffisait juste d'en rajouter un peu. Et cela eut l'air de plaire au stratège.
Prudence. Car même si Taku restait à cet instant léger, presque amical, le vent peut être joueur et enjôleur.

" Le Seigneur ne passe par par quatre chemins, voilà une grande qualité. Il est vrai que le motif de cette visite n'était pas claire, mais soyez assuré qu'il ne puisse qu'être agréable... Votre façon de célébrer la Midori no Hi est parvenue jusqu'à nos oreilles, il me tardait de le voir de mes propres yeux. Si seulement le temps pouvait toujours être à la fête... "

Sur cette dernière phrase, Shin fixa le stratège droit dans les yeux, comme pour lui faire comprendre le sens caché sous les paroles qu'il venait de prononcer. Suite à quoi, il détourna le regard à la venue du serviteur. Les bras chargés d'un plateau en bois, il vint déposer les objets indispensables au chanoyu. Sous les empressements de Taku d'en savoir plus (j'avance un peu hein), Shin ne pu se retenir de continuer à parler.

" Le Seigneur Ondorie mène actuellement ses guerriers à défendre nos terres ; nous nous apprêtons à nous faire attaquer d'ici quelques mois, voire quelques jours. De sombres rumeurs circulent sur nos comptes du côté de l'est du pays... Toutefois mon seigneur pourrait mieux vous renseigner que moi à ce sujet. Il a dit qu'il essayerait de faire un détour pour venir lui aussi contempler cette fête dans Uma. "

Intérieurement, Shin s’inquiétait pour la sécurité de son seigneur qui ferait voyage sans sa protection. Il sera à coup sûr bien protégé, et bien évidemment il n'était pas le plus faible des guerriers, mais quand même cela le travaillait.
De plus, en ce moment précis le chef de guerre jouait un jeu qui ne lui plaisait guère. Lui d'un naturel franc parlé, mais pas seulement dans ses paroles, ses actions étaient toujours franches et directes, sans aucun détour ni piège, alors ce qu'il entreprenait en ce moment n'était pas sa tasse de thé. Mais tels étaient les ordres et Shin, loyal sujet et guerrier, s'exécutait sans mot dire.

Seiza : « s'asseoir correctement », est le terme japonais pour la façon traditionnelle compassée de s’asseoir.
Chanoyu : cérémonie du thé japonaise

La discussion se passe plutôt bien avec Shin qui arrondit les angles et gère son entretien diplomatique d'une main de maître. Assez proches en âge les deux jeunes hommes semblent bien s'entendre, ou du moins en donnent l'impression, l'atmosphère est sereine.

" Je vois où vous voulez en venir Tayake san, cependant il semblerait que je..."

Interrompu au plein milieu de sa phrase, le seigneur Ondorie fait son entrée, ne se présente pas, et manque d'honneur en déballant une tête morte sous les yeux du jeune stratège qui pris d'un réflexe de survie se recule d'un mètre.

Les deux gardes autour de lui ont la main posée sur la garde de leur katana sans montrer d'intention particulière ils se tiennent prêts, ils ne peuvent décemment pas brandir leur sabre en face d'un seigneur.

Reprenant ses esprits, Taku se rassoit correctement et tient ces quelques mots:

" Bienvenue seigneur Ondorie, il me semblait que cette entrevue était purement diplomatique. Je ne vous manquerais pas de respect en vous disant que vous venez de bafouer pas moins d'une dizaine de règles protocolaires en l'espace de dix secondes. Cependant je conçois votre position ainsi que la notre. "

Il se leva alors et mit ses mains dans son dos, tournant ce dernier à ses interlocuteurs il termine alors.

" Cependant Ichiro dono, il faut que vous compreniez quelque chose. "

Il se retourne alors.

" Umano est un clan majeur, notre puissance militaire égale quasiment la votre et nous avons la chance d'avoir un pacte nous assurant de la non-agression de ces "fameux" pays de l'est dont vous parlez. Pourquoi diable autoriserais je une tractation d'alliance entre nos deux contrées alors qu'Umano ne sera jamais menacée par vos ennemis. "

Le regard sérieux et accusateur, il était déshonoré, Taku le jeune gringalet dresseur de chevaux était parti. Taku le stratège, frère et bras droit d'Umano Kenji faisait face aux représentants d'Ondorie.

" Pesez bien vos mots Ichiro dono, pesez les bien. "

Le Seigneur de feu venait d'entrer dans la pièce où se trouvaient le stratège et le chef de guerre. Seigneur de feu, un surnom qui lui scia à merveille à cet instant. Les serviteurs de la maison s'affolèrent ; certains voyaient rarement tel spectacle, tandis que les plus aguerris couraient déjà chercher de quoi nettoyer le sang. Shin regarda la scène se dérouler sous ses yeux comme s'il était une petite fourmi, regardant deux ouragans se lever autour de lui. Il ne bougea point, resta en position assise parfaite.

Sans attirer l'attention sur lui, il remballa la tête dans son sac après l'avoir regardée ; l'homme pouvait être n'importe qui, surtout que l'on ne pouvait voir aucun signe de richesse, comme des vêtements ou des bijoux. Juste cette impression d'effroi, les yeux figés commençaient à blanchir pour ressembler à ceux d'un poisson mort. La bouche ouverte et crispée permettait également de constater la bonne dentition.

Shin referma l'étoffe, puis se leva nonchalamment afin de le donner à l'un des hommes aux traits doux qui l'accompagnaient. Il lui chuchota :

" Débarrasses-toi en loin, là où des enfants ne pourront pas tomber dessus par mégarde. "

" Le mieux est de la brûler. Purement et simplement, " se dit Shin en fixant le guerrier d'un regard flamboyant, afin que celui-ci comprenne l'ordre celé. Ses chuchotements avaient pourtant semblé être altruistes envers des innocents...

Restant ainsi debout après s'être décalé afin qu'un serviteur puisse nettoyer le sang, en arrière par rapport à son Seigneur, le jeune homme prit la parole afin de répondre à Taku.

" Oyakata-sama, permettez que je réponde aux interrogations de Taku-dono... Nous avons certes connaissance quant à l'existence d'un pacte de non-agression entre vous et les clans de l'est, toutefois pouvez-vous réellement leur faire aveuglément confiance ? Le Seigneur Suigyuuku est un animal jamais rassasié de sang. Quant au Seigneur Hitsujide... Il marqua une pause, comme pour chercher ses mots, et continua sur un ton plus pressant malgré lui : Les rumeurs vont bon train à son sujet, on dit qu'il n'est pas homme d'honneur. Qui plus est, nos espions ont remarqué des importations d'armes et d'armures dont la quantité frise l'inimaginable. Nous n'avons pas voulu y croire au début, mais tout ceci ne peut vouloir dire qu'une chose. Le tout est maintenant de savoir qui ils vont attaquer en premier. Nous ? Les Suigyuuku ? Ou vous ? "

Pas un homme d'honneur. Shin avait prononcé la pire insulte qu'il n'ai jamais formulé envers un autre guerrier. Si un jour quelqu'un venait à lui dire ceci sur son compte, sans nul doute préférerait-il s'ouvrir le ventre en recouvrant cet honneur perdu.
Cette insulte lui laissa un goût amer sur la langue. Il déglutit pour le faire passer. En vain.

" Taku-dono, ce que mon Seigneur veut que vous sachiez, c'est que si un clan immergeant peut s'attaquer impunément à Umano, alors qu'en est-il des clans plus importants, avec des armées plus imposantes ? Pardonnez-moi, mais votre neutralité est la cause de cet affront ; ils ne vous prennent pas au sérieux. "

Suite à ces réponses, Shin baissa humblement la tête, puis la releva avant de regarder le serviteur agenouillé qui épongeait le sang...

Shin essaie tant bien que mal de calmer la situation avec des mots, des mots empreints de sagesse. Taku n'est pas sourd et boit chacune des paroles du jeune lancier, cependant, il ne peut rester impassible face à l'affront.

Reculant encore quelque peu et échangeant deux trois mots avec ses gardes du corps et conseillers, il s'adresse alors de nouveau à ses hôtes.

- " Seigneur Ichiro, Tayake-san... J'ai décidé de ne pas donner suite à cette conversation qui vraisemblablement a pris des proportions qui dépassent mon simple rang de stratège du clan Umano. J'ai cependant reçu votre message et en parlerais à mon frère afin qu'il prenne une décision. "

Se cambrant légèrement, pour finalement s'incliner, il termina

- " Je prends désormais congé. J'espère que vous aurez apprécié votre venue à Umano, mes serviteurs vont vous raccompagner jusqu'à la sortie du palais. "

Se relevant quelque peu, il fixa Shin du regard avant de commencer à marcher vers la sortie de la pièce. Alors qu'il croise le lancier, il lui glisse ceci à l'oreille, assez bas pour qu'Ichiro n'entende rien.

- " Je vous attends à l'auberge du cheval ailé dans trente minutes, nous pourrons continuer à discuter juste vous et moi. "

Il sort alors de la pièce.

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L'auberge du cheval ailé est tenue par un ami de Taku qui lui assure alors une entrevue en toute discrétion. Prêt à recevoir Shin, il l’aperçoit alors et lui propose de le rejoindre. Les deux hommes se trouvent à l'étage de la battisse dans un coin isolé et à l'écart du bruit. Taku prend alors la parole.

- " Veuillez m'excuser du côté un peu officieux de cette rencontre mais j'avais besoin de continuer notre entrevue sans votre seigneur. N'y voyez aucune offense, mais je pense que nous pouvons discuter juste vous et moi et arriver à un compromis. "

Se taisant alors, il attend la réaction de Shin.