Comme de coutume, Bankichi et Risako mangeaient leurs bentos* à proximité du dôjo où ils s’étaient exercés la matinée. Cela faisait bien quatre ans qu’elle entrainait son fils et que ça lui plaisait. Le voir grandir, acquérir de l’assurance et devenir fort, toute en lui inculquant les valeurs fondamentales, était une de ses plus grandes joies. Bien que certains contestaient ce genre d’enseignement et préféraient l’éducation impitoyable de la plupart des guerriers, il conférait à Risako une certaine sérénité et Bankichi ne semblait pas s’en plaindre. Elle était d’ailleurs très fière que son fils ait gardé une part de pitié et de douceur alors que les garçons de son âge s’apprêtaient, si jeunes et si fiers, à obtenir leur wakizashi dans l’impatience de leur première bataille.

Malgré tout, Risako ne laissait passer aucune erreur, à la lutte comme à l‘épée, à l‘équitation comme à l‘arc. Elle avait conscience qu’un moindre écart technique pouvait se révéler fatal en combat réel. Elle sommait Bankichi de recommencer encore et encore, un geste pendant des jours et des jours, s’il le fallait vraiment. Elle lui apprenait ainsi la persévérance et, à force d’encouragements et de patiente, arrivait à ses fins. Son fils progressait doucement mais sûrement, et Risako attendait avec une patience résolue qu’il la quitte un jour pour tracer son propre chemin. Ca prendra le temps que ça prendra, mais ce beau jour arrivera et elle sera certaine qu’il sera prêt. Elle n’aura pas à s’inquiéter.

Ce jour-là était un jour comme les autres, tellement banal qu‘il pouvait être parsemé d‘impressions de déjà vue. Il faisait un peu frais, le ciel était clair et limpide. Les nettes silhouettes des montagnes du Nord-Est se découpaient à l’horizon et les feuilles des arbres bruissaient doucement sous le doux souffle du vent. En terminant son repas, Risako songea à cette ère de paix que traversait l’Hinomoto. Elle savait que cette paix était fragile, que Bankichi avait de la chance de n’avoir pas encore connu la guerre et ses mille souffrances, qu’elle ne serait pas éternellement établie. D’autant plus qu’une ombre la menacerait en puissance. On ne savait encore rien, mais il paraissait que des troupes alliées comme ennemies erraient en pays Nezumi. Elle avait entendu ça de la bouche de ses hommes et l'avait vu de ses yeux, peut-être n'était-ce rien...

Or, la mère avait reçu une missive quelques heures plus tôt. On l’avait ainsi informée qu’une mission se préparait et qu’elle lui était destinée. Risako caressa les cheveux de Banki, lui annonça qu’elle se rendait au briefing d’une mission, qu’elle avait beaucoup à faire et qu’il fallait qu’il se débrouille seul pour cet après-midi. Elle le quitta enfin, sans se retourner. Après tout, elle avait conscience qu’il se montrait de plus en plus débrouillard. Même si, il fallait l’avouer, la mère n’aimait pas lui annoncer qu’elle partait en mission. Elle le laissait seul, lui qui n’appréciait guère la compagnie des autres enfants, pendant des jours et s’en mordait les doigts.

Cependant, Risako avait adopté ce masque guerrier où seul son regard rosé ressortait, acéré et déterminé. Elle se dirigeait d’un pas assuré vers son lieu de rendez-vous.

*panier-repas.

Spoiler:

L'entraînement était difficile mais la détermination du jeune guerrier était inébranlable. Il était prêt à consentir plus d'efforts qu'il ne le pouvait réellement pour arracher le moindre compliment à sa chère mère. Il travaillait dur depuis déjà de nombreuses années et était persuadé d'être en bonne voie pour devenir un héros malgré ses nombreuses faiblesses.


Il n'était pas très bon au tir à l'arc, sans être ridicule non plus, n'était pas encore très à l'aise en équitation et ce malgré l'empathie qu'il entretenait avec tout les types d'animaux mais était en progrès. Il était très agile et cela l'aidait à mains nues mais il manquait encore d'affirmation et de confiance. Mais c'était au sabre qu'il était le meilleur. À des lieux du niveau de sa mère ou de n'importe quel vrai guerrier il était cependant très doué comparé aux jeunes de son âge. Mais il était si doux et gentil qu'on pouvait se demander s'il en serait de même dans un vrai combat et s'il serait capable de tuer son adversaire.


Toujours attentifs aux conseils et aux enseignements de sa mère il lui arrivait cependant fréquemment de perdre sa concentration ou de refuser de faire une fois de plus un geste qu'il répétait depuis le début de la matinée. Cependant une remontrance de sa mère suffisait généralement à le faire obtempérer.


Aujourd'hui était un jour comme les autres et l'entraînement s'était déroulés sans problèmes particuliers. Bankichi avait même obtenu de sa mère un compliment relatif sur ses derniers gestes de kendô. Il progressait et en était très content. Sa bonne humeur retomba quand sa mère lui annonça qu'elle allait bientôt partir en mission et qu'elle allait à une réunion préparer tout ça. Bankichi la regarda partir et reprit son entraînement pendant encore deux heurs avant de finalement rentrer à la maison. Il allait préparer un bon dîner pour sa mère qui serait très contente de pouvoir prendre des forces et déguster un bon repas dès son retour à la maison. Il allait également lui préparer de quoi emporter. Il se rendit compte alors qu'il ne savait pas combien de temps elle partait et décida donc de préparer suffisamment de nourriture à emporter pour trois repas. Il espérait que cela serait suffisant, il n'avait pas vraiment envie que sa mère soit loin plus longtemps que deux journées à vrai dire. Il s'affaira donc en cuisine en attendant son retour.

«Est-ce que Obaasan vas guérir? »

Suzume s’approcha timidement de la propriétaire de l’okiya qui sortait de la chambre de la doyenne de l’établissement. La propriétaire lança un regard épuisé à la jeune geisha; les choses n’allaient pas en s’améliorant :

«Sa santé est précaire… Il n’y a pas grand-chose à faire, il nous faut attendre.
- Est-ce que je peux aider Okaasan? N’y-a-t-il rien que je puisse faire? »

Okaasan observa Suzume un instant, hésitante, puis soupira :

«J’aurais aimé y aller moi-même, mais puisque je n’ai pas le choix… À l’orée de la ville vit un vieil herboriste, avant c’était lui qui faisait les prescriptions Obaasan pour notre Okiya, mais il n’est plus en âge de se déplacer jusqu’ici, il est déjà chanceux de pouvoir cueillir ce qu’il lui faut dans la montagne, il vaut donc mieux ménager ses vieux os. Tôt demain matin tu partiras chez lui et tu lui donneras une note de ma part. Lorsqu’il t’aura remis les médicaments Obaasan, je veux que tu retournes ici immédiatement. Et surtout ne traines pas! Je ne veux plus d’histoire de ta part Suzume!
- O-oui Okaasan…»

Sur ce Suzume se retira. En effet, il valait mieux ne pas trainer demain, elle ne voulait pas se faire réprimander une deuxième fois pour une erreur. Tout de même, sortir un peu de l’okiya après tout ce temps et prendre l’air allait lui faire le plus grand bien. Un long après midi s’annonçait devant elle, elle devait encore servir ses grandes-sœurs et s’entraîner en vue de son mizuage qui arrivait à grand pas.

Peu après son arrivée, Risako ne fut aucunement surprise de trouver son amie Mitsuko ainsi qu’un envoyé du Seigneur au lieu du rendez-vous. Elle fut même heureuse de constater que la Grande Prêtresse avait tenu parole, et même mieux, s’était proposée pour mener à bien cette affaire. En effet, il y a quelques jours de cela, Risako avait rejoint et averti son amie comme quoi une troupe quelconque avait été aperçue aux abords de Nezumi. La Grande Prêtresse ayant une influence bien supérieure à celle de la capitaine, s’était chargée d’en avertir le Seigneur Nezumide et, de fil en aiguille, avait obtenu cette réunion.

Bien qu’il soit peu officiel, le message était clair et bref. Mitsuko aurait un grand rôle dans cette mission en tant que symbole de paix entre clans. Risako, employée là-dedans comme simple garde du corps, se devait de manier les armes avec sagesse et sans jamais en abuser plus que nécessaire. La tempérance demeurait reine en toutes situations. Bien sûr, ceci était l’un des piliers fondamentaux de l’éducation des guerriers, mais il était toujours pratique de le rappeler. La grande discrétion de la jeune femme serait alors son plus bel atout pour assurer Mitsuko en sécurité.

Comme il était de devoir de garder l‘affaire secrète, il fut décidé de partir le lendemain afin d’écarter tout soupçon extérieur. Le soir venu, Risako quitta donc les deux Nezumides avec lesquels elle avait longuement discuté, puis rejoignit avec bonheur son fils qui s’était attelé au repas et à la table. Ils dinèrent ensemble et en silence. Comme toujours, le repas était un véritable délice. Quelle chance elle avait d’avoir un enfant qui cuisinait si bien !

Cependant, la mère n’était pas d’humeur à s’extasier aux contacts de la nourriture. Mal à l’aise et transparente dans sa façon de manger, elle cherchait un moyen de dire à Bankichi qu’elle partait pour elle ne savait combien de temps. Elle espérait qu’il saurait se débrouiller tout seul durant cette absence indéterminée, elle avait même songé à engager quelqu’un pour s’occuper de lui et elle avait toutes les raisons du monde de s’inquiéter. Douze ans, c’était vraiment trop jeune pour mener sa vie comme un adulte.

Ce fut au coucher que Risako trouva le courage de lui avouer qu’elle ne savait pas quand elle rentrerait, qu’elle allait tout faire pour rentrer et rapidement. Elle lui parla même de la place de la mort dans l’existence du guerrier alors qu’elle évitait habituellement d’employer ce sujet. La mère ne voulait pas inquiéter son fils, mais il fallait qu’il en soit conscient…Après l’avoir soigneusement bordé et lui avoir embrassé le front, elle partit dormir sans un mot de plus.

Le lendemain matin, Risako fut bien heureuse de trouver trois repas dans la cuisine qu’elle emporta avec elle. Comme il était encore tôt, elle ne put réveiller Bankichi qui dormait à poing fermé. Elle se contenta de lui embrasser la joue, puis se dirigea vers le lieu de rendez-vous d’un pas sûr et résolu.

Alors que sa mère rentrait à la maison, le jeune Banlichi savait pourquoi elle était aussi soucieuse. Il attendit cependant gentiment qu'elle arrive à lui en parler, feignant l'ignorance. Mais, étrangement, elle se sentit obligée de lui parler de mort. Se demandant quelle mission on avait bien pu lui confier pour qu'elle soit dans un état pareil il eut beaucoup de mal à trouver le sommeil et dormi très mal. Il ne pouvait pas laisser sa mère affronter seule ce qui l'attendait. Il était bien décidé à aller avec elle, persuadé que tout les deux ils pourraient surmonter n'importe quelle épreuve.

Profitant de son insomnie passagère il était descendu à la cuisine pour préparer ses repas de voyage. Il était ensuite retourné dans sa chambre avec les repas. Il savait très bien que sa mère ne le laisserait pas partir avec elle et qu'il allait devoir la suivre en douce. Quand le moment serait venu il ferait son arrivée héroïque et l'aiderait à se débarrasser des méchants. À ce moment là elle serait bien obligée de reconnaître qu'elle pouvait avoir besoin de lui et ils finiraient la mission ensemble.

Il aimait sa mère de tout son cœur et était bien décidé à ne laisser personne lui faire de mal. Il était prêt à se battre pour la protéger ou tout simplement pour l'aider. Il était dans un demi-sommeil quand il l'entendit se préparer. Il se leva donc et s'apprêta à son tour à partir. Une fois qu'elle fut dehors il attendit un petit peu et sorti également. Il la suivit jusqu'au point de rendez-vous, prenant bien garde à ce qu'elle ne le voit pas. Il y avait une autre dame, elle lui disait quelque chose et il était certain de savoir qui elle était mais il ne parvenait pas à s'en rappeler. Tant pis, cela lui reviendrait sûrement et ce n'était de toutes façons pas des plus important. Il remarqua ensuite une jeune fille, un peu plus vieille que lui, et se demanda si sa mère n'avait pas pour mission de protéger une petite famille pendant un voyage quelconque. Il se demanda s'il n'aurait pas été plus sage de prévoir un peu plus de provisions, mais c'était trop tard maintenant.

La veille de son départ chez le vieil herboriste, un véritable ange gardien était tombé sur Suzume.

Il était déjà tard, mais la jeune fille avait encore quelques courses à faire pour l’Okiya. Ses mains bien remplis de provisions et des commandes personnelles de ses grandes-sœur, elle avançait tant bien que mal dans les rues achalandées de fêtards dans Nezumide. Toujours aussi inquiète pour son Obaasan et plongée dans ses pensées, elle ne fit pas attentions aux soûlards qui passait près d’elle. Un ceux-ci la bouscula, faisait tomber ses course qui tenait auparavant dans un équilibre précaire. C’est sans un certain soupir qu’elle se pencha pour tout ramasser alors qu’on tendit une main vers elle. Une fort jolie femme vint lui donner un coup de main, et une fois le tout terminer, le demanda si tout allait bien. L’inconnue avait dût lire l’inquiétude sur le visage de la jeune geisha et c’est avec une certaine réticence qu’elle hésitait dans sa réponse. Elle ne voulait certainement pas importuner cette dame avec les tracas de l’Okiya.
Qu’elle fut sa surprise alors que l’inconnue se présenta en tant que grande prêtresse du temple d'Iriwaku! Se confondant en excuses et en marque de politesse, elle était cette fois bien trop nerveuse et timide pour se confier à une si haute autorité, elle simple geisha. Mais devant la douceur et la gentillesse de Mitsuko, elle ne put que s’ouvrir à elle. Entre deux friandises, elle lui expliqua sa situation, sa grand-mère malade, l’impossibilité de sa mère adoptive de quitter son chevet, et de laisser l’okiya sans surveillance du même fait, et Suzume qui s’était proposé d’aller chercher le médicament nécessaire en dehors de la ville.

À ces mots, la prêtresse offrit son aide à la jeune fille, lui offrant de soulager la douleur de la vielle femme, ne pouvant tristement pas la guérir. La seule pensée de savoir que son Obaasan pourrait, du moins, dormir cette nuit sans souffrir et bien se reposer jusqu’à ce qu’elle puisse prendre ses médicament remplit le cœur de Suzume d’une joie immense. Ne pouvant cacher sa joie, elle offrit sont plus beau sourire à Mitsuko et la conduisit jusque chez-elle.

Une fois là-bas, les choses s’enchainèrent rapidement. La surprise d’Okaasan devant une invitée de si haute marque et de sa gentillesse, sa conduite au chevet de la malade et le refus catégorique de Mitsuko de laisser la jeune fille s’aventurer au dehors de la ville sans être accompagner.

C’est ainsi qu’elle pût s’accommoder d’un gîte pour la nuit et que le matin venu, Suzume rejoignit la grande prêtresse devant l’Okiya encore endormit. Ignorant tout des raisons ultérieures de la jeune femme et sa mission, la geisha ne pouvait être que reconnaissante de la protection de Mitsuko qui empruntait le même chemin qu’elle.
Elles partirent donc en chemin, pour rejoindre l’escorte de la prêtresse pour ce qu’elle pensait être probablement un pèlerinage. Une fois au point de rendez-vous, Suzume fût présenté à Takahara Risako, un des capitaines du clan. Suzume n’arrivait toujours pas à croire qu’elle pouvait être en compagnie de personnes aussi importante, aussi elle ne pouvait que se montrer admirative devant ces modèles de femme qui ont sût briller dans leur domaine. Alors que Mitsuko confiant à Risako quelques préoccupations, Suzume se sentit observer et crut apercevoir quelqu’un les espionner du coin de l’œil. Tournant discrètement son regard vers la source de pressentiment, elle aperçut un jeune garçon, à peine plus jeune qu’elle les observer de loin. Lui offrant un sourire, pensant qu’il devait observer ses deux compagnes avec admiration, elle ne fit pas grand cas de ce petit bout d’homme qui les suivait discrètement.

Dans l’air frais du matin, le jour s’était doucement levé sur Nezumi. Risako attendit un moment l’arrivée de son amie avant de la voir accompagnée d’une jeune fille apparemment un peu plus âgée que Bankichi. Cette nouvelle la mécontenta. Elle n’avait pas envie d’impliquer des personnes extérieures dans cette affaire, surtout si elle s’avérait dangereuse. Fronçant les sourcils, la samouraï allait donc apostropher Mitsuko là-dessus après l’avoir poliment saluée. Mais devant les explications de la Grande Prêtresse et l’atout que ce détail leur apportait, elle fut contrainte de s’effacer. A cet instant-ci, Risako sembla gênée; elle espérait sincèrement que son amie soit consciente de ses décisions.

Risako fut donc présentée à la petite Suzume avec courtoisie, bien que cette première ne pouvait s’imaginer de nouvelles responsabilités. C’est alors que Mitsuko remarqua habilement le tracas profond de la mère et lui proposa d’abandonner sa mission. Ce à quoi Risako répondit par un refus catégorique et n‘ajouta rien de plus pour entamer le trajet. Son regard ,rivé devant elle, était si empli de colère qu’elle ne remarqua même pas Bankichi et qu’elle ne prit pas la peine d’organiser la marche.


Elle ne comptait plus le nombre de fois qu’elle avait entendu ses paroles. Et elle était vexée que cela vienne de la bouche d’une amie. Voilà tout le dilemme de la samouraï mère. Il fallait faire un choix. Si elle commençait à refuser les missions avec pour prétexte qu’elle avait un fils et qu’il fallait qu’elle s’en occupe, alors elle comprendrait la disgrâce que le clan lui infligerait. Il ne pourrait se permettre de garder un capitaine vacant. Et sans son poste, les kokus nécessaires pour s’occuper de Bankichi et de leur demeure leur seraient arrachés. Ils seraient donc contraints de vivre, si elle le pourrait encore, sous l’autorité d’un membre masculin de sa famille jusqu’à ce que son fils devienne indépendant et fonde lui-même sa propre famille. Elle ne pouvait s’abaisser à cela, et jamais, que les kamis la gardent, elle n’y serait obligée.

Finalement, après quelques minutes de marches, Risako abandonna sa colère en se disant que Mitsuko n’avait peut-être pas pensé aux conséquences de sa proposition. Tout compte fait, la Grande Prêtresse, malgré toutes ses études, n’était pas de la caste des guerriers, elle ne pouvait donc comprendre ce que tout cela impliquait. Calmée, la samouraï rejoignit ses compagnonnes de route dont elle s’était éloignée de quelques pas. Elle laissa Suzume qui s’était avancée, certainement pour guider la marche et garda Mitsuko non loin d’elle.

Elles marchèrent une journée entière ainsi, s’accordèrent quelques rares instants de repos, sans rien voir de plus que des chemins calmes et peu empruntés. Cependant, à la tombée de la nuit, d’étranges bêtes firent leur apparitions avec la fraîcheur et l’obscurité nocturne. Il s’agissait, si Risako en croyait bien ses yeux, d’espèce de créatures mi-hommes mi-cafards. Elle n’en avait jamais vues auparavant et leur seule vision suffit à faire couler une sueur froide dans son dos. Elle demeura interdite, stupéfaire, figée un moment alors que la bête était sur la pauvre petite Suzume, désireuse de l’égorger.


Ce brusque éclair de lucidité lui fit dégainer son katana et plonger in extremis sa lame dans le crâne de la créature, histoire d’éloigner sa tête immonde de sa pauvre victime et de vivement l’en extirper. Deux autres montres du même gabarit apparurent alors. Si c’étaient effectivement des Yokais, Mitsuko pouvait certainement les en débarrasser. Mais Risako devait encore la protéger, elle ferait de même pour Suzume. Il fallait l’avouer, elle était un peu le bouclier dans cette histoire. Elle sourit, puis…

S’encourageant d’un cri perçant, Risako fonça sur les bêtes avec pour intention, sinon de les expédier dans l’autre monde, de les éloigner de Mitsuko et de Suzume. Elle avait remarqué qu’il surgissaient des buissons noirs de nuit et elle espérait, les sens aux aguets, qu’il n’y en avait pas d’autres ,dans les parages, qui ne s’en prennent à ses protégées avant de s‘en prendre à elle.

Il était temps pour la Grande Prêtresse du temple Iriwaku de montrer ce qu’elle savait faire, à son tour.

Ses jambes le brûlait, il n'avait pas l'habitude de marcher aussi longtemps et ses divers entraînement faisaient surtout travailler ses bras, qu'il s'agisse du sabre ou de l'équitation. Passer toute cette journée à marcher ne lui plaisait pas, d'autant qu'il ne pouvait même pas profiter du sentier, pour rester caché, et devait progresser le plus à couvert possible, faisant parfois des détours ou prenant des passages plus dangereux que le sentier si agréable que le reste du groupe parcourait.
Il ne savait pas comment il avait pu ne pas être repéré jusque là, bien que celai ait failli arriver par trois fois depuis le matin, mais en était très content. Tout ce qu'il espérait maintenant c'était qu'ils s'arrêtent pour la nuit. Et l'évidence le frappa : il allait devoir dormir tout seul dehors à une distance respectable d'eux et espérer qu'il ne se réveille pas après qu'elles ne soit parties.

Il fut tiré de ses pensées par un mouvement dans les buissons sur sa droite et vit une créature hideuse ressemblant à un cafard humanoïde se dresser pour lui barrer la route. Sous l'effet de la panique, ses jambes lui parurent moins lourde et il s'élança aussi vite qu'il put sur la gauche, faisant un crochet pour contourner la créature. Il était rapide, très rapide, il se pensait même être le plus rapide garçon de Nezumi, bien qu'il n'ait jamais pu en être certain. Il n'aurait aucun mal à semer ce gros cafard puant dans les bois, sans perdre la trace du petit groupe qu'il suivait. Tout ce qu'il restait à espérer c'était qu'il n'y en ait pas d'autres.
Une fois qu'il fut hors de vue de la créature, après avoir couru sur près de cent vingts mètres, il se cacha sous un buisson et attendit, sentant son cœur battre à tout rompre. Il entendait les bruits d'un combat et sut que sa mère, la prêtresse et la jeune fille étaient attaquées. Il aurait bien voulu aller à leur secours mais sa mère n'allait pas se laisser battre par des créatures aussi moches, même si elles venaient à vingt en même temps. Il préféra donc rester caché, préférant garder pour plus tard son arrivée héroïque.

L’arme au poing contre les derniers Yokai, Risako avait le cœur battant. Elle ne devait, et surtout ne pouvait, laisser la Grande Prêtresse se battre seule. Mais lorsque, suite à une puissante bourrasque, elle trouva Bankichi sonné devant elle, elle éprouva une certaine crainte qui, soudain, la déconcentra.
S’il était gravement blessé, que ferait-elle ? Pourquoi l’avait-il suivie malgré sa conduite habituelle ?

Elle ne put s’empêcher d’omettre la bataille un moment pour s’enquérir de l’état de santé de son fils avec une inquiétude insupportable, avant de le rétablir sur ses jambes. C’est alors qu’au-delà des bruits parasites du combat, un vacarme grandissant et une ombre gigantesque lui fit lever la tête. Au-dessus du groupe, une multitude de bulles et une forme énigmatique menaçaient ceux qu'elle avait à protéger. A la lumière, cette dernière prit la forme d’une grande, très grande et immonde limace aux bras des plus minuscules.
Bien sûr, dans l’esprit de Risako, il s’agissait d’une autre sorte de Yokai. Et bien plus dangereuse aux vues du chemin qu’elle avait tracé à travers la foret et des horribles bulles qu’elle produisait à ces épaules.

Le gros Yokai hurla et rit. Subitement, une bulle de la douzaine éclata, puis une autre…Risako eut à peine le temps de se baisser avec son fils que les vents violents les frappaient déjà. Elle espérait que Mitsuko ait eu la même idée et surtout que la petite Suzume pourrait encaisser le choc. La trentenaire se releva peu après, sonnée, laissant Bankichi se redresser à son tour tout en espérant qu’il ne cèderait pas à la panique. Elle constata plus ou moins rapidement _ ses sens étant gênés par la précédente attaque _ ,que les yokais aux airs de cafards avaient tous été soufflés et qu’à présent, la créature préparait une bulle lente mais phénoménale.
Elle ne pouvait laisser le petit groupe risquer ce danger.
Il fallait fuir.

« Courrez ! » hurla-t-elle alors qu’elle fonçait vers Mitsuko, Bankichi dans les bras.

Risako le lui remit bien vite et se plaça en fin de file pour pouvoir bloquer et riposter en cas d‘accident. Elle espérait que la limace traine encore un peu la préparation de la bulle géante, car elle avait une idée pour, sinon l‘exterminer, la ralentir. Et elle espérait que cela fonctionnerait.
Suffisamment loin du monstre, la guerrière prit le temps de viser la préparation avant de décocher une puissante onde de choc. Il s’agissait du don Lame Lumière dont Tachigami avait doté les enfants du clan Nezumide, et Risako espérait que celle-ci se révélerait assez forte et tranchante pour éclater la bulle dans la gueule de l’horrible limace. Elle se sentit vidée. Elle priait intérieurement les kamis, ne quittant pas la bulle des yeux, espérant sincèrement que l‘attaque serait efficace...

Alors qu'il se croyait tiré d'affaire, le jeune garçon fut soufflé par une onde de choc venant de derrière lui. Il fut sonné et ne reprit pleinement ses esprits que quand sa mère le confia à Mitsuko. Il découvrit la limace géante qui était totalement ridicule avec ses bras atrophiés, mais l'humeur n'était pas à la rigolade.


« Ecoute moi Bankichi. Je veux que, toi et Suzume, vous retourniez au village. Cet endroit est trop dangereux pour vous. »


Avant qu'il ne puisse protester elle lui posa un doigt sur la bouche et se détourna pour aider sa mère. Il jeta un oeil sur la jeune fille, Suzume, et sur la route derrière eux. Retourner en arrière était pûrement du suicide, il y avait sans doute d'autres hommes-cafards moches qui se cachaient dans les sous-bois. Seul il pourrait probablement y arriver, mais il doutait que Suzume puisse courir aussi vite que lui.

Il se sentait honteux de son entrée ridicule mais était bien décidé à ne pas avoir fait tout ce chemin pour rien. Sa mère se battait, elle prenait des risques, et on lui demandait de s'enfuir ? Non. Les héros ne fuyaient pas, pas quand ceux qu'ils aimaient risquaient leur vie. Quand ils fuyaient c'était en dernier, avec ceux qu'ils devaient protéger ou juste après eux.

Il voulu contourner la grosse créature pour tenter quelque chose mais il se rappela de Suzume. Il ne pouvait pas la laisser toute seule, c'était trop dangereux. Il n'avait pas le choix, il devrait la protéger.

Il tira Suzume par la manche et s'engouffra sous le couvert des arbres avec elle. Il voulait contourner la créature pour essayer de trouver un point faible qu'il pourrait exploiter... ou au moins trouver un moyen de détruire les bulles que la grosse limace pourrait créer. Il laissa Suzume cachée un peu en retrait, pour qu'elle ne court aucun risque, et s'avança, caché, vers le flanc de la limace.

L'attaque de Risako est un succès, ou tout du moins un sursis.

La bulle explose dans la gueule de l'immondice et la coupe littéralement en deux. Son sang blanchâtre se répand alors tout autour, peignant les arbres et les visages des combattants. Cependant ce n'est pas encore terminé.

Maintenant séparée en deux parties Rokubi no Namekuji est deux fois plus dangereuse. Bien que n'étant pas réellement rapide elle peut se permettre de contourner les défenses adverses afin de viser ce qui pourrait la détruire: Mitsuko. Cette bête immonde est donc douée d'intelligence mais devant le danger elle choisit le mauvais chemin.

Tentant de contourner Risako, elle passe non loin de Bankichi et de Suzume qui ont maintenant l'opportunité de la retenir et alors que la deuxième partie passe de l'autre côté, Risako peut s'en occuper aisément.

L'heure du coup de grâce est arrivée, il ne reste plus beaucoup de temps avant que Mitsuko puisse lancer son puissant sort, c'est une question de minutes et tous les protagonistes vont devoir se lancer dans la bataille pour protéger la grande prêtresse.

L’attaque Nezumide avait sectionné en deux parties la limace, mais à la grande surprise de Risako _dont la silhouette se trouvait tachée du sang blanc de la créature_ celle-ci n’était pas morte. Au contraire, elle était devenue deux fois plus dangereuse, d’autant plus qu’elle avait décidé de contourner ses ennemis pour atteindre directement Mitsuko dont le sort tardait.
Risako, qui s’était assurée que son fils et la petite geisha n’avaient rien à craindre, cachés dans les buissons, s’élança pour protéger Mitsuko qui se retrouverait certainement cernée par l’immonde créature. Heureusement, Akimitsu était là pour l’aider et il sauva maintes fois sa maîtresse des coups de la limace. Risako se trouva impuissante face au Yokai. Armée de son katana d’une main et de son Wakizashi de l’autre, elle repoussait tant bien que mal l’ennemi qui n’avait pas l’air bien sensible aux coups.

Tout à coup, elle érafla une petite bulle et changea immédiatement la partie de son corps la plus exposée en lame solide, ce qui n’empêcha pas l’explosion de la propulser quelques mètres plus loin où elle rencontra un arbre et en fut assommée. Ce petit stratagème permit à une des deux limaces de glisser ses bulles avec empressement jusqu’à Mitsuko, mais le providentiel Akimitsu veilla à ce que la prêtresse n’ait aucun dégât.
Risako reprit ses esprits alors qu’une irradiante lumière pulvérisait les Yokais. Elle ne comprit pas ce qui se passait alors et son cœur battait à tout rompre. Elle n’eut pas le temps de penser à son fils que la lumière s’était déjà évanouie. Voyant son amie tomber à genoux, véritablement exténuée, elle prit enfin connaissance du déroulement des faits. La puissance de la Grande Prêtresse était tout bonnement impressionnante, d’autant plus que Mitsuko assurait qu’il n’y avait plus rien à craindre, que Risako pouvait rejoindre Nezumi avec son fils. C’en était fini des Yokai envahissant la foret.

Debout, en face de son amie et entourée de Bankichi et Suzume, Risako vérifia que tout le monde semblait en forme après cette aventure et avisa les risques qui se présentaient alors. Si la foret était débarassée des Yokai, restait la menace humaine. Mais celle-ci avait du se frotter aux dangereuses créatures et, à moins d’avoir été accompagné par un religieux _ce qui étonnerait Risako_ elle ne donnait pas cher des peaux de quelque bandit. Sérieuse, elle hocha la tête en réponse à Mitsuko et lui dit :

« Heureusement que tu étais là. J’aurais du te protéger, mais au final, c’est toi qui nous a tous sauvé. Merci… »Et alors que personne ne s’y attendait, elle serra Mitsuko dans une brève étreinte de reconnaissance.
« Fais bonne route et attention à toi et à Suzume. J’espère te revoir bientôt. »

Il était peut-être incorrect de serrer quelqu’un dans ses bras; encore plus quand il s’agissait d’une prêtresse , mais Risako portait une si grande amitié à Mitsuko qu’elle n’avait su s’y empêcher, entrainée par la reconnaissance et la joie. Sa mission se terminant ici, Risako s’en alla avec Bankichi, après avoir salué Suzume et Mitsuko.

[FIN]