Ennemis naturels, ennemis éternels..

Une brise fraiche matinale s'infiltra dans l'infime passage que permettait les portes " Fusuma ", renforcées et coulissantes, de la sombre pièce du Maitre des lieux; Son action rafraichit l’atmosphère ambiante. Une perception importune pour un corps accoutumé à la chaleur, qui plus est, en pleine transition entre le sommeil et l'éveil. Au levé du soleil, en plus du souffle zéphyrien, un chaleureux rai de lumière transperça les ténèbres opaques de la pièce, illuminant partiellement le buste nu du Seigneur Ondorie; Allongé sur son futon, en proie à quelques réflexions existentielles..

Une équipe de servantes organisées, ainsi que deux subalternes, attendirent patiemment dans le couloir. Le silence y était absolu..

.. Ichiro se leva, sans faire de bruit et réalisa sa tâche du matin, l'unique: Le rangement de sa chambre à coucher. Cela n'avait pourtant jamais fait partie de son éducation, inévitablement, tout au long de son existence et précisément après la mort de son père, il avait développé un gout très prononcé pour l'indépendance et la solitude, en plus d'un effroyable sens de la discipline; Rigoureux avec son entourage, coriace envers lui-même. L'idée obsessionnelle, d'être l'image symbolique de toute une nation.. Que cela était dû à une brillante stratégie, ou tout simplement au narcissisme, l'ordre essentiel était maintenu, au sein d'un peuple prospère.

Dans l'ordre, il disposa d'une manière convenable, la couette " Kake-buton ", soigneusement pliée sur le matelas " Shiki-buton " et sur cette masse, l'oreiller " Makura "; Le tout proprement rangé dans le placard à portes coulissantes " Oshiire ". Une fois sa tâche accomplie, Ichiro se tint debout sur sa terrasse et profita d'un requinquant bain de lumière, paupières closes. Doucement, la séance de méditation, face au soleil levant, évolua vers un exercice physique qu'il entama et conclu, par de longs étirements. Un rituel matinal, qui lui assurera, flexibilité, chaleur, et bien-être intérieur, tout au long de la journée..

Après un temps nécessaire, pour faire sa toilette et se vêtir de vêtements légers, la porte d'entrée de la chambre coulissa par son action. Nul ne croisa son regard, toutes courbèrent respectueusement l'échine, dans un premier temps.. Le Seigneur s'engagea dans le couloir, suivi de près par ses subalternes. Comme tous les matins, les servantes firent face à une situation qui n'inspirait qu'un sentiment d'inutilité et de frustration. Une chambre parfaitement rangée, ouverte et aérée, accueillant la douce chaleur du Soleil..

Subalterne : " Maitre, votre nuit a été agréable ? Vous semblez être en pleine forme ! "

.. Rectitude. Maitre absolu de son apparence extérieure et même ses yeux, pourtant miroir de l'âme, savaient manipuler la vérité.. Un regard légendaire, terrifiant, fascinant; Troublant.. Mais un pouvoir impuissant face aux implacables démons intérieurs, cachés dans les tréfonds de son âme. Une poignée d'heures de sommeil par nuit, des épisodes cauchemardesques et incessants, au sujet de son défunt père.. Il croyait en une vengeance salvatrice; Que par l'absolue désintégration de ses ennemis, il trouverait le repos..

Subalterne 2: " .. Vous êtes très attendu par un envoyé du Clan Toragi.. "

Qu'il s'entretienne avec mes conseillers, je n'ai pas de temps à lui consacrer..

Marchant derrière lui à bonne distance, ils s'échangèrent un regard soucieux.

Subalterne: " M-Maitre, il a décliné cette proposition, il y a peu.. Et tient, absolument, à vous rencontrer, il s'agit d'un haut fonctionnaire.. "

Un long soupir marqua son agacement. Les deux complices, intimidés, mirent un peu plus de distance, à ce moment précis, craintifs. Vivre pour le Clan, l'honorer; Au delà tout était vide.. Dans l’intérêt d'un pays, Ichiro s'engagea dans un autre couloir, qui le mènera à la salle de réception.

L'entretiens fut bref. Ichiro était demandé par Toragi Araki, lui-même, pour des affaires politiques.. Sans perdre de temps, ses conseillers invoquèrent une unité d'élite qui l'escortera, tout au long de son " voyage d'affaire ". Ichiro revêtit les vêtements adéquates pour marquer son statut et s'entretenir avec un autre seigneur, d'égal à égal, aussi pour convenir lors des rituels traditionnels; Des vêtements onéreux, trop épais et colorés à son gout..

Le voyage avait débuté, deux heures après l'Aube.. Les Ninjas couvraient un large périmètre et ouvraient la voie, en toute discrétion; Les Samurai assuraient une garde rapprochée, autour du Seigneur Ondorie et de l'émissaire du Clan Toragi, tous deux, installés sur des vigoureuses montures qui trottaient à bonne allure..

Le groupe choisit de contourner la chaine de montagne " Shuho ", et utiliser la voie terrestre qui reliait " Teryama " et " Tora ".. L'expert du groupe, avait fait appel à sa sagesse et son expérience: " Traverser une ou deux montagnes, plutôt qu'une dizaine, quitte à voyager plus longtemps.. ". En effet, les montagnes étaient dangereuses, en plus des voies sinueuses et accidentées, les fréquentes embuscades engendrés par des brigands adaptés aux conditions rigoureuses de la vie en montagne..

.. Trois jours de voyage se sont écoulés, en somme, tout s'était bien passé.. Le groupe voyageait, en pleine après-midi, sur une longue plaine verdoyante, bercée par des vents chaleureux.. Il s’apprêta à s'engager dans une forêt dense, située au dessus du temple de " Teryama ", au pied de la montagne.. Mais..

Guerrier Samuraï: " Maitre, quelque chose ne va pas ?.. "

.. Ondorie Ichiro, freina sa monture, se faisant distancer par le groupe..

Emissaire du Clan Toragi: " Et bien, et bien ! Seigneur Ondorie, ne sommes-nous pas assez en retard ? Pourquoi fixez-vous ainsi l'horizon ? "

.. L'horizon, en effet, apportait un vent nouveau depuis quelque instant; Un vent nettement plus frai que l'instinct de l’honorable Bushi, détermina comme un signe de mauvais augures.. Ses yeux scrutèrent le trait d'horizon, il descendit de sa monture, sans se détacher de l'objectif, l'herbe fraiche se froissa sous ses pas lourds..

Emissaire du Clan Toragi: " Seigneur Ondorie ! Dois-je vous rappeler que le Seigneur Toragi, patiente en ce moment même ? .. M'écoutez-vous ? "

Silencieux, imperturbable et serein, il vit au loin des ombres prendre forme..

Emissaire du Clan Toragi: " Qu-Qu'est ce que.. Là-bas, au loin, qu'est-ce donc ?! F-Faites quelque chose, cela vient vers nous !! "

Les jacassements du couard attirèrent l'attention de tout le monde, le groupe était totalement en arrêt..

" Mitsuru sama, vous ne pensez quand même pas y aller vous même? C'est bien trop dangereux et il y a trop peu d'hommes disponibles pour vous assurer une escorte digne de ce nom. Moi vivant jamais je ne vous laisserais partir ! "

Des cris dès le matin, un stratège nouvellement introduit au conseil de Suigyuuku voulait imposer sa loi à son seigneur. Il avait encore beaucoup à apprendre de celui qu'il avait juré de servir. Dos à lui, Mitsuru laissa échapper un bref soupir avant de porter sa main droite à son épaule gauche en le faisant légèrement craquer. Il n'était pas énervé, il n'était pas déçu, il comprenait parfaitement le dévouement aveugle qui animait son conseiller, après tout un seigneur normal n'aurait jamais pris de tels risques.

Les nouvelles étaient tombés comme une stalactite dans une caverne, ce fut rapide et brisant. Usagite serait en flammes et avec elle, Noriko serait en danger. Il n'y avait pas besoin d'une autre raison pour que le seigneur des montagnes daigne se déplacer lui même pour prêter main forte aux supposés survivants. Cependant, la probabilité que l'information soit fausse était aussi à prendre en compte, mais c'était sans connaître le feu qui habitait Mitsuru, il était de glace par allégeance mais il brûlait intérieurement et surtout à ce moment.

Se retournant alors vers le jeune stratège il tint ces mots:

" Ecoute petit, je te comprends, je sais ce que tu ressens, mais vois tu dans la vie il y a des choses qu'un homme doit faire. Peu importe que cela paraisse suicidaire, un homme se doit de prendre ses responsabilités, surtout quand des vies sont en jeu. Je ne peux pas rester les bras croisés. "

Se retournant vers son bras droit il termina:

" Jirocho fais préparer mon cheval, je pars dans quinze minutes, je vais essayer de rassembler une petite troupe pour m'accompagner. "

Sans dire mot, le vieil homme partit vers les écuries. Jirocho était fidèle, jamais il ne s'opposerait à ce voyage, surtout qu'il était un des rares à connaître les véritables motivations de son seigneur et élève de sabre.

Dix minutes plus tard, Mitsuru se trouvait devant la grande porte de Suigyuu, sur son cheval entouré d'une vingtaine de samouraïs triés sur le volet. Il s'agissait d'une garde d'élite, ils étaient tous des vétérans s'étant illustrés dans de grandes batailles. Ainsi peut être que la jeunesse saurait accepter la fougue de la vieillesse. Fixant l'ouest, Mitsuru ne dit mot et fit un signe de la tête à ses suivants afin qu'ils le suivent. Et c'est dans un silence mortuaire que la compagnie se mit en route au galop.

Pendant tout le voyage l'ambiance était pesante, tous les guerriers sentaient que leur seigneur n'était pas dans son assiette, il avait le visage crispé et bas, pressant l'allure alors que les montures semblaient ne plus pouvoir suivre le rythme imposé.

Il fallut pas moins de quatre jours au cortège pour atteindre les contrées de l'ouest, et au loin se tenait le temple de Terayama, signe qu'ils étaient maintenant bien loin de leurs montagnes natales. L'après midi était chaude et idéale pour un voyage continu sans pause, il fallait encore une petite semaine pour arriver jusqu'à Usagite et à moins de rallonger par Hebi, très peu de villages accepteraient d'accueillir des samouraïs de Suigyuu, les ennuis commençaient donc maintenant.

Les chevaux étaient épuisés et le moral des hommes commençait à chuter, il était normal qu'ils doutent des raisons qui les avaient poussés à s'infliger de telles souffrances, mais dans l'honneur ils suivraient leur Daimyô. Droit comme un piquet sur son destrier, Mitsuru épiait les environs, maintenant qu'ils étaient entrés en territoire ennemi, ils ne pouvaient plus se permettre d'avancer tête baissée. Soudain le vent se leva et apporta de mauvaises nouvelles. La brise avait une odeur très particulière, celle des braises et des flammes. Levant le poing afin que ses hommes s'arrêtent, le seigneur mit pied à terre afin de prendre de la hauteur sans se faire repérer.

En haut d'une colline il put confirmer ses craintes, un attroupement Ondorie se tenait là en contrebas. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il aperçut Ichiro Ondorie en plein milieu. Un cruel dilemme s'offra alors au seigneur des terres du nord, il était pressé par le temps, mais l'assassinat du seigneur allié de Toragi pourrait faire prendre un tournant décisif à cette guerre de position insupportable pour l'Hinomoto.

Réfléchissant quelques instants il demanda à un de ses hommes de le rejoindre. Expliquant brièvement son plan il le laissa partir avant de regagner sa monture. Alors que ses suivants contournaient la colline pour prendre de revers les Ondorie, Mitsuru lui prenait la direction opposée afin de se retrouver face à face avec Ichiro qu'il était le seul à pouvoir battre.

L'assaut fut donné en un instant et les troupes des glaces fondèrent sur celles du kami coq dans un brouhaha de sabots et de métal. Mitsuru lui avançait sereinement vers son adversaire qui avait sûrement déjà senti sa présence. Sabre dans son fourreau il mit pied à terre de nouveau afin d'inviter Ichiro à en faire de même. Leurs hommes pouvaient donner libre court à leur imagination dans la mêlée, mais le Daimyô de Suigyuu voulait un duel dans les règles avec son homologue Ondori et ce dernier l'avait sûrement déjà compris.

Le feu contre la glace, qui en sortirait vainqueur?