Une journée monotone en apparence. La nature se présentait dans toute sa splendeur : des plaines, des rizières, quelques arbres se dessinaient aux alentours, illuminés par un soleil de plomb qui venait d'atteindre son zénith. Tout ceci faisait penser à une nature peu luxuriante ; quelque chose qui s'apparentait à un désert vert. Tel était le mot. Pas un oiseau, par un quelconque chant mélodieux, ne venait rompre le silence pesant. On pouvait en dire autant des grillons : il n'y en avait pas le moindre ! Tout ceci ressemblait à un "no man's land", et c'en était troublant lorsqu'on pouvait penser que les lieux étaient praticables et exempt de danger. Il n'y avait de vie que la végétation, comme hantée par ce calme infini qui se troublait peu à peu par des petites secousses qui se firent entendre au loin. À y tendre l'oreille, l'on reconnut le bruit d'un galop et, à l'horizon, se dessinait avec lenteur dans le mirage, la silhouette d'un Chevalier qui arpentait, au dos de son fier étalon, le chemin de terre qui le menait en direction d'une forêt avoisinante, constrastant littéralement avec le décor éclairé et désert de cette plaine.

Arrivé à destination, Shiro insista sur les rênes pour inciter sa monture à faire une halte ; s'en suivit un hénissement probablement dû à la douleur, vive mais brève, que causait le mors renfrogné vers la gueule du destrié. Il ne bougea plus d'un cil, tandis que le samouraï bondit adroitement pour rejoindre la terre ferme. Il se dégourdit légèrement après cette longue heure de voyage où il avait préalablement quitté Noguchi. Son combat avec Seshu-dono, un honorable stratège de Kobutama dont il avait fait la connaissance la veille, avait déjà commencé. Sans doute était-il déjà sur les lieux à attendre le samouraï Ryuuji qui se hâtait un peu plus chaque seconde à l'idée de faire attendre son adversaire. Et quel adversaire ! Il était venu à bout de la grande prêtresse de Nezumide qui, il faut le dire, n'était pas une dame des plus tendres en matière de duel. Mais Shiro avait sa part de notoriété ; il était celui qui était parvenu à bout du chef de guerre Sahura en un temps record. Sans doute promettait-ce d'être un duel... Croustillant. Serrant du mieux qu'il pût nombre de ficelles servant à accomoder son keikogi de sorte à ne pas obstruer ses mouvements, s'armant de son bokken, il s'engouffra dans cette forêt de bambous...

L'air était lourd et humide. La vision du samouraï était obstruée par ces centaines, non, ces milliers de troncs verdâtres qui peuplaient l'espèce de sylve dans laquelle il se sentait dès lors piégé. Un terrain sur lequel il n'avait l'habitude de combattre et dont il faudrait rapidement tirer parti. Il prit la décision de se défaire de ses zooris pour marcher plus discrètement, jetant des regards çà et là pour voir si l'éventuel sanglier ne chargerait des airs. Tout était possible, et au fur et à mesure que les minutes passaient, la tension montait et affectait profondemment le jeune homme qui ne put qu'afficher un air grave et ses pupilles de s'illuminer d'un jaune doré, telles deux citrines luisantes s'assortissant de plus belle avec le ton vert de cette jungle hostile. Les ennuis n'étaient pas loin. Il ressentait un esprit guerrier des plus opressant, le stratège de Kobutama n'était plus très loin et Shiro venait de se rendre compte qu'en venir à bout ne serait pas une partie de plaisir. Mais fort de sa sensibilité à percevoir l'aura de ses pairs, il eut comme un déclic ; ni une, ni deux, il prit la poudre d'escampette dans une pointe de vitesse sur sa gauche, slalomant entre les quelques bambous qui se trouvaient sur son passage, alors que se dessinait devant lui une silhouette commune. Il fallait profiter de cet avantage de réagir le premier et, dans un unique souffle, il balança son bokken comme on balançait une hache, qui se faufila au travers des troncs souples en direction de sa cible, quitte à renoncer à son unique arme et d'utiliser son art le reste du duel. Mais il ne s'arrêtait pas là, continuant la course derrière son bokken qui l'avait semé, faute d'avoir été jeté à une vitesse digne de celle d'un léopard. Profitant de l'agitation, il prit appui sur deux troncs bien parallèles qui se présentaient à lui, les saisissant de deux poignes fermes pour s'élever à distance raisonnable dans les airs, la pointe du pied gauche en avant, visant spontanément le plexus solaire de son adversaire désormais à portée, suivit d'un Kiaï si fort qu'il en paralyserait plus d'un peureux.

Le bokken semblait avoir projeté l'adversaire qui ne chercha point à l'esquiver, le recevant de plein fouet et commençant à basculer à l'arrière tandis que le samouraï arrivait droit pour placer un coup qui aurait été fatal si l'autre ne portait pas quelque protection efficace pour amortir le choc du talon de Shiro dans le plexus du Kobutama, littéralement expulsé à hauteur d'une demi-douzaine de mètres, venu s'échouer contre les troncs voisins. Le duel eut été rapide, et l'adversaire ne cria point. Par ailleurs, la sensation qu'eut le samouraï était des plus improbables tant il n'avait pas senti une résistance des plus consistantes lors de sa frappe. Il ne vit que décombres d'armure surfaite devant lui ; il n'y avait la moindre trace de Seshu-dono aux alentours. L'avait-il pulvérisé dans sa double attaque ? C'en aurait été ironique. Mais pourtant, il l'avait sentie, cette aura guerrière qui émanait comme si elle en appelait à la présence imminente du Ryuuji. Alors, pourquoi ? Que s'était-il passé ? Où était-il ? Tout allait si vite.

« KIAÏ ! »

Shiro ouvrit grand les yeux. Il avait été piégé, dupé, et il était sûrement trop tard pour s'en sortir. Il avait commis l'extrême erreur de foncer tête baissée sur le danger. Cette stratégie puérile, qui avait fonctionné pour son premier duel, lui aurait coûté la vie en période de guerre. Il ne put que lever les yeux au ciel, apercevant le guerrier au symbole du sanglier se laisser tomber droit sur le samouraï. Guerrier dont le Kiaï avait légèrement perturbé le jeune homme au point de l'empêcher de bouger. Il allait recevoir un coup qui serait susceptible de mettre fin au duel. La vitesse du Kobutama augmentait furieusement tandis que Shiro ne put que, dans son instinct de survie, fermer les yeux et... Céder le plus souplement possible à la frappe violente du Stratège Kobutama, faisant image dans son esprit d'un roseau près à céder sous un poids impossible à dévier, certes, mais qui jamais ne se brise ! Ressentant une douleur vive à l'épaule droite, il laissa s'échapper un gémissement tandis qu'il se laissa tomber, amenant par réflexe ses deux bras libres vers le sol pour les frapper, encaissant ainsi le choc qui se serait uniquement réparti sur son dos et qui lui aurait coupé nettement la respiration s'il n'avait pas cogné la terre ferme de ses deux avant-bras. La chute fut tout de même brutale, quoi que non fatale, et le jeune samouraï avait encore ses esprits. Ni une, ni deux, il profita de son état d'homme à terre pour placer son pied droit vers le talon de son adversaire qui se trouvait sur la terre ferme sans trop de heurt. Toujours dans le même élan, bloquant le talon de Seshu-dono pour éviter que celui-ci n'ait la fâcheuse idée de se défaire de la prise du dragonneau, Shiro plaça son autre pied sur la rotule de la même jambe emprisonnée ; il ne porta aucun coup, certes, mais une fois la forme de son pied épousant la rondeur de l'articulation du genoux, il appuya sans retenue tandis qu'il tira avec la même force de son autre pied, comme s'il exerçait une force sur un levier, incitant le stratège à choir dans le même état décontenancé que le samouraï lui-même avait chu.

Ainsi, Shiro se tira tant bien que mal le plus loin possible de son adversaire, gémissant ses poumons tout en se massant l'épaule droite qui avait dégusté d'une attaque sans retenue. Il se releva lentement, regardant derrière si le stratège n'était pas près à charger, tandis qu'il se rua sur son bokken, le tenant d'une main tandis que l'autre massait l'épaule heurtée. Il regarda brièvement les alentours : tous deux se trouvaient comme dorénavant piégés dans la pénombre, les bambous filtrant la puissante lumière du soleil jusqu'à l'étouffer, la laissant paraître sous la forme de rayons ridicules. À ceci s'ajoutait le fait que l'air était lourd et humide, ce qui provoqua directement une sensation de malaise chez Shiro, s'essuyant le front perlant de sueur et secouant la tête. Ils avaient suffisament d'espace pour continuer le duel, certes, mais à ce rythme-là, le samouraï risquerait la crise panique tant le paysage n'était pas des plus rassurants. Et cette contusion qui se dessinait lentement sous son keikogi désormais sali de teintes vertes et brunes n'arrangeait rien. Il fallait donc en finir au plus vite.

« Belle entrée en matière, Seshu-dono, stratège du clan Kobutama. Nous pouvons enfin commencer le duel. »

Ce furent les seules paroles qu'il se permit d'échanger, prenant presque un air supérieur pour tenter de destabiliser l'espace d'un instant son adversaire. À dire vrai, c'était lui qui était destabilisé, et, en tout honnête homme, il déguisait la choseà sa manière. Il chargea de nouveau, essayant coute que coute d'oublier sa douleur du moment, se disant que ce n'était qu'une simple contusion. S'élançant dès lors, le bokken dans sa main gauche tandis que la main droite guidait l'extrêmité de la pointe de bois, il s'arrêta à distance raisonnable pour jouer d'un talent de sabreur tel qu'il succédait les estoques d'un seul bras à intervales infimes. Le bois était plus léger que le métal, dès lors la vitesse de chacune de ses frappes se voyait accrue. Pour certaines c'étaient des feintes, pour d'autres c'étaient des échecs tellement son acuité était atténuée par le sombre décor dans lequel ils s'étaient embusqués. Mais cela lui permettait de reposer son autre bras dont l'épaule semblait implorer Shiro par la douleur qu'elle lui transmettait. Et le samouraï s'essouflait vite, aussi fallait-il tenter une frappe de plus près. Dans un dernier élan, il administra toujours quelques estoques de feintes pour gagner du temps et, en un battement de cil, de se rapprocher, prenant appui dans son pied gauche qu'il sembla ancrer dans le sol, à l'éphigie d'un arbre enraciné. Le cycle des quatre éléments de l'art du wajutsu était entamé, Shiro s'imaginant au stade de l'élément terre, prêt à réaliser sa technique de façon schématique, réfléchissant dur comme fer à son action, acceptant sa transformation spirituelle possible à travers sa pratique. Son travail se voulut dur comme le sol, stable comme un bloc de pierre carré. Ne faisant qu'un avec la terre, il pivota à vitesse faramineuse sur lui-même, entrainant dans son élan son bokken, toujours d'une main ; il était prêt à frapper, et tenta de porter un coup sans retenue à son tour dans le flanc gauche du stratège, expulsant un Kiaï aussi vocalisé que celui qu'il avait émis lors de sa première charge.

La cadence s'accélérait. La frappe avait été assez bien entraînée malgré la fatigue du samouraï, causée à la fois par le heurt qu'il eut subit plus tôt, et par ses estoques qui revêtait d'un travail bâclé, brouillon. Mais ceci servait à préparer et à recopier la touche finale au propre qu'était cette belle attaque circulaire, rapide, dure comme la terre, qui scinda le bambou qui faisait office d'obstacle naturel. Il sentit tout de même son bokken heurter les os de son adversaire, ce qui lui ferait presque regretter son geste. Mais son instinct lui murmurait doucement que contre attaque il y aurait. La stratégie du sanglier semblait relativement déductible, tant il avait usé d'un stratagème du même genre pour piéger Shiro. Le principe de défense puis d'enchaînement d'une attaque fatale par la suite. Du moins, fatale dans le contexte d'utilisation d'armes réelles, aux lames tranchantes. Fort heureusement, il s'agissait de bokken, et cela faisait toute la différence au sein de cette jungle de bambous. Et pour cette représaille dont Shiro ne connaissait encore la nature, il lui fallait, selon l'art du wajutsu, accepter le changement, passer d'un élément à un autre, maîtriser ses réactions émotionnelles. Et parce que ce n'était qu'un tournois, il n'y avait plus raison de paniquer, puisque, de surcroit, les dégâts seraient présents et suffiraient à calmer Shiro pendant quelques semaines. Il fallait tout donner !

« Déjà terminé ? Il fallait le deman... »

Ah ! Le bokken de l'adversaire arrivait sur la verticale, encore un coup qui aurait été fatal en situation réelle. Une stratégie qui relevait d'un guerrier hors pair, et le samouraï en fut tout impressionné tandis que, toujours dans la même réaction au coup, il n'opposa aucune résistance au bois de l'arme qui vint brutalement heurter son poignet pour le désarmer. Au contraire, il accepta ce sacrifice et, dans un presque-dernier effort, leva le bras dont l'épaule avait été cognée plus tôt, pour poser sa main contre celle de son adversaire qui dirigeait l'arme, pouce contre pouce pour éviter qu'il ne se dégage ; afin d'encourager le mouvement dans son élan, incitant l'autre main qui tenait le manche à se défaire. Et tandis que Seshu ne tenait son sabre de bois que d'une unique main, qu'importe s'il daignait garder son emprise sur son arme, Shiro décrivit un mouvement circulaire sur le membre du stratège, acceptant son immersion dans l'élémentaire eau. D'un geste souple, rond et harmonieux, il fit remonter le membre supérieur du Kobutama pour enclencher quelconque déséquilibre. S'avançant vers lui, Shiro, de son autre main désarmée mais libre, vint pousser contre le menton de son adversaire pour le repousser vers une tige de bambou qui faisait dos au stratège. Celle-ci suffirait peut-être à l'immobiliser plutôt que de le faire chuter une seconde fois. C'était donc un moment, peut-être, décisif pour le dragonneau.

L'élément feu... Le troisième dans la hiérarchie du wajutsu. Ample, destructeur, nécessitant une maîtrise de son mental pour pouvoir l'embrasser, ainsi qu'une bonne culture du bushido. Et ça, Shiro l'avait travaillé des années durant. Un troisième et dernier changement d'état était nécessaire pour lui permettre de mener une offensive, décisive mais brève, contre son adversaire. Ainsi, telle une étincelle jaillissant qui, tout à coup, deviendrait flamme, le samouraï se positionna en fléchissant légèrement les jambes pour adopter une position souple, levant son poing droit parallèlement au sol et, dans un dernier souffle, criant le nom de l'attaque, faisant également office de Kiaï.

« ATE WASA, KENTO ! »

Son bras droit se replia à vitesse folle, croisant son poing gauche blessé dans une espèce de tornade tandis qu'il effectuait un pas en avant pour accroite la puissance de sa frappe. Son poing était ferme, les racines de l'index et du médius bien en évidence. C'était une frappe directe, prête à blesser le lanceur et la cible si celle-ci aboutissait. La flamme était prête à jaillir. Le sanglier subirait-il le courroux du Feu wajutsu, tandis que Shiro misait tout sur cette technique improvisée par un membre dont la blessure était vive ?