 |  Sujet: Tout ce qui se chasse ne se mange pas  Lun 19 Mar - 20:20 | |
| Un épais brouillard avait pris ses aises depuis deux jours. Les caprices du temps n'étaient pas sans inquiétés la jeune femme. Les pigeons savaient retrouver leur chemin, s'ils étaient bien dressés mais le pouvaient-ils avec une telle brume ? À part espérer et attendre, il n'y avait rien d'autre à faire. Ses oreilles guettaient le moindre battement d'ailes alors qu'elle préparait son départ. Personne ne savait ce qui se tramait mais tous étaient d'accord pour dire que Chieko paraissait très occupée. Et nullement à l'affut des petites imperfections. Fait suffisamment rare pour être relevé. Au lieu de se soucier de cela, le pinceau en l'air, elle relisait une lettre. Sa tête bascula légèrement en arrière laissant ses yeux fixés le plafond. Une petite moue apparut sur son visage et elle ajouta immédiatement une ligne supplémentaire à ses écrits. Satisfaite, la jeune femme se redressa puis se glissa discrètement dans le jardin. En cette fin d'après-midi, la plupart des prêtresses avait rejoint l'intérieur du temple. Seules, quelques téméraires s'entraînaient au maniement du nagamaki. Le bruit des lames s'entrechoquant résonnait dans ce lieu paisible. Accompagnée par ces sons, elle se dirigea près d'un pin avant de s'asseoir à même le sol.
Si les dieux le voulaient, elle l'aurait l'occasion de changer d'air. Cette envie avait germé suite à une rumeur au sujet de créatures vues aux environs de Noguchi. Les descriptions manquaient de précision toutefois son intérêt n'avait pas diminué en apprenant que des découvertes de cadavres correspondaient avec les apparitions. Toutefois peu habituée à se lancer dans un tel voyage, Chieko avait envoyé une lettre à la Grande Prêtresse du clan Umano, à l'aide d'un oiseau. Avec la crainte que le dit volatile finisse en casse-croûte d'un carnassier quelconque. Tout en priant que cela ne soit pas le cas, la jeune femme resta un long moment dehors. Ce fut l'arrivée de Miki qui la poussa à rentrer. Aucun mot ne fut échangé entre elles jusqu'à leur entrée dans une vaste salle. La soirée arriva vite et profitant de l'occupation des autres, elle retourna dehors. Ses mains frictionnaient ses bras alors que la résignation la gagnait lentement. Un pas en avant. Un pas en arrière. Encore un pas en avant. Et au moment, où son corps s'apprêtait à faire demi-tour, un roucoulement l'interpella. L'oiseau alla se poser sur une lanterne en pierre. Sans hésiter, elle s'approcha. Sa main droite caressa ses plumes pendant que la gauche récupérait un petit rouleau de papier attaché à une de ses pattes. Tout en promettant un bol de graine à l'animal et de ferventes prières à Moegami, elle retourna à sa chambre. Avec une bougie comme lumière, Chieko parcourut la succession de caractères.
Comptez sur moi ! En l'honneur des dieux, nous purifierons ce monde ! Mais vous croyez que ça peut être aussi utile la bestiole là ? Ah et si j'étais vous, je prévoirais aussi de quoi combattre le rhume. Puisqu'on ne va pas dormir à la belle étoile, je trouverais une aide charitable pour le couchage.
Utile ? Elle fronça le nez. À part pour tuer, probablement que non, encore fallait connaître parfaitement la nature de la créature. Un onryou ? Elles verraient bien. Elle rangea le papier puis se coucha notant au passage de prendre quelques plantes médicinales. Le lendemain, sa première tâche fut de faire disparaître toute trace de correspondance. Rassurée de la voir réduite en cendre, Chieko décida de se préparer ainsi que rassembler les objets nécessaires. Venant comme à son habitude dans sa chambre, Miki se figea à peine y avait-elle mis les pieds. D'une main tremblante, la femme désigna la silhouette familière vêtue d'une tenue inhabituelle.
« - C'est... Vous ressemblez à un moine. Vous ne pouvez pas sortir ainsi enfin ! »
A la remarque, ses épaules se haussèrent simplement. Rien interdisait aux femmes de porter les vêtements des hommes - à part le bon sens. Repoussant ce dernier, elle attrapa un chapeau de paille et l'attacha soigneusement. Le bas de son visage devint la seule partie visible. Les mains sur les hanches, elle pencha la tête pour tenter d'admirer le rendu.
« - Je m'absente quelques jours. Si quelqu'un a besoin de moi, dîtes simplement que je ne suis pas là et que je reviendrais bientôt.
- Vous n'allez tout de même pas voyager seule ?
- Si. »
A l'intonation ferme, son interlocutrice se contenta de marmonner à quel point son attitude était déraisonnable. Sans pour autant essayer de l'influencer. L'absence d'informations précises ne la réjouissait pas non plus toutefois elle jugeait qu'une bonne raison se cachait sûrement derrière cette attitude. Pendant que Miki réfléchissait, Chieko déposait deux rouleaux et une lettre sur sa table de travail. Soudain la prêtresse tapa dans ses mains avant de disparaître. À peine une minute plus tard, elle revint, prit la main de la brune et y déposa un omamori. Ses doigts se resserrèrent autour du tissu vermillon. Les mots n'avaient aucune valeur en ce moment et les sourires ne masquaient ni la peine, ni la crainte. En silence, elles s'inclinèrent. Une main fine attrapa un baluchon. Le corps se tourna puis s'éloigna doucement.
Plusieurs jours plus tard, après avoir fait de son mieux pour jouer le jeune moine en pèlerinage, la brune soupira en apercevant le village. Certes la solitude lui avait permis de méditer, même si des esprits rencontrés en chemin l'avaient distraite, mais un peu de contact humain ne nuisait pas. Ni un peu de confort. Pourtant, cela allait devoir attendre un peu. Elle devait d'abord retrouver Shigure à l'entrée de Noguchi. Cependant la curiosité se fit plus forte et elle se mit à fureter dans les environs. Ses sandales de paille s'enfonçaient légèrement dans la terre boueuse. Son koromo s'imprégnait lentement des gouttes de pluie. À une sensation de froid s'ajoutait un étrange malaise. Sa main gauche souleva le bord de son couvre-chef. À première vue, rien ne dénotait dans le paysage pourtant quelque chose de déplaisant se rapprochait. Sa tête se tourna à des bruissements de feuilles. Agacée par son manque de visibilité, elle retira son takuhatsu gasa le laissant tomber à terre. Si elle voyait mieux, sa situation avait pas changé d'un pouce. Utiliser un fuda traversa son esprit mais à savoir lequel. Au bout du compte, retourner au point de rencontre s'imposa comme la solution la plus raisonnable. Sans y songer davantage, elle revint sur ses pas avec précipitation.
Pas de trace de Shigure aux abords de Noguchi. Peu réjouie, Chieko marmonna.
« - Mais où est cette vieille chouette ? »
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