Les larmes gelées du ciel s’écoulaient durement sur le paysage dévasté de ces terres oubliées. Témoins silencieux d’une grandeur passée…De la folie d’un homme ou de son extrême sagesse. Quelle qu’était la raison de son empressement à s’isoler dans un tel lieu aussi isolé que dangereux, cette dernière appartenait désormais aux limbes de l’oubli. Celle de ma présence en cette contrée ne tarderait pas à y plonger. Mais pas avant que ma Lame soit rougie de son sang.

Pour ces terres, ce ne serait qu’une escarmouche de plus. Pour moi, une cible à abattre dont le visage viendrait s’ajouter à ceux qui hantaient mes rêves. Pour elle, le froid et cette sensation persistante d’humidité finirait par être remplacé par un sommeil éternel.

Assis sur le bord du toit de l’immense palais, mes yeux fouillaient avidement l’obscurité ambiante depuis plusieurs heures. Les muscles légèrement tétanisés par l’attente et l’air glacial. Il n’y avait que mon visage à être épargné par l’humidité et le vent, caché derrière la céramique d’un masque de Tengu. Le Kami punissant les samurais arrogants. Mes cheveux rendus hirsutes par les intempéries flottaient plus librement dans les airs, accentuant la ressemblance avec l’animal céleste. A vrai dire, le cadre était idéal pour jeter le trouble dans le cœur et l’esprit d’un honorable Bushi.

Enfin la jeune femme fit son apparition dans les jardins. Même dans la tempête qui faisait rage autour de nous, ces cheveux roux étaient nettement visible, un appel au combat s’il en était un. Avec une lenteur appliquée, mon corps bascula en avant dans un mouvement étudié pour ne pas attirer l’œil, me laissant tomber avec grâce. Mes yeux s’habituant à sa silhouette déjà à la recherche d’un point faible dans sa posture alors que mes pas cherchaient prudemment une base stable dans le sol détrempé.

Lentement, je m’approchais sans me faire remarquer. La main sur le chokuto glissa sans un bruit, amenant la lame noircit au charbon hors de son fourreau. Un pas de plus, puis un second…Elle n’a toujours pas remarquée…Au dessus de nous, l’orage se déchaine de plus belle jusqu’à finir par vomir ces éclairs dans le ciel, illuminant cette scène irréel d’un homme et d’une femme. A peine à quelques foulées l’un de l’autre. Se regardant droit dans les yeux.

Un instant d’éternité passa entre nous. Figé dans le temps. Au point que j’étais certain que nos cœurs battaient au même rythme, bien incapable de faire le moindre geste sans rompre l’harmonie du moment. Nouvel éclair. Le bruit sourd raisonne encore dans mes os, me sortant de cette torpeur hypnotique pour m’élancer au combat. Elle aussi se prépare…

Ma lame s’élève soudainement dans une diagonale parfaite. De haut en bas, visant soigneusement la gorge ainsi que la poitrine. Peut être s’en doute t’elle déjà…Mais mes intentions sont bien ailleurs. J’attendrais qu’elle lève son sabre pour changer mon angle d’attaque. L’élan donné par ma charge me donnerait la vitesse suffisante pour me permettre de m’abaisser tout en pivotant pour faucher ses jambes. Du moins, j’espérais que la surprise et sa concentration sur ma lame me permettrait de disparaitre de sa vue la seconde nécessaire pour lui causer une blessure…

Les goutes, grises, lourdes et froides, s’abattaient par milliers sur ces terres des ans. Risako, dont la chevelure écarlate avait immédiatement gonflé au contact de la pluie, s’était rendue sur ces lieux afin de récupérer le trésor oublié que son seigneur convoitait. Elle avait baissé son chapeau ne la protégeant plus du déluge et l’avait accroché à son côté par respect envers les ancêtres qui avaient vécu ici autrefois et qui hantaient peut-être encore ces terres, telles les divinités guerrières, les Ashura.

Risako était loin de se douter que, parmi les éclairs et la foudre, un Tengu sans aile rodait. Mais les dignes samouraïs devaient en permanence se tenir prêt à tout danger...

Il voulait certainement la voir comme cette pluie; celle qui, composée du liquide vital, sacrifiait sa vie pour la tranquillité de toutes. Mais pour tomber sous le coup du destin, elle aurait préféré que l’on soit au Printemps. Cette saison, quoiqu’autant poétique, avait la beauté éphémère des fleurs de cerisiers s’éparpillant au vent, et non cette lourdeur mouillées qui coule dans la grisaille et se mut en flaques, à l’instar du sang. Risako sourit en se disant que peu importait… Mais qu’elle aimerait ,alors, qu’on la compare à une feuille morte, une de celle qui, flamboyante et légère dans sa chute, ravit par sa beauté. Cependant…

Cependant, Tengu ou pas, ce daisho ,qui la servait depuis maintenant quinze années, n’était pas un élément de décoration. Ainsi armée, Risako avait bien plus que sa vie à protéger, et sans doute ceci la rendait-elle plus forte et plus déterminée à la victoire. Après tout, la puissance d’un guerrier se jugeait aussi par son envie de vivre. Et, cette dernière, elle la tenait inéluctablement.

Ainsi, le tonnerre gronda et gronda encore. Il s’impatientait, menaçant de sa foudre le terrain boueux.
Entre deux de ses éclats de colère, les combattants immobiles se jaugeaient du regard. Ils calmaient leurs respirations à l‘approche du duel. Alors, seule la tempête faisait son œuvre.
Risako avait opté pour une garde paraissant assoupie ,mais dans laquelle la courbe de la lame passait entre les deux yeux de l’adversaire, lui exprimant une agressivité discrète.
Elle l’attendait. Patiemment.

Comme l’éclair, il passa à l’attaque. Mais, ne se laissant en aucun cas impressionnée par la rapidité de son adversaire, Risako allait bloquer sa lame, et dans un soucis de portée, accompagna son mouvement d’un pivotement ample et vif afin d’éviter de justesse le Chokuto du Tengu et de passer sur sa gauche. Puis, elle chargea dans le but de briser ce masque énervant d’un coup de semelle en bois bien senti.
Se présenter était la moindre des politesses au préalable d’un duel, et l’empressement avide de sang dont cet homme faisait preuve avait agacé Risako. Elle pourrait ainsi associer un visage au pseudo Tengu désireux de mettre un terme à sa vie.

La plus grande difficulté avait été de ce stabiliser après un tel coup si bien qu’il était difficile de garder son attention sur les jambes de la demoiselle. Un crime aurait dit un autre alors que j’étendais la mienne pour ne pas perdre brutalement l’équilibre. Le terrain boueux n’était pas le meilleur des terrains pour ce battre et le léger dérapage qui résultat de mon action manqua de me laisser une frayeur. Un risque calculé néanmoins car il n’y avait que deux options pour échapper à un tel coup qui ne venait de nulle part.

Soit le bushi s’éloignait dans un réflexe de sauvegarde, soit il était trop lent et la peine à écoper serait un membre en moins. Ou tout comme. A vrai dire, j’avais caressé l’idée qu’elle puisse sauter…Ma lame lui aurait facilement fouiller les entrailles.

Mais contre toute attente, elle avait choisit de battre en retraite dans un saut gracieux, loin de l’attitude déconcerté que j’attendais d’elle. Avait elle déjà réalisée que j’étais tous ce qu’il y avait de plus humain ? Marchait elle dans cette tempête sans connaître ni la crainte ni la fatigue d’un si épuisant voyage ?

La réflexion fut brisée dans son élan quand elle amorça un nouveau mouvement. Bien trop rapide pour être qu’une simple frappe. Elle chargeait sans nul doute et sans plus attendre, je bondis en avant, profitant de sa faiblesse à ne pouvoir tourner que difficilement avec ce sol instable. Une roulade plus tard, je glissais doucement sur la terre meuble sur quelques centimètres. Gardant ma position basse, le chokuto parallèle au sol légèrement en retrait…Les yeux rivés sur elle.

L’échange avait à peine débuté que mon cœur battait déjà plus rapidement dans ma poitrine, charriant l’excitation de ce combat, portant mes sens à un tout autre niveau. Chaque goutte d’eau essayant de se noyer dans l’acier de ma lame. L’odeur plus forte de la terre. La morsure cruelle de ce vent avide sur peau, glaçant un peu plus mes os, m’arrachant un léger frisson devant tant d’obstination.

‘‘Gomen’’

Je me relevais lentement, le Chokuto ne déviant pas d’un pouce. Il pouvait paraître étonnant que je puisse m’excuser, était ce de la sympathie ? M’excusais je de l’avoir ainsi attaquer ? J’espérais bien qu’elle se pose en cet instant un millier de question. Qu’elle ce déconcentre rien qu’une seconde et que cela continue le reste du combat. A vrai dire, j’étais vraiment désolé pour elle. Il était souvent difficile pour une femme de s’élever dans la hiérarchie en temps que samurai. Tout ce qu’elle allait connaître ce soir c’était un combat infamant contre un Shinobi.

Un combat sans aucune fierté. Sans aucun sens. Sans aucun honneur.

Quand elle mourrait, il allait être difficile pour elle de garder la tête haute devant ces ancêtres. Quelque part, je trouvais cela bien triste. Un sentiment que je ne partageais pas toujours. C’était une occasion assez rare de rencontrer sa cible les yeux dans les yeux. Etait ce une bonne ou une mauvaise chose que ce terrain lui soit favorable ? Cela ne faisait retarder que la fatalité de sa mort qui serait bien pénible.

Lentement, ma main libre se rapprochait de ma ceinture. Faisant glisser un shurken noircit entre mes doigts. Un instant d’inattention. C’était tout ce que je demandais. Un grondement sourd dans les cieux puis soudainement un nouveau déchirement ce déchaîna dans un hurlement fracassant. Le Shuriken vola dans les airs sur son côté droit, difficilement visible car ne reflétant pas la lumière dans un environnement déjà sombre.

N’attendant pas de savoir s’il avait fait son office, je partais du côté opposé essayant d’échapper à sa vigilance. Le Chokuto moucheté de poison ce redressant rapidement prêt à lui porter plusieurs coups d’estoc rapide…

Le masque, aussi insolent que terrifiant, se trouvait indemne. Le Tengu n’avait évidement pas l’intention de la laisser détruire sa belle image. Tant pis. Ce futil détail ne faisait que renforcer une certitude. C’était clair comme de l’eau de roche. Il ne pouvait s’agir que d’un humain.
Mais humain ou Tengu, au fond peu importait, le danger s‘avérant identique .

Après qu’il eut esquivé, Risako ne put que glisser sur quelques pouces et faire volte-face dès que possible. Elle espérait qu’une telle précipitation ne soit pas perçue comme le témoignage de sa peur. Aussi, suffisait-il d’une seconde pour réduire à néant un être et son univers. En remarquant que le Tengu lui faisait face, qu’ils n’étaient séparés que de quelques pas, son visage s’empourpra de honte.

Bien sûr, elle avait peur. Non pas pour elle _ chacune de ses secondes étant consacrées à sa chute _ mais pour son fils qui se retrouverait certainement seul et sans ressource si elle venait à mourir. Depuis qu’elle était mère, Risako avait toujours fait en sorte de se préserver des dangers. Prudente et avisée, elle n’avançait jamais sans avoir mûrement réfléchi, ce qui lui valait la confiance et le soutien de ses soldats bien qu‘elle fut femme.

Si cet homme était ainsi prêt à mettre sa vie en jeu pour arracher la sienne, il se pourrait que tout ce travail soit réduit à néant. Il fallait donc s’armer en conséquences, oublier toute pitié et autres émotions ou sentiments nuisibles à l’esprit guerrier. Risako se sentit donc gênée d’avoir ainsi montré sa crainte.
Et ,comme pour répondre à ceci, le Tengu se redressa et s’excusa.

Le sang de Risako ne fit qu’un tour.
Aussitôt, une colère froide s’empara d’elle, tempérée grâce aux restes d’une éducation rigoureuse. Mais de quel droit parlait-il ainsi ? Comment pouvait-il éprouver de la compassion à son égard, elle, son adversaire ? Pouvait-elle passer outre une telle ignominie ? Sûrement pas !
Risako savait parfaitement dissimuler ses sentiments dans le calme où l’ambiance demeurait propice à la réflexion ,et elle s’efforçait d’en faire autant durant les instants plein de tensions. La peur manifeste n’avait été qu’un bref moment de faiblesse. Mais, parfois, il fallait savoir se relâcher.
Plus rouge encore, et terriblement vexée, elle fixait son ennemi d’un regard dur et glacial où plus aucune lueur de douceur ne brillait. Malheureusement, cette colère ne lui permit pas de distinguer le shuriken dans sa main. Elle remarqua cependant qu’il amorçait un mouvement.

Une rayure blafarde zébra le ciel, l’espace d’une seconde. C’est alors qu’elle sentit la violence des épines du projectile métallique dans sa chair. Elle eut mal, la surprise de la douleur lui arracha une grimace mais ceci ne suffit pas à la déstabiliser.
Et lorsque le Tengu s’apprêta à la percer de part en part, elle transforma ce qu’il visait en lame. Cette mutation surgit assez rapidement pour que le Chokuto abîme et tache de poison le tissus de son kimono mouillé, mais n‘atteigne pas la si fragile surface de sa peau. Risako en fut imperceptiblement soulagée. Elle était consciente de la rapidité de son ennemi, mais les suites de coups étant immuables, la guerrière savait qu’il aurait du mal pour changer la trajectoire de son arme si elle se hâtait à son tour. Une rare opportunité qu‘elle devait saisir.

Risako empoigna le bras armé et frappant du Tengu pour l’entrainer et le tordre dans son dos où la transformation prit fin. D’un coup de pied, elle fit ployer un des genoux adverses pour qu’il se baisse et qu’elle l’accompagne. Enfin, après avoir porté le katana sous sa gorge, elle lui souffla d‘une voix pleine de ressentiment :

« Comment as-tu osé me provoquer ainsi ? Lave cet affront en m’avouant d’où tu viens et qui t’envoie, après quoi, je te promets une mort rapide et sans souffrance. »

Sur ces mots, elle appuya sa prise sur le bras en détresse afin de lui montrer qu’il était à sa merci et qu‘elle n‘avait pas l‘intention de le lâcher. Elle espérait qu’il ne se rebellerait pas et qu’elle en finirait vite avec ce duel détestable entre un shinobi et une bushi, car oui, grâce à l’étoile de métal, elle savait maintenant que son ennemi n’était autre qu’un ninja.

Je ne m’étais pas attendu à une telle utilisation d’une capacité qui ce devait être surtout offensive. Malgré le fait que j’étais parfaitement campé sur mes jambes, je n’aurais eu en temps normal aucun problème à contrer un tel soucis…Parce que la lame devait se trouver ailleurs ou la cible paralysée par la douleur. J’avais du mal à évaluer la réaction de la capitaine et à riposter en conséquence.

Alors que mon bras était toujours prit dans son élan implacable, je redoutais d’avoir à reculer ne serait ce qu’un pas et perdre la dynamique du combat. Devais-je plutôt lâcher le Chokuto et essayer d’attraper son bras quand elle viendrait sur mon flanc ? A ma grande surprise, l’idée traversa aussi l’esprit de la jeune femme…Je n’avais qu’une poignée de seconde pour décider de la marche à suivre. J’avais une chance encore si de ma main gauche, je pouvais laisser tomber les stylets de métal dans ma manche pour contrer son attaque.

Bien trop hasardeux.

Déséquilibré par la prise, mon pied glissait légèrement. Cela lui donnerait les champs libres. Je sentis ma bouche se déformer sous un rictus de dégoût. Mon cœur s’affolait dans ma poitrine, certains de mes muscles se crispèrent sous l’afflux d’énergie dans mes veines. La manifestation caractéristique du Kami qui s’affolait en moi…Rugissant de frustration et prêt à déchainer toute sa fureur contre les ennemis du clan. Devoir utiliser une telle technique maintenant était presque un synonyme de faiblesse moi qui n’aimait pas dévoiler ma véritable nature. S’il y avait encore une ombre d’hésitation quand à l’issue du combat, elle n’était plus : Plus question de repartir sans la tête de cette femme.

Je me laissais faire alors qu’elle me faisait ployer le genou, la foudre se déployant dans mon bras prêt à lui faire découvrir la colère divine quand sa question m’interpella. Cela aurait pu être considéré comme de l’arrogance pour certain, pour d’autre de l’intelligence à essayer de rassembler des informations. Cependant quand il était question de Shinobi, il valait mieux ne pas ce poser de question et le tuer dès qu’on en avait l’occasion. Mais ce n’était pas comme si cela aurait pu changer quelque chose à son malheur.

‘‘La vie et la mort sont des marionnettes dansant sur une table. Quand on en coupe les fils, elles s’effondrent ’’

Encore une phrase à méditer. Malgré la douleur dans mon bras, l’arrogance d’un bushi n’était rien comparée à la ruse d’un Shinobi…Comme si je pouvais parler. Ma main se détendit, relâchant un éclair quasiment à bout portant. Malgré le fait que je ne pouvais rien en voir, son éclat était vif et je pouvais sentir la chaleur dégagée par ce dernier me brûler le dos. Ne perdant pas une minute, ma main gauche attrapa la main armée puis en me relevant, je profitais de la douleur et de son déséquilibre pour la faire passer par-dessus mon épaule.

Je vis le corps durement toucher s’abattre sur le sol boueux, encore fumant. Sans perdre un seul instant, j’attrapais son katana, le levant rapidement pour le planter avec célérité en visant le cœur. Réflexe de survie ? Contraction du à la foudre ? La jeune femme tenta d’esquiver alors que ma main tremblait légèrement du contre coup de la bénédiction du Kami. En conséquence de quoi, la lame se planta avec violence dans son épaule. J’essayais de la retirer pour recommencer sans y arriver. Les muscles de la jeune femme étaient bien trop contractés. L’idée de briser le Katana me vint mais après m’avoir obligé à en arriver là…Peut être devais je la laisser souffrir un peu et la laisser ce vider de son sang avant de donner l’hallali.

Je me reculais lentement, reprenant le chokuto, essayant de me confondre dans l’obscurité pour l’observer…

　
Lorsque Risako entendit cette énigmatique réponse, elle n’en fit pas un cas de figure et se prépara à en finir. Elle était alors loin de se douter qu’un éclat, vif et blanc, semblant surgir de nulle part, lui assène une si grande et si surprenante douleur qu’elle crut en perdre connaissance. Elle hurla, et impuissante, vit son ennemi l’abattre dans la boue glaciale avec toute l’aisance du monde.

Il lui sembla alors que tous ses muscles, mouillés par la pluie battante et douloureusement tendus, ne lui répondaient plus _ bien pire, la comprimaient. Même son pouls avaient du mal à se remettre de cette si brève mais tellement féroce attaque. La capitaine se trouvait alors prisonnière de ce corps inerte sous l’emprise de la foudre.

Crainte, peur, terreur auraient vite fait d’envahir les cœurs les plus téméraires. Bizarrement, celui de Risako ne s’emballa pas. Il demeurait calme, trop calme sous la légère anesthésie foudroyante. Même lorsque la lame qui l’avait, jusque là ,fidèlement servi se retourna contre lui.
Risako put bénéficier de cette providentielle privation d’émotions plus ou moins néfastes et des convulsions pour dévier son corps.

Son katana se ficha dans son épaule, et elle en fut soulagée. D’ailleurs, elle n’en ressentit que partiellement la douleur tandis que ses muscles commençaient à recouvrer un peu de sensibilité, malgré le fait que son ennemi ne put arracher l’arme Nezumide de sa cible.
Il finit par disparaître.

La jeune femme resta un moment à terre avant de se relever prudemment, lentement, difficilement. Son sang, aussi rouge que la garde de son katana, glissait le long de la lame de celui-ci et y formait comme un ruisseau. Elle pensa avec amertume que l’arme dans sa chair signifiait qu’elle était une véritable Nezumide, et que la mort l’abattrait ainsi.
Elle se sentait considérablement blessée de constater que c’était le katana de sa propre famille, le katana des Makkas, et non l’arme ennemie qui l’avait entamée si profondément.
Le shuriken, par rapport à ceci, ne représentait rien qu’une égratignure qui laissait toutefois quelques gouttes sombres dans son dos.

Or, Risako ne pouvait plus compter sur son agilité pour se défaire de son ennemi. Ses muscles, même s’ils commençaient leur guérison, étaient bien trop touchés pour cela. Ainsi, elle était impuissante contre ce ninja Toragi, et il était trop tard pour y faire quoique ce soit. Seulement, elle regroupa un peu de volonté pour tirer son wakizashi. Pas question de se déshonorer davantage.

La mère espérait ainsi se défendre encore un peu, bien que cela soit vain. Et surtout, penser à son fils et au petit bout de bonheur qu’elle avait passé en compagnie de son mari, il y avait dix ans de cela. Toutefois, sa position ne refléta aucune garde.

« Penses-tu vraiment que je puisse encore me défendre en te cachant comme un lâche…Ou te combles-tu de me voir saigner et souffrir ainsi ? » s’enquit Risako au ninja d’une voix forte, quoique marquée par la fatigue.

En vérité, la capitaine désirait ardemment voir le visage de celui qui la tuerait et elle avait bien l’intention d’utiliser Lame Lumière pour y parvenir. Elle pourrait ainsi profiter d’une présence humaine, et honnête, lorsqu’elle s’enfoncera dans les ténèbres.

La jeune femme avait chèrement arrachée les informations auxquelles elle semblait tant tenir. Savoir qui j’étais, ce que j’étais semblait tellement important pour un guerrier que je trouvais cela ridicule. Plus elle avançait sur ce chemin et plus la souffrance qu’elle infligeait à son corps était difficile à soutenir. Trop de connaissance rendait malheureux celon la sagesse populaire mais pour elle, cela deviendrait irrémédiablement mortel. Qu’il soit homme, youkai ou kami, plus rien n’empêcherait sa fin.

Pourtant elle affichait toujours l’arrogance du guerrier. Malgré la souffrance et le sang qui se mêlait à l’eau, noyant le tissus de son kimono, elle tenait à ce tenir droite, la tête haute. C’était…Quelque peu irritant. Même s’il n’y avait aucune chance pour que je la laisse désormais en vie, j’aurais préféré la voir dans une réaction plus humaine que hautaine. Pourquoi les hommes attachaient ils une si grande importance à des idées plutôt qu’à leurs propres vies ? Peut être qu’au fond de moi, j’aurais aimé avoir l’occasion de me battre bravement. De pouvoir le faire dans l’honneur. Au-delà de cela, être reconnu pour mes actes et qu’on ce souvienne de moi.

Un léger sourire étira un coin de mes lèvres. Cette pensée s’écoula hors de mon esprit à l’image de cette eau qui s’écoulait froidement sur mon masque. S’attacher à des valeurs ou des idées étaient mauvais pour l’esprit. Attendre quelque chose conduisait invariablement à être déçu ou blessé. J’étais bien plus libre que cette femme engoncée dans sa tradition. Nul doute qu’en cet instant, elle aurait aimée troquer cela contre une armure et quelques compagnons de combats. L’honneur était bon pour les morts et dans quelques instants, la capitaine ne risquait pas d’en manquer.

Mes pas souples et silencieux manœuvrèrent autour d’elle. Bien tapi dans l’obscurité à observer le vent et la morsure humide du froid saper ce qui lui restait de vitalité. Le sang s’écoulait toujours le long de sa plaie et je pouvais contempler la piteuse blessure au niveau de sa poitrine. La chair et le kimono noircit à cet endroit semblait particulièrement douloureux. Peut être avait elle déjà assez souffert. Ma fierté me poussait à la laisser ainsi encore un peu…Mais il aurait été idiot de s’y attacher trop fortement aussi.

Mes muscles se tendirent, les jointures de mes mains blanchirent sur ma lame. Mes sens aux aguets, attendant les prémices d’un éclair. La tension palpable dans l’air annonçant la fin de ce duel qui n’avait durée qu’une poignée de minutes. Un grondement sourd…La tension dans mes jambes se relâcha, me poussant en avant. Le Chokuto s’enfonça dans la chair sans rencontrer la moindre résistance.

Le temps se suspendit, le temps d’un instant d’éternité. Avait-elle baissée les yeux sous la surprise ? Comprenait elle ce qui venait de ce passer ?

Je tournais la lame dans la blessure et appuyait de mes deux mains sur la garde. La chair et le tissue ouvrirent un passage avant qu’une explosion de sang ne se fasse à la sortie de la lame, laissant le corps vidé de sa force tomber à genoux. D’un geste vif, je laisse la projection de sang venant de mon arme dessiner un arc de cercle dans la boue. Mes yeux rivés sur la nuque de la jeune femme.

‘‘Une dernière parole ?’’

D’où venait à Risako ce besoin de rester digne face à la difficulté ? Assurément de son éducation guerrière. Mais pouvait-elle se tenir réellement droite, tel un obstacle destiné à l’ennemi alors qu’elle était si mal en point ? Ce regard défiant, ce wakizashi armant son poing, ne composaient qu’une façade extrêmement fragile .

En effet, elle reconnaissait sa faiblesse, elle était consciente qu’elle ne pouvait et ne pourrait se défendre. Seule, sans rien pour la protéger, il ne lui restait qu’une confiance misérable dans le but de surprendre son ennemi, de le provoquer, d’espérer. En vérité, Risako pensait à son fils et tout le bonheur qu’il lui avait apporté. Cela lui permettait d’un peu, rien qu’un petit peu, supporter la douleur grandissante tandis que ses muscles retrouvaient progressivement souplesse et sensibilité.

La pluie interminable et mêlée au vent n’avait jamais autant glacé la jeune femme, jusqu’à ce que la lame ennemie assaille son dos.
C’est alors que tout s’accéléra.
Elle perdit ses forces à toute allure, son wakizashi chuta. Poisseux de sang, son corps ,porté à bout, ne tint plus et l’obligea à tomber à genoux. Ses mains touchèrent terre et s’y crispèrent sous l’effet de la souffrance et de la frustration. Qu’il était éprouvant de se trouver impuissante ! Une larme, rien qu’une, coula de sa joue avant d’éclater au sol dès que le ninja lui demanda ses dernières paroles.
C’était la fin.

Telle une statue, et en silence, Risako se redressa sur ses genoux pour ranger sa longue tresse sur son épaule et faire glisser son kimono jusqu’à la moitié de ses bras. Sa nuque de jeune femme, blanche et froide, était maintenant bien visible, à la merci du regard brûlant et du chokuto mortel du ninja.
Elle ne blâmera ce dernier. Il ne faisait que son travail. Elle aussi avait du priver plusieurs familles d’un être cher. Ce n’était que la fatalité qui s’abattait sur les vivants, indifférente aux précautions des kamis.

Tout en changeant de sens les bords de son kimono et en contemplant l’horizon, Risako prit la parole :
« Je remarque finalement combien la vie est éphémère.
Bankichi, mon fils, pardonne à ta mère qui n’a pas su se défendre et qui ne pourra pas te voir adulte. Je t’aime. Prend soin de toi. »

La guerrière sur sa fin désirait sincèrement que ses paroles parcourent des kilomètres pour arriver aux oreilles de la chair de sa chair. Elle n’avait pu utiliser Lame Lumière pour ôter le masque de son ennemi car il s’en était protégé par l’invisibilité et en manœuvrant dans son dos. Elle n’avait pu retrouver Kidô dont on n’avait jamais trouvé le corps. Elle n’avait pu éduquer et entrainer jusqu’au bout son petit Bankichi. Elle se fichait de ce qu’on allait faire de son cadavre, mais elle continuait d’espérer que son message parvienne à son enfant.
Enfin, Risako s’inclina et tendit le cou, invitant le ninja à le trancher net.

On disait que la plus grande sagesse était de savoir vivre et savoir mourir quand il le faut. Elle allait devenir une de ses si belles et chatoyantes feuilles. Ainsi, était venue son heure.

Il était assez étonnant que cette femme trouve encore la force de ce mettre à genoux. Plus étonnant encore qu’elle tienne à ce montrer digne jusqu’à la fin en acceptant sa mort. J’avais vu des hommes pleurer de rage, hurlant de frustration, frappant le sol jusqu’à s’écorcher les phalanges. Certains bushi parmi les plus jeunes surtouts. Parce que cela ne correspondait pas à leur vision de la vie. Parce que cela ne devait pas se passer comme cela. Même sans parler de cela, il était bien rare de voir quelqu’un braver la douleur pour parfaire sa position.

Croyait elle que cela allait changer quelque chose ? Son corps resterait à pourrir là. Méconnaissable. Mourir face contre terre ou arborer cette confiance n’allait rien changer. Elle aurait du s’épargner cette douleur inutile. Je chassais cette pensée. Je n’allais pas commencer à éprouver de l’empathie pour quelqu’un dont j’allais éteindre la vie. Je rengainais lentement mon Chokuto, laissant la lame glisser dans son fourreau. Je pris excessivement mon temps pour ramasser le Katana tombé dans la boue tout en écoutant les dernières paroles de la jeune femme.

C’était une bonne chose que ces dernières pensées soit réservés pour les membres de sa famille et non pas à maudire son assassin. Non pas que cela me dérangeait mais un esprit qui trouvait la paix était toujours meilleurs que de partir avec des regrets et de la haine. Je trouvais que cela en disait long sur la personne. C’était presque dommage d’en arriver là. Je haussais des épaules en me disant que la mort n’avait pas de signification en soit. On mourrait de maladie, d’un accident, de chagrin ou d’amour. Que cela vienne de la main d’un homme ou non ne faisait aucune grosse différence. C’était le Karma.

Mon regard ce baissa sur la lame boueuse. Témoignant d’un certain respect, je la passais sur ma lame pour en dégager la netteté de l’acier. Il ne fallut qu’une seconde pour que la tête ce détache du corps sans vie. Durant une longue seconde, un voile de sang et la tête tombant lentement. Je fis glisser mon masque sur le côté, passant une main sur mon visage, me frottant les yeux. Le combat n’avait durée qu’une poignée de minute. Pourtant je me sentais excessivement fatigué. Probablement les effets secondaires de la foudre que j’avais déclenché. Je ramassais le fourreau de la lame et la fit glisser a l’intérieur en terminant d’un bruit sec.

Je le considérais un instant…Puis regardait le corps sans vie à mes pieds.

‘‘On va dire que ca va rester un secret entre nous’’

Je pensais le garder comme preuve de ma victoire mais après tout, je pouvais bien l’envoyer au fils de la Bushi. Après tout, elle avait fait preuve de beaucoup de bravoure dans sa mort. Cela ne me coutait rien de le faire une fois mon rapport fait. Je remis mon masque en place et reprit le chemin du retour…Le Tengu avait délivré son chatiment.