Les heurts des volets claquant contre les parois des maisons de la citée de Tora, juraient avec la mélodie qui émanait de la cithare dont Kakyo pinçait les cordes avec amertume. Les mois et les années passaient sans qu’il ne cesse de jouer la même mélodie soir après soir. Aussi haute que lumineuse, la lune perlait derrière les rideaux de fils protégeant le chef de guerre des vents du Nord. Un pétale de cerisier vint se déposer à ses pieds. Sans arrêter de jouer, Kakyo compris facilement le message, son rôle en tant que Sakurazukamori venait une nouvelle fois de le rappeler à l’ordre. Quelque part, une personne prenait le chemin Yomotsu Hirasaka…
Et en tant que dernier représentant des Sakurazukamori, Kakyo se devait de se rendre auprès de cette personne, afin de décider, si oui ou non, il lui offrirait le salut. La complainte terminée, il se leva et alla ranger sa cithare à sa place, non loin du futon qui lui servait de lit lorsque le sommeil arrivait enfin à le trouver. Délaissant sa maison, et contrant le souffle d’un vent violent, Kakyo se rendit aux écuries où il sella l’étalon noir qui lui servait de monture le plus clair de son temps. L’animal s’ébroua de plaisir en voyant son maître le préparer à un voyage qui serait – sans aucuns doutes – long et fastidieux.
Kakyo laissa ses armes à Tora, le pétale lui ayant indiqué qu’il se trouverait en territoire ennemi d’ici peu… Loin de comprendre toutes les divergences naissantes dans le rôle qui lui incombait, Kakyo ressentait toujours l’emplacement exact d’où s’était envolé son messager silencieux. Dans la nuit qui laissait lentement place à un jour bien plus propice à une fine bruine d’automne, Kakyo chevauchait vers l’endroit où il devait se rendre : Hitsuji.
Plusieurs jours s’écoulèrent avant que Kakyo n’arrive à destination. Le temple de Terayama lui ayant offert son souhaite d’être accompagné par le grand Gekigami, la traversée de Noguchi fut sans nul doute aussi simple que celle d’un lac sans poissons. A la grande différence de Toragi, Hitsuji était proche des côtes et un vent chargé d’iode frappa le visage de Kakyo de plein fouet. Le mélange d’odeurs de fleurs du sud autant que des flots s’écrasants contre les rochers lui donnèrent une sensation d’étrange mélancolie.
Mettant pied à terre, le chef de guerre tira son cheval par les rênes et l’entraina dans la ville fortifiée. Désormais il répondrait au nom de Karasu. En territoire ennemi, la discrétion était de mise, et son rôle en tant que Sakurazukamori ne l’obligeait pas non plus à risquer sa vie inutilement. Plusieurs ruelles - et quelques regards suspicieux tournés vers lui - plus tard, Kakyo arriva devant la maison dont s’était envolé le pétale. Attachant son cheval à une des poutres qui soutenait l’édifice, il pénétra dans la demeure en silence.
Non loin de lui des paroles s’élevaient. Des plaintes et des pleurs ; le lot de ceux qui devaient porter sur leurs épaules le fardeau du tombeau du cerisier… Une main lente déplaça le shoji qui glissa sans un bruit dans ses glissières. Kakyo pénétra dans la pièce et reconnu sans mal l’homme qui avait côtoyé son père bien avant que les guerres ne les séparent à jamais. Même si l’homme ignorait jusqu’à son nom, Kakyo, lui savait tout ce qu’il y avait à savoir sur le frère du seigneur d’Hitsuji.
- La mort est le poids du monde dans les mains de celui qui la créée… Je suis ici pour offrir le salut. Mon nom est Karasu.
Après une brève salutation, et faisant fi de toutes autres formes de politesse, Kakyo s’avança et s’agenouilla auprès de la femme allongée sur le futon richement décorée. Sa main se posa sur son front, et après avoir constaté son état de santé, il se releva, et fit face à un homme plus jeune, dont le visage était traversé par une balafre rouge sang.
- La vie n’est pas vaine si on lui laisse le temps d'exister… Il existe une fleur qui pousse non loin d’ici, celle-ci serait à même d’aider cette femme afin qu'elle ne prenne pas le chemin du Yomotsu Hirasaka… Mais pour ça j’aurais besoin de votre aide…