C'était un spectable des plus ridicules auxquels on assistait là. Cinq dragonnaux avaient fait irruption dans une pièce qu'ils croyaient plongés dans la pénombre, et ils se trouvaient face à une trentaine de personnes, dont vingt brutasses des plus impressionnantes. En réalité l'auberge faisait encore tourner son petit business pour bonnes gens amateurs de jeux, d'alcools et consort. Shiro, accompagné de son escadron, dévisageait les occupants un par un. Pour certains c'étaient des clients qui écarquillèrent les yeux tant ils reconnaissaient en Ryuuji un clan des plus redoutables ; pour d'autres, au gabarit plutôt impressionnant, ils se contentèrent d'afficher des sourires moqueurs, malsain, les sourcils légèrement froncés en prime, comme s'ils voulaient montrer qui étaient les prédateurs, et l'erreur ultime qu'auraient fait les dragons que de s'introduire dans l'auberge par telle effraction. La demi-douzaines de guerriers jaunâtre avaient leur arme en évidence, dégainée, pointant de toute part comme pour dissuader quiconque de faire un geste brusque et stupide. Si ce n'est le tenancier, plutôt confiant, qui s'avançait lentement vers Shiro bien que ce dernier avaient pourtant son arme flottant à l'horizontale à hauteur de son cou. Le jeune homme émit un "psschhht" tout en se reculant d'un pas, voyant que l'autre essayait de lui faire démonstration d'un geste de bonne camaraderie. Mais Shiro ne se laissait approcher ainsi que par Kazumi et ses frères d'armes Ryuuji. Et encore... Il tapota légèrement du pied, comme pour transmettre une autre information codée, apparemment bien reçue par ses camarades qui se hatèrent de regrouper les clients dans un coin pour éviter qu'ils ne subissent tout geste dangereux. Deux de ses autres soldats se ruèrent vers les marches d'escaliers tandis que les deux autres ordonnèrent au groupe de gorilles de leur céder le passage, ceux-ci comme resteignant l'accès à une porte coulissante plutôt discrète. Shiro surenchérit, fusillant le tenancier d'un regard jaune assassin.

« C'est notre dernier avertissement, laissez-nous opérer comme il se doit, ou il coulera du sang. »

Shiro tenait cette même posture sans bouger cil, l'arme dégainée en direction du tenancier pour le maintenir à une distance raisonnable. Un bref silence se fit, tandis que l'un de ses samouraïs descendit à la cave et que les autres montaient les marches d'escaliers pour fouiller l'étage de fond en comble. L'autre samouraï qui était resté en compagnie de Shiro se tenait près des clients pour dévisager de potentiels complices ; il faut le dire, jouer et vaquer à une telle heure tardive ne présageait rien de bon. Et parmi les hôtes et clients, de nombreux hommes avaient le regard quelque peu... Fuyant, malveillant. Enfin ! Au bout d'un moment, on entendit des gémissements venant du bas. Le chef de division fronça les sourcils, essayant de dénoter quelque attitude compromettante de la part du tenancier et des autres... Mais rien à faire, tous ceux-ci ne semblaient pas se trahir, si ce n'est des petits sourires en coin qui se dessinnaient çà et là.

« Tous au rez-de-chaussez, je pars en bas ! »

Les ordres d'Uroko furent formels, afin de rameuter l'ensemble des Ryuuji le plus près possible au cas où quelque chose d'improbable se produirait. Il avait lancé cet appel dans l'espoir que la paire de guerriers qu'il avait envoyée à l'étage viennent en renfort à son samouraï resté près des clients, au rez-de-chaussée. Shiro fonça en direction de la cave, tenant fermement son sabre, prêt à en découdre.

Dévalant les marches à toute vitesse, la première chose qu'aperçut Shiro est la situation périlleuse dans laquelle s'était fourrée son brave samouraï. Expulsant un Kiaï, il piqua une pointe de vitesse, faisant le tranchant de la lame se mouvoir de haut en bas pour interpeler le tanto qu'un ninja allait planter droit dans le coeur du Ryuuji embarrassé, sectionnant dans un bruit tranchant la main de celui-ci, enchaînant par la suite d'un coup de pied à la rotule pour le faire se cambrer et de lui trancher les cartillages du cou dans la fraction de seconde qui suivit. Mais il n'était pas seul ; son acolyte qui devait immobiliser l'autre Ryuuji à la base, pour comettre un meurtre discret, lâchat son filet pour s'armer d'une aiguille empoisonnée qu'il extirpa de dessous sa manche pour venir le planter droit dans le deltoïde du chef de division... Mais celui-ci lâcha son arme, adoptant une position stable, dur comme un bloc de pierre, tel l'élément terre du wajutsu, laissant son bras gauche rencontrer le bras droit attaquant du ninja, tandis que la main droite de Shiro vint s'échouer piteusement sur le visage de son adversaire pour lui couper l'esprit, l'empêcher de réagir pendant le peu de millisecondes où le samouraï vint se saisir du bras armé du ninja pour lui tordre le poignet, laissant la petite lame de poison s'échouer sur le sol, et ainsi décrire un demi-cercle avec ce même bras pour mieux s'en emparer. Shiro exerça une pression sur les articulations, notamment le coude du ninja, le forçant ainsi à se mettre à genoux à son tour. Mais l'adversaire connaissait un brin de techniques de jujitsu, aussi releva-t-il son coude pour tenter de placer un coup dans la tête de Shiro. Le Ryuujika se mit ainsi à pivoter d'un taï-sabaki harmonieux, en accord avec l'élément eau tant son travail était souple et rond, laissant le ninja se relever dans son élan accéléré par l'accompagnement du samouraï qui le mit définitivement à terre, sur le dos, s'emparant de son cou et pressant les trois points de respiration du ninja pour l'étouffer lentement. Mais alors que le chef de division vit son samouraï se remettre d'aplomb, il se décala pour laisser faire son guerrier, plantant sa lame dans le coup du ninja ayant désormais rendu l'âme. Tout était allé si vite.

« Merci, Shiro-kun. Sans toi... »
« Plus tard, Chikashi ! Qu'y a-t-il dans ces caisses ? As-tu trouvé quelque chose ? ... »

Mais à peine le chef de division interrogeait-il son fidèle guerrier qu'il entendit le même raffut tout en haut. S'en suivirent des gémissements et des cris de douleurs. Par réflexe, après que Shiro ne s'emparât de nouveau de son arme, les deux Ryuuji montèrent les marches quatre à quatre, regagnant ainsi le salon principal de l'auberge au cerisier mauve désormais plongée dans l'obscurité. L'on voyait des silhouettes noires en plus des samouraïs de Shiro. Davantage de ninjas avaient pris part à un possible piège tendu. Deux des camarades de Shiro n'étaient désormais que cadavres gisant le sol. Parmi les deux autres samouraïs débordés par les ennemis, l'un d'eux lança :

« Shiro-san ! Le tenancier s'est enfui, rattrapez-le, on s'occupe de cette vermine ! »
« Un chef de division n'est rien s'il n'a pas son escadron. L'autre sera interpelé par nos ninjas, bien plus compétents que ces sous-fiffres. Maintenant... TUEZ-LES TOUS ! »

Ces paroles résonnèrent à plusieurs mètres à la ronde. L'Ichi Ban Tai Taisho, Uroko Shiro, ferma les yeux un instant, et lorsqu'il les rouvrit, son regard avait comme changé : il était plus prononcé, on aurait dit deux iris dorées ressemblant à celles d'un dragon. Son regard perçait et dévisageait littéralement les cinq ennemis restants. Cinq contre quatre, ils n'avaient aucune chance. Et ce malgré la tentative désespérée qu'était de lancer des shurikens en direction d'Uroko, qui les dévia avec une facilité déconcertante malgré une petite erreur de sa part qui lui valut une égratignure sur le bras droit. Mais l'adrénaline était puissante, envahissante, lui procurait une ardente sensation de puissance. Mais alors qu'un autre ninja venait sur sa droite pour planter le jeune homme dans le foi, celui-ci courba légèrement ses jambes et chassa impunément l'attaque du tranchant de sa lame, fouettant le plexus solaire de son adversaire par un simple seiryuto. Dans le même élan, il s'accroupit pour se saisir du tanto qu'avait laissé le ninja démembré et le souffle coupé. La transition de l'élément eau à l'élément feu ne tarda pas à se faire. Le ninja lanceur de shurikens fonçait droit sur Shiro qui reprenait sa position d'origine, lâchant son sabre, inspirant, et entamant une transe guerrière qui s'articula en une succession de huit coups de tanto : tête, gauche du coup, épaule droite, foie, deltoïde droite, cou droit, encore coup gauche puis, après un taï sabaki, se retrouva dos au ninja pour lui porter un dernier coup fatal dans le coeur. Tout ceci en un et unique souffle. Mais puisque l'appel de l'élément air était imminent, Shiro continua son pivot comme pour exercer un tour de trois cents soixante degrés, lançant son tanto, telle une attaque rapide comme l'air et le vent sans pour autant qu'on n'en connaisse l'issue à l'avance. Attaque destinée à un autre ninja qui l'évita de justesse, quoique légèrement éraflé le long du bras droit. Croyant Shiro désarmé, l'adversaire se rua à son tour sur le chef de division, sortant six lames de ses manches, prêt à planter le Ryuujika de toute part.

... C'était le moment de vérité. Il existait, en effet, à côté des quatre élémentaires, un élément numéro cinq représentant le vide, le cosmos, l'universalité, l'énergie, la base de toute forme de vie : l'Ether. En plus de nécessiter une maîtrise parfaite de son émoi, de ses affects, de ses émotions, le pratiquant doit faire preuve d'une prouesse technique remarquable. “ Il ne maîtrise pas la technique, il se confond avec la technique, il est la technique même ”. Avant que le geste du ninja ne soit violent, Shiro concentra toute son énergie vitale, fermant les yeux, à l'écoute de son environnement, sentant comme le temps se rallonger l'espace d'un moment. Puis, il les rouvrit, son regard de plus en plus perçant, prononçant solenellement avec une dose de Kiaï vocalisée au possible :

« IPPON KEN ! »

Et le dragonneau déploya ses ailes, tel un dragon d'envergure. Dirigeant son point fermé avec la phalange de l'index sortie droit sur le plexus solaire du ninja, Shiro lui administra un coup des plus puissants et traita l'attaque de son ennemi avant même que celle-ci ne soit dangereuse. Le ninja vint s'écraser contre le mur de l'auberge, laissant la cloison meurtrie par l'impact du choc, avant d'échouer à plat-ventre sur le parquet, tremblottant. Il y eut un silence : ses samouraïs étaient facilement venus à bout des deux autres ninjas restant alors que le chef de division avait réussi à s'en farcir trois. Ainsi, Shiro s'empara de son sabre et s'avança lentement vers le ninja encore traumatisé pour ensuite le saisir par le col et le relever à juste hauteur.

« Pitié... Pitié... Non... »
« Aurais-tu peur ? Sentiment indigne d'un guerrier. Je veux que les tiens regrettent de s'être frotté à la puissance du clan Ryuuji. Je veux que les tiens craignent nos interpelations imminentes. Je veux que le monde voit en Ryuuji un clan honorable qu'il est interdit d'insulter. Et surtout, surtout, je veux que le monde sache à quel point je peux être dangereux et impartial quand on salit l'honneur de mes samouraïs. Je veux que le monde ait vent de ce soir-là, où j'ai exécuté froidement tout opposant au clan du Dragon. »

Sur ces dernières paroles, Shiro tendit davantage son bras pour soulever davantage son ennemi, pointant son cou de sa lame. Alors que les samouraïs survivants rejoignèrent leur chef pour assister à ce qui semblait être un sermont, le jeune homme prononça ces dernières paroles :

« JE SUIS UROKO SHIRO, L'ÉCAILLE DORÉE ! »

Et planta littéralement la lame de son sabre dans le cou de sa victime, sans même le faire souffrir, le laissant sans vie joncher le sol après avoir brutalement retiré son arme de sa chair. Ainsi était né celui qu'on appelait l'écaille dorée, qui tranchait et luisait même en nuit noire, nouveau descendant de la griffe du dragon. Le visage éclaboussé par le sang de sa dernière victime, tenant fermemant son sabre dont la lame pleurait encore le liquide carmin des corps meurtris, Shiro se retourna et afficha un sourire en coin, quoique presque jusqu'aux oreilles, à l'attention de ses samouraïs : ils devaient être craints de leurs ennemis, parce qu'ils étaient les meilleurs, et tant qu'on les prendra à la légère, ils continueraient de durement sévir, encore, et encore... Parce que le respect ne se donne qu'aux guerriers dignes, et ce petit contretemps de traffic d'opium devait être résolu au plus vite... Ce qui ne tardera d'être fait.