Une journée dans la vie d'un capitaine.

Les premières lueurs du jour vinrent noyer l'extérieur des fenêtres du château Nezumide d'une douce lumière. Nezumi se levait avec le soleil, quittant ses couvertures d'ombre puis d'or pour offrir à ses habitants un réveil chanté par les oiseaux. Dans la partielle obscurité, Risako forçait sur son coeur, cherchant à cesser son voyage dans les bras de Morphée. Des images sans logique, coincées entre inconscience et conscience, fiction et réalité, lui emplissaient la tête.

Aoi lui ordonnant sur le champ d'aller retrouver son mari, le sourire serein et amical de Mitsuko tandis qu'Akimitsu tuait dans l'orage d'une bataille resplendissante, Shuhei déshonoré, et surtout, Bankichi, son fils, son petit, vêtu de blanc sur un cadavre sans identité, son si jeune visage taché de sang.

Les pensées brumeuses de la jeune femme se firent un peu plus claires quand elle réussit finalement à écarter la couverture de son futon, avant d'exécuter un mouvement d'étirement et un bâillement sans façon. Son coeur encore en bataille et ses cheveux en sac de noeuds, elle alla réveiller sa progéniture d'une caresse sur la joue. Risako savait que dans quelques minutes, un garde viendrait demander Bankichi sur ordre du seigneur. Un peu plus tard, elle vérifiera qu'il était fin prêt et lui souhaitera une bonne journée. Il y avait toujours un peu d'appréhension dans son regard fatigué quand elle se souvenait que son instituteur n'était autre que le seigneur Aoi.

Les pas précipités de son garçon résonnaient de plus en plus faiblement sur le parquet du couloir. Ce fut lorsqu'elle ne les entendit plus que Risako alla à son tour se préparer. Débarbouillée, parfumée et coiffée, elle se vêtit d'un keikogi* blanc et d'un hakama gris foncé avant de se couvrir d'un haori bleu-gris où un mon* de Nezumide étaient cousus sur le dos et les manches. Il s'agissait d'une tenue masculine, bien que le hakama soit portée comme une jupe et non comme un pantalon et que l'haori et ses manches avaient été allongées.

Comme il faisait gris, elle prit son chapeau pour se protéger de la pluie et salua Yue, le garde, au sortir, avant de revenir dans sa chambre en trombe car il lui manquait son daisho et son tessen, qu'elle glissa dans l'une de ses manches.

Il fallait dire que depuis que son fils et elle avaient emménagé au château, le domaine militaire était bien plus accessible. Et que, depuis quelques jours, Risako s'y trouvait bien plus tôt le matin, n'ayant plus Bankichi à entrainer. Les premières matinées, elle s'était dit qu'elle avait le temps de lire tout un tas de paperasse et de faire un rapport méticuleux et soigner durant les prochaines heures, histoire de s'avancer. Mais bien qu'elle se trouvait toujours dans son bureau, elle ne commençait sa journée qu'à l'heure habituelle. Pour s'occuper, elle exécutait quelques kata dans une petite cour, méditait tranquillement ou bien grattait avec oisiveté la pierre à encre sur son encrier.

Ce matin, elle s'était perdue dans la contemplation de son armure. Plus petite et plus légère que certaines armures masculines, elle n'en demeurait pas moins efficace et impressionnante. Ses couleurs dominantes étaient le gris, le noir et le pourpre. Aussi, faite de cuir rigide, de métaux et de cordes entrelacées, elle arborait à certains endroits le kamon du rat, mais aussi les noeuds subtils représentant la fleur de prunier des Makkas. Elle lui avait été donnée pour son entrée dans l'armée et elle semblait très vieille bien qu'elle ne le soit pas tant que ça. Sans doute quelques pièces appartenaient-elle autrefois à l'armure de son père. Risako pensa avec regret qu'il faudra y ajouter un ou plusieurs détails des Takahara au préalable des prochaines batailles.

Soudain, des pas claquèrent dans le couloir. On approchait. En un clin d'oeil, Risako se saisit de son pinceau de bambou et écrivit une colonne de son rapport hebdomadaire, droite et élégante.

keikogi: tenue pour pratiquer les arts martiaux.
mon: emblème.

La porte du bureau s'ouvrit rapidement et, après un bref salut, un soldat, le souffle court, annonça à son capitaine qu'une rixe avait éclaté en ville entre un potier et un forgeron et que les gardes sur place peinaient à tenir les deux hommes. Il apparaissait donc urgent d'envoyer quelqu'un servir de médiateur pour gérer cette dispute avant qu'elle ne dégénère.

Ainsi commença une journée comme une autre pour la capitaine Takahara. La combattante aux cheveux rouge fit mentalement le tour des chefs de divisions présents aujourd'hui et à qui elle devrait assigner les diverses tâches à accomplir. Ils étaient trois à être sous ses ordres aujourd'hui.

Akihide, au talent de bretteur indéniable, était le plus jeune. À peine marié, il avait encore la fougue des novices et la ténacité des fauves les plus féroces. Adepte des décisions rapide et comptant beaucoup sur son instinct et son intuition, il n'avait pas peur de prendre des risques. Cependant, comme beaucoup de jeune, il manquait de retenue et de réflexion et peinait parfois à coordonner correctement ses hommes.

À l'opposé de ce jeune homme se trouvait Kazumori, le vétéran. Calme, posé, réfléchi, il était très respecté parmi ses hommes qui le suivaient aveuglément. Préférant analyser chaque situation avant de prendre des décisions inconsidérées, il lui est parfois reproché un manque de réactivité et une mauvaise adaptabilité au changement. De plus, certains avancent que son âge commencerait à avoir raison de sa vue, autrefois perçante, et de ses talents au combat.

Risako pouvait en outre compter sur Tsuyoshi, le chef de sa cavalerie. Adapté aux missions urgentes et entouré d'hommes fiables il s'était plusieurs fois révélé d'un grand secours. Enthousiaste, blagueur et très apprécié de ses hommes il lui est parfois reproché son manque d'initiative et sa tendance à suivre trop scrupuleusement les ordres donnés. Connu pour sa détermination, tous s'accordent à dire qu'il suivrait n'importe quel ordre de ses supérieurs, même si celui-ci était suicidaire.

Revenant au soucis qui l'intéressait, Risako devait faire un choix parmi ses hommes afin de régler cette rixe entre artisans. Ne voulant pas monopoliser ses meilleurs cavaliers pour une tâche à l'intérieur même de la ville elle exclut d'office Tsuyoshi. Mais qui de Kazumori ou de Akihide allait-elle décider d'envoyer ?

Un soldat essoufflé vint se présenter devant Risako et lui faire parts des détails d’une rixe entre artisans. Apparement, les soldats actuellement en charge dans la ville rencontraient des difficultés à les arrêter. Il fallait leur apporter des renforts avant que la situation ne dégénère.

En excluant Tsuyoshi, le chef de cavalerie, deux chefs de divisions étaient disponibles à ce moment-là. Akihide et Kazumori. Le premier était jeune, volontaire et plein de fougue. Ses aptitudes aux combats n’étaient plus à démontrer. Il aurait fait l’homme idéal pour cette mission, s’il n’avait pas quelques difficultés à réfréner son caractère sanguin et à gérer ses hommes. Il lui semblait que Kazumori, malgré sa vieilesse, était tout à fait requis pour servir de médiateur. Non seulement, il était posé et expérimenté, mais ses hommes buvaient ses paroles et lui faisaient pleinement confiance.

Risako voulait avant tout éviter les effusions de sang. Ce qui n’aurait peut-être pas été possible avec Akihide. Celui-ci aurait certainement perdu son sang froid sous le mépris ou les insultes de deux hommes déjà énervés et prêts à en venir aux mains. Elle attendait de Kazumori une patience à toute épreuve, qu‘il sache se faire entendre, et surtout, une certaine réactivité. Un de ces points faibles jusqu’à présent. C’était le moment pour lui de prouver qu’il en était parfaitement capable. Au pire, quelques coups sans grandes conséquences ne feraient pas de mal à ses deux têtes brûlées s‘ils en venaient aux mains.

Après deux ou trois minutes de réflexion, Risako congédia le soldat et se rendit dans la cour où elle put se diriger vers Kazumori. Elle l’apostropha puis s’inclina poliment avant de lui annoncer les détails de sa mission.

« Je voudrais que vous alliez raisonner ce potier et ce forgeron. Evitez coute que coute le combat, mais faites en sorte que leur animosité soit parfaitement évanouie.
Puis-je compter sur vous ? »

Acquiesçant sobrement, le vétéran rassembla rapidement quatre homme pour l'accompagner, au cas où, et quitta la cour pour se diriger vers le centre-ville. Il était clair qu'il ne serait pas revenu avant un petit moment et qu'il faudrait, pour l'instant, composer sans lui avec les différentes requêtes et sollicitations que recevrait la capitaine.

Quelques minutes plus tard, Risako fut de nouveau dérangée par un messager annonçant qu'un dignitaire Suigyuuku attendait une escorte dans une petite ville à deux heures de Nezumi. La capitaine avait donc le choix entre envoyer Tsuyoshi, commandant de ses cavaliers, et Akihide, le bretteur de génie. Afin de prendre sa décision elle devait garder à l'esprit qu'Aoi avait ordonné qu'une action soit menée ce jour contre un groupe de bandits sévissant aux abords de la capitale du clan. Ne sachant pas précisément quand le chef de guerre ordonnerait l'assaut, il fallait que la capitaine garde en réserve celui qu'elle désirait envoyer là-bas.

Mais il lui fallait tout d'abord trancher sur l'escorte de ce dignitaire Suigyuuku. Qui d'Akihide ou de Tsuyoshi allait être chargé d'accompagner cet homme jusqu'à la capitale du clan ?

Alors que Risako était revenue dans son bureau, un messager l’y rejoignit pour lui annoncer qu’un dignitaire Suigyuuku arrivait et qu’il désirait une escorte à deux heures de Nezumi. Il fallait envoyer soit Tsuyoshi, soit Akihide. Mais il revint à la capitaine qu’un peu plus tard était prévue une action contre une bande de brigands, il fallait donc garder celui qui serait le plus à même de mener cette mission à bien.

Si le dignitaire arrivait de Suigyuuku, il était évident qu’il soit à cheval. Aussi, Risako savait que
Tsuyoshi saurait le protéger en cas d’attaque imprévue et ce, malgré son relatif manque d‘initiative. Après tout, n’était-il pas entouré d’hommes de confiance ? D’ailleurs, le cavalier avait un caractère mutin qui correspondait à la situation, le dignitaire trouverait sans doute le voyage plus agréable avec un bon compagnon plutôt qu’avec un jeune sans grande retenue. Le choix était donc tout vu.

Bien que Akihide soit un homme à sang chaud et qu‘il soit relativement peu expérimenté, elle pouvait parfaitement lui demander de se charger des bandits. Elle lui faisait parfaitement confiance au combat. Et ses difficultés à coordoner ses hommes seraient vite effacées au fur et à mesure de l’expérience acquise sur le terrain.

Risako rejoignit donc Tsuyoshi qui se trouvait dans les écuries attenantes au château. Lui parvint ainsi l’ordre de mission de la bouche du capitaine.

Le cavalier parti sur le champ avec une dizaine d'hommes et quitta au petit trot Nezumi. Néanmoins la capitaine n'eut pas le temps de souffler car Kazumori, revenant tout juste du centre-ville, se présenta pour faire à sa supérieur un bref rapport sur sa mission. Le vétéran ne détailla pas plus que nécessaire les raisons de cette dispute mais assura à Risako qu'il était parvenu à trouver un compromis entre les deux hommes qui s'étaient quittés sans la moindre effusion de sang. Il lui apprit également qu'il avait croisé en la cherchant un homme envoyé par le Seigneur de Guerre qui la cherchait pour lui annoncer le départ dans l'heure de l'équipe chargée de s'occuper des bandits. La moitié de celle-ci étant constituée des hommes choisis par elle et l'autre de soldats issues des troupes du capitaine Yamamoto.

La capitaine avait donc le choix entre envoyer Akihide pour acquitter de cette mission ou de s'en occuper personnellement, déléguant le reste des requêtes et réclamations de la journée aux décisions de Kazumori. Néanmoins cette décision se devait d'être prise avec la plus grande considération, la présente mission ayant toutes les chances de retenir celui qui en était chargé pendant une bonne partie de la journée l'empêchant ainsi d'effectuer d'autres tâches ou, dans le cas de Risako, de garder un total contrôle sur les décisions de ses hommes en son absence.

Les cavaliers s'éloignèrent doucement, et Risako alla flatter le museau de sa vieille jument aubère, comme elle le faisait à chaque visite des écuries. Elle vérifiait que l'on s'occupait bien d'elle et qu'elle ne manquait de rien quand Kazumori arriva du centre-ville, heureusement sain et sauf. Il lui rapporta que sa mission s'était très bien passée et qu'il n'y eut aucune violence, mais qu'un envoyé du seigneur mandait ses hommes dans une heure pour mater les bandits aux abords de la capitale. Elle le remercia pour la réussite de sa mission puis le congédia. Il alla alors rejoindre ses hommes.

Comme Kazumori revenait de mission et que sa vieillesse bridait ses compétences au combat, Risako ne pouvait pas envoyer le vétéran. Elle l'exclut donc de ses choix. Il ne manquait plus qu'Akihide et elle-même.
Or, si Risako se rendait en mission, elle laisserait toutes les décisions à Kazumori qui, bien qu'il soit assez charismatique, avait de la peine à s'adapter et à réagir en cas d'imprévus. D'un autre côté, si elle envoyait Akihide, sa tendance à foncer dans le tas et ses difficultés à se faire écouter par ses hommes pouvait largement l'handicaper dans sa mission…
Néanmoins, Risako choisit d'envoyer Akihide qui, étant jeune et plein de volonté, se fera la main sur le terrain. Après tout, n'avait-il pas été nommé chef de division ? D'ailleurs, elle comptait beaucoup sur les forces du capitaine Yamamoto pour mettre un peu de plomb dans la cervelle du jeune guerrier.

Risako alla cependant à sa rencontre, et après lui avoir fait part des détails de la mission, lui dit:
"Que vos hommes soient prêts dans l'heure, et que votre cerveau vous serve à quelque chose. Vos subordonnés attendent que vous fassiez vos preuves, alors ne les décevez pas. Est-ce compris, Akihide-san ?"

Le jeune Akihide n'appréciant visiblement pas trop la manière dont sa supérieur lui parlait mais, comme tout bon samouraï, il acquiesça et salua respectueusement la capitaine. Il alla ensuite préparer ses hommes à la mission qui les attendait.

Un peu plus d'une heure après ce bref entretient entre la capitaine et le chef de division, alors que ce dernier était parti un citoyen, entre deux âges, arriva en sueur dans la cour, totalement essoufflé. D'après ses dires, un incendie serait en train de se déclarer tout près du château et il venait demander de l'aide pour évacuer les personnes prises aux pièges des flammes.

La capitaine pouvait envoyer Kazumori superviser les actions sur place tant au niveau de l'évacuation des personnes prises au piège que de l'extinction du feu, jugeant que sa capacité à se faire entendre et son sens de l'organisation seraient vitaux pour sauver les personnes et les bâtiments. Mais elle pouvait également juger qu'il n'y avait nul besoin d'envoyer un chef de division pour cette urgence et que dépêcher une quinzaine d'hommes sur place suffiraient amplement et qu'ils seraient peut-être même plus efficaces si elle constituait elle-même deux groupes, un chargé de l'évacuation des victimes et l'autre d'assister à la lutte contre les flammes.

Apparemment, Akihide n’avait pas apprécié ses remarques. Mais cela importait peu à Risako qui soupira quand il eut rejoint ses soldats. Elle avait été peut-être un peu trop sèche, mais elle ne pouvait se permettre de plaisanter sur les vies de ses hommes. Si Akihide voudrait un jour monter en grade, il fallait qu’il apprenne à se remettre en question et à ne plus foncer tête baissée. Mais Risako savait qu’il était une personne volontaire, et donc en passe de progresser.

Une heure plus tard, soit le temps de faire le tour de la caserne et de lire quelques rapports au soleil, Risako fut hélée par un civil qui s’était introduit dans la cour. Sa panique était évidente, et la capitaine fut bien obligée de saisir qu’il se passait quelque chose de grave. Comme elle le pensait _ ayant auparavant remarqué que de la fumée noire s’échappait d’une rue, _ un incendie s’était déclaré peu loin du château. Les citadins des environs faisaient le nécessaire pour l’enrayer, mais pas mal de personnes se retrouvaient coincées sous les flammes. Il fallait donc agir le plus rapidement possible.

Jugeant Kazumori trop lent dans ses décisions, donc inapte à commander sur le terrain, elle prépara elle-même ,et avec rapidité, deux groupes. Le premier, plus nombreux, étant dédié à l’évacuation des victimes, le second, à collaborer pour la lutte contre les flammes. Ils partirent sur le champ.

Plusieurs dizaine de minutes plus tard les soldats revinrent apprenant à leur capitaine que l'incendie avait été éteint et qu'aucun civil n'y avait laissé la vie, bien que plusieurs souffraient de diverses brûlures et que certains, ayant inhalé trop de fumée, peinaient à respirer. La rapidité de réaction de la capitaine avait sans doute permis de sauver plusieurs vies en ce jour.

Vingt minutes passèrent avant que Tsuyoshi et les hommes qui l'accompagnaient plus tôt ne revint à la caserne annoncer à sa supérieur que le dignitaire de Suigyuuku était arrivé sans encombres à Nezumi et qu'il venait tout juste de le laisser à leur seigneur. Le chef de division n'eut même pas le temps de prendre congé qu'un messager venant du daimyo vint informer la capitaine que le seigneur Aoi désirait gratifier leur invité d'une démonstration militaire afin de lui prouver l'organisation et la discipline des armées de Nezumi. Il lui était demandé de préparer une division pour une parade devant les murs de la ville et de rejoindre son seigneur au château et d'assister avec lui et leur invité à la démonstration. Ne pouvant donc mener elle-même la division qui allait se donner en spectacle, Risako devait chosir entre ses deux subordonnés, Kazumori et Tsuyoshi, lequel devrait préparer ses hommes pour effectuer cette démonstration.

Les soldats de Kazumori qu’elle avait choisis pour se charger de l’incendie revinrent sains et saufs. Ils annoncèrent à la capitaine que tout s’était bien passé et qu’il n’y avait pas eu de mort. Juste quelques blessés, brûlés ou avec des problèmes respiratoires. En tout cas, elle avait bien agi et en était soulagée. Ses hommes, dont la plupart étaient couverts de cendres, allèrent de suite se rendre plus présentables pour poursuivre leur travail.

Un peu plus tard, Tsuyoshi lui revenant avec ses cavaliers, lui fit savoir que le dignitaire Suigyuuku était bien arrivé, mais que le Seigneur la sommait de décider d’une division afin de montrer les talents de l‘armée au nouvel arrivant. Puis de le rejoindre pour assister à la démonstration. Risako savait qu’elle n’avait pas le droit à l’erreur devant le dignitaire, son seigneur, et peut-être même son fils. D’ailleurs, si par malheur, elle en commettait une, son cher supérieur n’hésiterait pas une seconde à la lui révéler.

Risako choisit alors la cavalerie qui, non seulement, était plus fraîche que les hommes de Kazumori, mais aussi bien plus susceptible de rendre le spectacle intéressant. Il fallait dire que Risako n’était pas vraiment pour la parade, qui avouons-le, la privait futilement d‘une division. De plus, elle serait alors obligée de reléguer toutes les décisions à Kazumori pendant son absence, ce qui ne la réjouissait guère.
Elle ne pouvait néanmoins se permettre de discuter les ordres, et décida, à contrecœur de faire confiance au charismatique vétéran en priant pour que rien de grave n’arrive.

La capitaine laissa donc la parade et sa préparation au bons soins de Tsuyoshi, et partit se préparer en vitesse. Il n’était pas question pour elle d’arriver sans grande tenue devant l’invité et son seigneur, et encore moins d’arriver en retard…Tout pour la galerie, hein ?

La représentation se déroula sans incident. La capitaine fut remerciée et renvoyée à ses hommes sans qu'aucune critique ne lui fut adressée. Les deux hommes, accompagnés de Bankichi qui n'avait pu s'empêcher de sourire à sa mère, avaient regardé la parade sans prononcer le moindre mot. De retour parmi ses subordonnés, Risako régla les derniers détails administratifs de la journée avant de prendre congé et de se retirer dans ses quartiers. Quelques heures plus tard, fourbue, elle s'allongea et ne tarda pas à trouver le sommeil.

Sa nuit fut agitée et ses rêves confus. Elle y revit son mari, son fils, son seigneur, ses chefs de divisions, un incendie gigantesque et une armée de cavaliers noirs dans l'incohérence la plus complète. Ce tumulte infernal laissa bientôt place à une étendue infinie de blanc. À l'intérieur de celle-ci se matérialisa un paysage montagneux, semblable à celui de Nezumi à l'apogée de la floraison des cerisiers. L'endroit était magnifique et enchanteur et la capitaine s'y sentait bien, toutes ses peines et ses angoisses envolées. Elle pouvait goûter à un calme et à une sérénité qu'elle n'avait pas connue depuis près de dix ans. Tandis qu'elle profitait de cet instant de repos, une petite souris blanche, peinturlurée de rouge, lui grimpa dessus et vint s'assoir sur son genoux droit. Deux autres, en tout points semblables à la première, ne tardèrent pas à la suivre. La première des souris commença alors à parler d'une petite voix douce et calme.

"Nous t'observons depuis longtemps. Tu devrais être un modèle pour beaucoup d'hommes. Malgré une peine qu'ils se pourraient pas même imaginer tu continues à te dévouer corps et âme à ton clan et à couvrir d'amour ton fils. Tu es incroyable. Pour t'encourager dans tes efforts, nous avons un cadeau pour toi. J'espère que tu sauras t'en servir pour alléger ta peine..."

La souris parut étrangement attristée et, tandis que les deux autres s'en allaient elle resta là, fixant le regard de Risako d'une expression très étrange pour une souris.

"J'aimerai tant pouvoir t'aider... mais nous n'avons pas le droit d'intervenir directement dans vos vies, père nous l'interdit. Je ne te dirai qu'une chose : continue de croire et ne cède pas au désespoir, car, je l'espère, un jour tu découvriras que tu avais raison."

Sans aucune autre explication la souris quitta le genoux de la capitaine et la rêve la quitta petit à petit, sur la vision de ce paysage enchanteur et magnifique.

À son réveil, Risako prit conscience qu'une nouvelle capacité, qu'un nouveau pouvoir s'était éveillé en elle, sans que personne n'ait eut besoin de lui apprendre à s'en servir.

Spoiler: