L’avantage d’avoir un seigneur aussi présent qu’un courant d’air, c’est qu’on a pas mal de temps libre. Ainsi Junrô était, on peut le dire sans honte, désœuvré.

Il s’était donc accordé quelques jours hors de Nezumi. Histoire de s’aérer un peu et d’avoir l’impression de faire quelque chose de ses vieux os. Et puis par la même occasion il pourrait se renseigner un peu sur la vie dans les autres clans, c’est toujours bon de connaître la situation de ses voisins. A son retour histoire, de ne pas être totalement inutile, il ferait un rapport à Aoi son seigneur. Il avait certes déjà des informateurs, des professionnels, mais aucun n’avait l’œil de Junrô. L’œil du type qui discute saoul dans les bars, drague les femmes, et se mêle de ce qui ne le regarde pas. Parfois il glanait de cette manière quelques informations juteuses et intéressantes…non ça n’est en aucun cas une énième justification ou excuse pour aller se saouler au quatre coin du monde !

Il commencera donc par la belle contrée de Saru, sa forêt, son climat…oui vraiment il partait content de son idée de petit périple.

Junrô voyageait léger : un peu d’argent, quelques vêtements de saison, de quoi boire et manger le temps de trouver comment se réapprovisionner bref utile et léger. Et pour cause il n’avait aucune envie d’épuiser sa monture, un cheval noir comme le jais, de taille moyenne, robuste. Un cheval fait pour les longues marches et le transport. Si la bête se fatiguait, ce serait à Jun de porter son paquetage et cette idée ne lui plaisait guère ! Il avait envie de flâner en chemin, pas de se traîner comme un vulgaire bidet.

Il se mit donc en route, traversant la montagne pour rejoindre le centre. La vue était à tomber, s’étendait devant lui ses prochains jours de marche entre montagnes, pleines, rivières et forêts denses, une vraie bouffée d’air frais. Junrô entama sa balade d’un pas franc et décidé suivit son cheval visiblement tout aussi ravi de prendre l’air.

Ainsi en moins d’une demi-journée de marche ils arrivèrent au bord d’un lac à quelques kilomètres de Saru. Junrô voulut s’arrêter ici pour se ressourcer un peu avant d’arriver en ville. Il déchargea sa bête et la laissa s’abreuver et se promener à sa guise. Ce cheval docile et domestiqué n’irait pas se carapater Jun le savait et lui faisait confiance. Pour sa part il posa son paquetage au sol et s’allongea la tête dessus, se laissant bercer par les bruits de l’eau, le calme ambiant et rassurant de cette nature qui s’offrait à lui. Les pas du cheval dans le sol meuble s’ajoutant à la musique finirent par l’endormir.

Quand il sorti de son sommeil profond, le Soleil était déjà bien bas et donnait à un nouveau visage au paysage. Mais il préféra garder ses yeux clos pour retenir encore ce moment de plénitude. Son oreille furent néanmoins perturbée par un bruit de craquement venant de la forêt. Sa respiration se fit silencieuse, il n’était pas particulièrement inquiet, mais depuis une mésaventure avec une Rokurokubi il se méfiait des bruits venant dans son dos. Il ouvrit un œil, son canasson n’avait pas bronché d’un millimètre dormant debout sur ses pattes, Junrô tourna son regard mais ne nota rien d’étrange.

Il s’assit groggy et s’étira en baillant dans l’espoir de se désembrouiller l’esprit. Soudain il se saisit d’un Tantô à sa taille et le lança avec une rapidité qui contrastait avec son état. Dans sa position de lancé, il attendit une réaction quelconque. Son tantô planté au pied d’un arbre, à quelque pas du bruit qu’il avait entendu en premier, il en était persuadé il y avait quelque chose là bas.

Bon Dieu que c’est dur d’avoir les idées claires après avoir si bien dormi. Junrô bondit littéralement sur ses fesses en entendant de l’agitation en hauteur, un miaulement qui brisa le calme de la forêt, suivit de la chute d’une…masse qu’il avait du mal à définir. Ca avait pourtant miaulé, mais ça ne ressemblait en rien à un chat !

Il resta assis, ahuri quand il entendit un gémissement humain. Une petite voix s’était élevée dans les airs, semblable à celle d’un enfant ou d’une jeune femme. Il se ressaisit et avec méfiance et prudence, oui les deux en même temps c’est possible, il se releva pour aller voir. Il pria, pria, pria de toutes ses forces pour que ça ne soit pas une Rokurokubi, car oui il avait été vraiment traumatisé par cette créature…j’aurais aimé vous y voir à sa place.

Il fit quelques pas pour s’approcher un peu, afin d’être définitivement fixé sur ce qui l’attendait. En raison de la luminosité qui commençait à baisser, il s’approcha plus qu’il ne l’aurait voulu - C’est d’ailleurs à ce moment qu’il pensa qu’il serait peut être temps qu’il s’inquiète de où trouver du bon bois pour faire un feu afin de passer la nuit tranquillement…mieux vaut tard que jamais - Il s'arrêta quand il fut à deux petits mètres de la jeune fille assise sur son séant, des larmes dans les yeux.

Junrô la fixa, bras croisés, sourcils froncés visiblement perplexe. Il regarda au dessus de lui la branche et les feuillages qu’il avait entendu frémir un peu plutôt et reposa son regard sur la jeune personne face à lui.
Il avait flâné et dormi dans les parages sans remarquer sa présence. Le bruit pour lequel il avait lancé son Tantô venait du sol, pas des hauteurs d’un chêne. Il regarda aux alentours, fit un tour sur lui-même, mais apparemment la chose qui avait fait du raffut en premier n’était plus là. Il ne restait que cette gamine qui avait trompé la vigilance de Junrô.

-Yosh...

Lança-t-il sans conviction avant d’aller récupérer son Tantô. Il se rangea avec soin à sa ceinture, semblant perdu dans ses pensées.
Il n’en revenait pas, il n’avait absolument pas senti sa présence, à aucuns moments. Il la regarda à nouveau, que faisait cette petite mal peignée seule dans cette forêt ?
Il s’approcha d’elle et lui tendit la main,

-Tu es seule ?

Puis sans attendre de réponse, devant son regard, ses cheveux en bataille et sa corpulence d’anguille il ne put s’empêcher de lui demander,

-Tu as faim ?

Junrô n’avait pas franchement l’âme d’un babysitteur et il n’était pas particulièrement à l’aise face à des enfants – peut être parce qu’il leurs ressemble – mais comme toute personne un peu censée dans une situation comme celle là, il n’allait pas tourner le dos en la laissant là.

Junrô venait de se prendre un vent monumental par une petite fille qui se comportait comme un animal sauvage. A peine avait-il cligné des yeux qu’elle avait disparu. Il soupira se demandant où avait-elle fuit, quand il entendit du raffut dans son dos. La petite était entrain de se battre bec et ongle contre un Tanuki qui avait décidé de s’en prendre au sac de Junrô.

Il fut dans un premier temps captivé par la façon dont cette fille là se comportait. Elle se tenait toujours presque accroupie, les expressions de son visage semblaient avoir été emprunté aux animaux, elle n’avait pas décroché un mot si ce n’est quelques miaulement. Vraiment il en avait rencontré des gens étrange, mais elle, elle était vraiment spéciale.

Le Tanuki fini par avoir raison de la jeune fille et s’échappa avec le paquetage de Jun. Il allait venir vers Ayumu pour voir si elle allait bien, mais soudain il se rappela de ce que contenant son bagage. De la nourriture, de l’eau, des vêtements bref rien de bien indispensable pour le peu de voyage qui lui reste, mais il y avait surtout,

-Toi ! La bête fortement testiculé ! Si tu crois que tu vas te saouler avec MON saké !!!

Il parti comme une furie derrière le Tanuki. Il n’avait aucune chance de rattraper cette petite bestiole, mais il pouvait lui foutre la frousse. Junrô lança un Tantô qui se planta net devant la bête interrompant sa course. Le Tanuki surpris ouvrit sa gueule laissant tomber le sac, il s’apprêtait à le reprendre et se sauver, mais le second Tantô fixa le sac au sol et fit prendre la fuit à l’animal qui parti sans son butin.

Junrô ramassa ses armes et son paquetage qu’il ouvrit. La boîte dans laquelle il conservait ses aliments s’était ouverte, les boules de riz s’étaient éparpillées et ses vêtements de rechange avaient été coupés par sa propre lame, mais fort heureusement l’eau et le saké étaient intacts ! Il s’en félicita par une petite danse de la joie avant de revenir sur ses pas retrouver son cheval et il l’espérait, la petite sauvageonne qu’il l’intriguait tant.

En chemin il prit des brindilles et du bois sec avec quelques pierres dans le but de faire un feu, car la pénombre commençait à arriver sur eux. Quand il fut de retour à l’endroit où il avait laissé la jeune fille, il ne la remarqua pas tout de suite. Jun posa ses pierres et autres brindilles avec son sac avant de jeter un œil autour de lui.

Elle s’était retranchée dans les buissons sans doute encore méfiante. Junrô prit une assiette creuse dans son sac ainsi qu’un linge. Il alla au point d’eau remplir son assiette et avança vers la jeune fille en trempant un coin du linge dans son récipient d’eau,

-Il faudrait nettoyer à l’eau claire et peut être mettre un peu d'alcool, ça limitera plus les risques d’infections. Autrement tu resteras avec une vilaine plaie sur le nez…

Lui lança-t-il avec un sourire, sans être sûr qu’elle comprenne.

Heureusement pour lui ils étaient, à priori, seuls dans cette forêt. Si un seul homme qu’il connaissait le voyait en cet instant…si Aoi-sama l’avait vu, là, se faire surprendre pour la seconde fois par une fillette grosse comme un cure-dent, il se serait fait décapité direct ou même pire…il aurait été renvoyé à sa vie d’avant.
Jun allongé dans l’herbe était profondément vexé !

Il se releva d’un bond, digne. Ramassa sa coupelle et son linge et se mis au travail pour faire son feu. Lui qui était prêt à partager son saké, et même pas pour le boire en plus ! Pour le gâcher sur le bobo au nez d’une morveuse. Ah ça on ne l’y reprendrait plus à vouloir aider des enfants…complément bipolaire ces gens là !

Jun marmonnait dans sa barbe, assis au milieu de la clairière, occupé à faire son feu. Il disposa les pierres en cercle, il mit au centre du petit bois et des brindilles et prit dans son sac deux pierres taillées avec lesquelles il avait l’habitude de lancer les premières étincelles d’un feu réconfortant. Une fois que le feu avait pris, il se calma. La vision des flammes dansantes dans la nuit était hypnotisante, apaisante. Il respira un grand coup, après tout pourquoi s’énerver il était venu pour se reposer et s’aérer…il n’y a plus qu’a !
Il sorti son bento et ramassa les quelques miettes de boulettes de riz restantes dans son sac. Un repas pas très frugal certes, mais un repas quand même. Jun pris ses baguettes et picora ses morceaux de poulets assaisonnés.

Soudain il distingua la fillette dans un arbre.
Jun la regardant en réfléchissant. Finalement il se demandait si cette attitude qu’il trouvait si étrange n’était pas en réalité logique. Extrême, mais logique. Après tout elle ne le connaissait pas, pourquoi se laisserait-elle approcher. Bon de là à grimper dans un arbre, il n’était quand même pas si effrayant.
Il continua de manger en jetant tour à tour un œil sur son cheval, sur le feu et sur sa bouteille de saké qu’il avait, vous l’aurez compris, hâte d’ouvrir.