L'odeur de l'anguille grillée chatouille agréablement les narines du vieux chef de guerre, il salive déjà a l'idée du festin qu'il va faire, en appréciant ce saké qui ma foi est très gouteux, c'est un étonnement étant donné le pittoresque de la pagode où il s'était installé. En réalité en s'arrêtant devant cet établissement perdu dans une impasse de la cité Ryuuji, le borgne avait une autre idée en tête que de faire une collation.

Le voyage jusqu'à la cité fortifiée avait été usant et pénible, lui rappelant par la même occasion qu'il n'était plus le jeune gaillard d'il y a trente-une année, mais il n'y avait pas que cela, la jeune femme qui faisait rosir de sa main experte les tranches de poisson lui évoquait de lointain souvenir aussi. La dernière fois qu'il avait vu cette femme, elle commençait à peine à marcher, c'était la fille d'un de ses compagnons d'armes, qui avait périt durant le conflit contre les Toragi. Les années qui suivirent ce décès, le chef de guerre avait toujours gardé un œil sur cet enfant, même quand une fois devenue femme, elle avait quitté Kobuta pour vivre avec son époux, un natif de Ryuu.

Isamu aurait pu continuer à contempler cette belle femme pendant de longues heures, mais un incident fâcheux vint gâcher ce moment si paisible. Voilà qu'un jeune insolent tombe du ciel et détruit le récipient qui contenait ce délicieux breuvage, mais l'impolitesse ne s'arrêta pas, le jeune homme, qui d'après ses exploits martiaux était un bon sabreur, se contenta d'un simple « désolé » comme excuse. Un comportement qui bien entendu provoqua l'ire du vieux sanglier.

Le chef de guerre se leva et redressa son imposant buste, pour darder de son regard courroucé l'impudent qui avait osé lui renverser son si délicieux saké, c'est avec une voix tonitruante qu'il ajouta.

A ces mots, Isamu ramassa ses deux sabres soigneusement posés sur la table où il sirotait tranquillement son saké et les glissa dans la ceinture de son kimono. L'image était sans équivoque, c'était comme lancer une lettre de défi à ce jeune guerrier, soit il s'inclinait pour présenter des excuse adéquates au chef de guerre, soit il perdait la tête.

Les bras croisés sur le torse, toisant fièrement son interlocuteur, le chef de guerre attendant la réaction, mais il espérait vraiment que ce dernier persiste dans son insolence, le borgne avait su reconnaitre un excellent adversaire et l'idée de croiser le fer avec cet homme le remplissait déjà de joie, ce n'est pas tous les jours qu'on fait la rencontre d'un bon guerrier. La foule qui commençait à s'accumuler autour d'eux devait penser la même chose, on entendait même certain pronostiquer sur le gagnant de cet hypothétique duel.

Mais on en est encore loin, n'est-pas, allez savoir ce jeune freluquet, craignant de se faire raccourcir, va peut-être présenter ses plus plates excuses ?

Ce fut le constat qu'énonça le guerrier expérimenté quand le jeune homme refusa de se soumettre et fit sabre au clair. C'est bizarre, mais Isamu avait pressenti ce genre de développement, lui aussi d'un geste lent presque solennel avait sorti de leur fourreau ses sabres. Le Katana tenu fermement par sa ma droite était disposé latéralement et parallèlement au sol, tandis que le Wakizashi était maintenu au-dessus de son crane comme le dard d'un scorpion, prêt à donner la mort à celui qui se rapprocherait de son périmètre.

Comme un le bruit des vagues retentissant contre le roc d'une falaise, le chef de guerre du clan Kobutama venait de décliner son identité. Un signe de respect envers un guerrier, mais aussi pour qu'il ne meurt pas en sachant qui l'avait vaincu. Il était temps que les langues se taisent et que les armes parlent, ce fut le jeune qui entama les hostilités, chose qui n'était pas pour déplaire à Isamu, au moins son adversaire avait du cran, ce qui rendait le combat encore plus passionnant.

L'escrime du jeune homme, un style tout en feinte était désagréable pour le cinquantenaire, il faut dire que le partisan de l'affrontement frontal qu'était Isamu n'était pas avantagé contre ce feu follet. Si dans un premier temps les échanges avaient l'air équilibrés, un expert en art martiaux pouvait déjà apercevoir de quel côté la balance se pencherait, en effet, le vieux sanglier avait pu estimer que son jeune opposant était très souple et surement aussi rapide que le vent, bien plus qu'il ne l'était lui. Akechi avait peut-être la fougue de la jeunesse pour lui, mais le vieux Isamu avait l'expérience des batailles et surtout un pragmatisme à toutes épreuves.

Aussi quand il crut reconnaitre le premier mouvement de son opposant, il apposa directement son sabre court pour parer le coup, son autre katana était déjà en position pour contre attaquer. C'était un mouvement simultané de défense-attaque, une solution qu'il avait trouvée pour palier son manque évident de vitesse, une technique qui lui avait permis de vivre en brandissant le fer pendant toutes ses années.

Mais le coup attendu ne vint pas, c'est une autre feinte que le fougueux combattant lui présenta, une feinte imparable, alors le chef de guerre ne prit même pas la peine de chercher à esquiver ou à se protéger. Armé de sa détermination, Isamu continua son mouvement initialement engagé. Au style tout en finesse d'Akechi, Isamu répondait par la force brute et la douleur qu'il ressentit quand la lame acérée du combattant commença à lécher sa peau fut estompée par la perspective de voir la sienne trancher à vif ce visage si arrogant.

Les yeux du chef de guerre s'écarquillèrent d'étonnement quand la lame de son sabre fut freinée par une lame de vent. Ainsi son adversaire était un natif du clan Umano, voilà qui mettait du piment à cette rencontre qui était déjà forte existante. Isamu ne pouvait qu'être admiratif devant le génie employé par son jeune opposant pour éviter le coup qui aurait dû lui être mortel, au lieu de cela il n'écopa que de la blessure incapacitante. C'est dans ces moments la que le vieux sanglier maudit son âge. Il fut un temps où rien que le souffle de son sabre aurait suffi à trancher cet homme en deux, comme une vulgaire pastèque trop mure. Mais bon ! Il était blessé c'était déjà, il ne restait plus qu'à finir le boulot avant que l'entaille qu'il avait au flanc ne le vidait entièrement de son sang. Isamu s'apprêtait à prendre de l'élan afin de lancer une charge dévastatrice quand Akechi, lui révéla son identité complète :

Bien que cela le répugnait, à cause de son rang au sein du clan Kobutama, Isamu se tenait informé de manière plus ou moins officiel de la composition des autres clans, aussi bien qu'il ne l'avait jamais croisé auparavant, il connaissait le statut du jeune frère du seigneur du clan Umano. Son adversaire n'était rien d'autre que son homologue au sein des fils du vent, voilà ce qui rendait ce combat sensible, car tout geste inconsidéré de sa part pouvait être assimilé à une déclaration de guerre et jeter la honte et le déshonneur sur son nom, pourtant l'idée d'abandonner le combat et de partir en vaincu était inconcevable.

Voilà s'était fait, son statut divulguer, le jeune Akechi devrait comprendre à présent la sensibilité de la situation.

C'est qu'il était obstiné le vieux grognon, cependant on pouvait quand même noter un changement de son attitude, en effet il n'était plus en position de combat. La pointe de ses deux sabres était dirigée vers le sol. Sentant qu'il avait en face de lui une vraie tête de mule, qui lui aussi ne voulait surement pas perdre la face devant la foule qui s''était amassée autour d'eux, Isamu trouva une parade qui pourrait surement convenir, en soupirant il ajouta.

Les bonnes vieilles méthodes sont finalement indémodables, qui casse un œuf paye une poule et qui renverse le saké d'un vieux Kobutama, lui offre à boire jusqu'à ce qu'il n'ait plus soif, autant dire que la bourse du jeune Umano a intérêt à être pleine de Ryo, s'il accepte le compromis.

L'épilogue du combat avait une drôle d'allure, c'est finalement devant un verre de saké et quelques Yakitoris bien parfumés que les deux guerriers finirent leur duel après s'être fait soigner par les mains expertes d'un guérisseur, seulement que de questions posées par Akechi ! Dans un premier temps le bourru se contentant de garder son air sévère et de toiser de son œil valide son jeune homologue, tout en grommelant comme un ours qu'on essaierait de faire sortir de sa tanière, mais une fois que sa première coupe de saké fut engloutie, il brisa le silence de marbre qu'il avait instauré pour enfin répondre à son interlocuteur avec un ton qui avait l'air plus jovial.

Déclara-t-il d'une voix tonitruante tout en remplissant de nouveau le récipient qu'il venait de vider à une vitesse phénoménale. C'est que notre vieux sanglier en plus d'avoir le cuir épais, avait une sacrée descente, ce n'était pas le genre à se coucher rapidement sur la table, du moins tant qui restait à boire quelque chose dans le coin. Qui a dit que la vie d'un guerrier n'était faite que de privations ?

Encore une fois Isamu faisait allusion à sa frustration suite à l'annexion de Kobuta par les Toragi, bien sûr, il ne pouvait pas en faire état devant le chef de guerre d'un clan rival, cela pouvait avoir de graves répercussions si la nouvelle parvenait à des oreilles indiscrètes et malveillantes. Ah la politique, dire qu'un vieux samouraï comme Isamu devait s'adonner à cet art obscur, avant les choses étaient plus simples, on réglait les problèmes à la force du bras et cela satisfaisait tout le monde, un peu comme l'avait fait ces deux hommes. Une autre rasade de Saké, on était déjà trois verres ou peut être quatre ? Quoi qu'il en soit, l'officier héla la tenancière pour qu'elle apporte de nouveaux accompagnements, ainsi qu'une autre bouteille de saké.

Avec la pique d'un Yakitori, il désigna de façon peu gracieuse la tenancière qui s'avançait vers eux. Elle avait certes de la crainte sur le visage à l'idée que le combat ne reprenne, mais même marquée par la peur, elle gardait sa magnifique beauté, de quoi émouvoir et susciter le désir chez n'importe quel homme. A ce propos, Isamu arqua des sourcils quand un groupe d'hommes, surement des Ronins fit une intrusion grossière et bruyante dans l'établissement, gageons qu'ils n'aient pas la funèbre idée de faire de l'esclandre.

Le ton avait carrément changé, il semblait plus amicale, moins formel, plus détendu, en fait le vieux sanglier appréciait la présence de ce jeune poulain à sa table, d'autant plus qu'il avait un fils qui lui ressemblait un peu, hélas avec beaucoup moins de talent pour le maniement du sabre.

Un sourire fugace déforma le visage bougon du général après avoir entendu ce qu'il perçut comme étant un compliment. Isamu acquiesça en opinant du chef à l'écoute des motivations personnelles de son interlocuteur, des rêves de grandeurs un peu égoïste certes, mais qui respectait parfaitement le code du bushido, dommage que peu de jeunes de nos jours aient l'envie de se sublimer pour atteindre les sommets de l'art du sabre, seulement cette voie était aussi glorieuse que dangereuse, l'entaille que le sanglier lui avait fait au bras devrait le lui rappeler.

Isamu aurait aimé féliciter l'Umano pour son ambition, seulement les mécréants qui venaient de faire leur apparition dans la pièce sobre de l'établissement commençaient à semer le grabuge et surtout s'en prenait à la tenancière. Incident que le chef de guerre aurait remarqué même sans l'intervention de son jeune homologue.

Apres avoir posé son verre bruyamment sur la table en bois, le général éleva son imposante masse et d'un geste autoritaire intima l'ordre silencieux à son fougueux partenaire de rester en retrait. D'une part il s'agissait d'une affaire personnelle à régler et sa fierté lui interdisait de demander de l'aide. D'autre part, tout le monde le sait quand un Kobutama se laisse aller, ca fait généralement des étincelles et mieux vaut ne pas être dans les parages. Isamu en utilisateur du Bakugami ne dérogeait pas à la règle, pourtant quelque chose lui soufflait qu'un combattant comme Akechi ne resterait pas en retrait à faire le simple spectateur.

Avec une démarche lente et imposante, le général se rapprocha donc des éléments perturbateurs et leur déclara :

Evidement le manque de talent de ses hommes à moins que ce soit la trop grande quantité d'alcool ingurgitée par ces derniers, ne leur permit pas de discerner la menace éminente qui planait au-dessus d'eux tel une ombre néfaste. Au lieu de simplement se calmer et de retourner à des activités ludiques, celui qui semblait être le meneur de la bande, ce contenta de se moquer de lui.

Par gigolo, le condamné à mort qui ignorait son état, désignait le jeune Umano, autant dire qu'il venait de sceller son sort et celui de ses hommes par cette parole insensée. Pourquoi donc fallait-il que l'homme fasse tout pour courir à sa perte ? Si ces rônins s'étaient contentés de dilapider leur fortune et ensuite d'aller courir les prostituées dans un des quartiers mal famés de la citadelle, ils auraient surement eu la chance de revoir le soleil se lever.

La réponse du sanglier fut silencieuse et pourtant plus percutante que celle de son interlocuteur. Seul le son du frottement de sa lame quand il la dégaina se fit entendre, puis le bruit d'un objet qui roulait sur le sol, il s'agissait de la tête de l'insolent qui venait d'être décapitée. Contrairement à Akechi qui avait utilisé le plat de sa lame contre des ronins, Isamu sortait toujours son sabre avec l’intention de tuer, le détenteur du corps sans tête, le savait dorénavant.

A la vue de leur chef raccourci sans autre forme de procès, le reste de la bande fit sabre au clair et charga les deux nobles samouraïs.

Ce n'était qu'un ersatz de combat, il n'y avait aucune excitation à sabrer la chair de ces chiens, cela tenait plus de la corvée, des mouvements prévisibles et trop larges, une défense que même une donzelle pourrait percer tant elle était fragile. Quand on est si pathétique au sabre on évite de provoquer le premier venu. Isamu se demandait de quels droits ces fous se permettaient de ternir l'honneur du samouraï en arborant à leur taille un Katana. Inconcevable !

Les deux voyous qui tentèrent de le prendre en tenaille ont pu découvrir à leur dépend que la technique des deux sabres du chef de guerre était parfaite. En un geste simultané, le bretteur ouvrit l'abdomen des hommes qui s'écroulèrent sur le sol en criant de douleur, si seulement cela avait découragé l'inconscient qui le chargeait de manière grossière et frontale, celui-là aurait toujours sa tête sur les épaules.

Pourquoi cette effusion, on pourrait juger cela excessif pour une simple parole déplacée, mais il y avait des mots que le général ne pouvait cautionner, des propos que son honneur de guerrier ne pouvait supporter, telle était la raison de cette punition expéditive. De son côté le jeune Akechi en fini rapidement, le contraire aurait été étonnant.

Le combat cessa rapidement, ce n’était pas grand-chose pour deux experts du sabre comme eux, mais le premier trouble passé, il dut faire face à un autre problème : la garde de Ryuuji. La il ne s’agissait plus d’une vulgaire rixe de comptoir, faire couler le sang d’un soldat allié était un acte grave. En conséquence, il ne pouvait qu’acquiescer d’un signe de la tête la décision de l’Umano.

C'est avec un regard amusé que le vieux sanglier observa son jeune homologue s'enfuir, avec la certitude que leurs chemins se croiseront de nouveaux.....