Le reflet de l’eau se découpait à peine dans ses yeux sombres. Kotaro observait le moindre mouvement, le moindre frisson dispersée à la surface, agenouillé au bord du grand bassin qui trônait en plein centre de la cour intérieure de son château. Cette cour était l’un des nombreux héritages que le fondateur historique du Clan Saruha, Saruha Sakidasu, avait laissé à sa descendance. Elle s’ouvrait comme un parfait cercle sur plusieurs mètres carrés et se voyait principalement décorée de petits chemins pavés et de bassins d’eau plus ou moins grands et de formes diverses et variées. Kotaro siégeait au bord du bassin principal, celui qui avait été construit en l’honneur de la première épouse de Sakidasu.

Kotaro ressentait une mélancolie propre aux mouvements d’eau de ce bassin. Il se disait que la première épouse du fondateur y avait coulé les dernières heures de son existence. De ce que Kotaro en savait, la maladie avait rongé la pauvre femme de l’intérieur des années durant. Soucieux de sa santé, Sakidasu avait ordonné la construction de plusieurs bassins d’eau pour rappeler à son aimée les lointains rivages et les eaux limpides de son village natal. La Dame avait chéri l’offrande de son époux au point d’y mourir dans un soupire que l’eau semblait avoir mémorisé.

Un nénuphar de la taille d’un bouclier flotta jusqu’à Kotaro. Ce dernier se pencha vers l’avant et tendit sa main droite pour en caresser le velours verdâtre. L’eau frémit alors et se cristallisa autour de la plante aquatique. Kotaro suspendit son mouvement puis se redressa, un sourire amusé pendu à ses lèvres. Le Seigneur du clan Suigyuuku approchait, à ne pas en douter.

Comme cela se confirma à l’arrivée du conseiller Eichi.

EICHI - Mon seigneur, un éclaireur du Clan Suigyuuku vient de parvenir aux portes du château. Le Seigneur Suigyuuku sera bientôt là. Vous feriez mieux de vous préparer à l’accueillir.

Kotaro acquiesça sobrement.

Une poignée de minutes plus tard, il se retrouva au sommet du grand escalier donnant sur les portes du château. Sa longue chevelure soigneusement attachée dans son dos oscillait à la moindre impulsion du vent, son habit de soie verte et le haori qui y était associé se permettaient des mouvements beaucoup moins amples mais tout aussi gracieux.

Au pied de l’escalier, Kotaro vit un cortège de plusieurs dizaines d’hommes à cheval et à pieds se défaire de leur nécessaire de voyage auprès de ses serviteurs dépêchés à cet effet. Suigyuuku Mitsuru se détacha du groupe, rapidement suivi de quelques hommes de son clan. Kotaro adressa un signe de main au conseiller qui s’apprêtait à inonder son oreille de murmures, sourit, et descendit une à une les marches de l’escalier.

Arrivé sur la seule marche qui permettait à trois hommes de se tenir debout, Kotaro rencontra finalement le regard de son invité et s’arrêta.

KOTARO - Soyez le bienvenu dans le domaine du Clan Saruha, Seigneur Suigyuuku.

Une légère brise soufflait sur les plaines de l'Est de l'Hinomoto. Lentement balayés par les allers et venues du vent, les longs cheveux de Mitsuru virevoltaient de droite à gauche, cachant de temps à autre son visage mais jamais son angle de vision. Les yeux du seigneur du clan Suigyuuku n'avaient pas quitté l'horizon qui s'étendait devant lui et plus particulièrement son but, le domaine Saruha. Il était difficile d'exprimer quels étaient ses ressentis à ce moment précis. La situation était ce qu'elle était et sa venue dans ces contrées était pour le moins anecdotiques. En effet, rien n'alliait ces deux clans, mis à part le pacte de non-agression établi avec Umano Kenji, nouveau souverain des contrées du dieu Singe.

Pourtant contrairement à la situation générale du pays, le rapport de soumission qui unissait le cheval et son clan dominé étaient quelque peu différents. Les deux seigneurs étaient amis et ne s'en cachaient pas.

Alors que ses pensées le submergeaient, Mitsuru fut sorti de sa torpeur par un de ses éclaireurs shinobis qui lui indiqua qu'ils approchaient de leur destination. La région de Saruha était magnifique, grande zone boisée, elle abritait de nombreux points d'eau et surtout une plaine magnifique d'un vert émeraude. Les conditions de vie idyllique de clan étaient à l'opposé même de leur situation actuelle. Leur position géographique les rendait quelque peu vulnérable et pourtant ses habitants continuaient de vivre comme si de rien n'était. Passant à côté d'une rizière en crue, le cortège de Suigyuuku fut accueilli honorablement par des saluts respectueux. Rendant les politesses aux paysans, Mitsuru se demandait si ils n'en faisaient pas trop, après tout il n'était pas là en tant qu'allié, loin de là...

La troupe arriva alors près des grandes portes de la forteresse de Kotaro-dono, et alors qu'ils n'attendaient que depuis quelques secondes, les larges portes s'ouvrirent pour permettre à Mitsuru et ses accompagnateurs de pénétrer dans l'enceinte. L'intérieur donnait directement sur le palais via un large escalier. Alors que le seigneur des glaces se débarrassait de son nécessaire de voyage il put apercevoir en haut des marches que son hôte était déjà là, prêt à le recevoir. Une attitude honorable et remarquable en ces temps de guerre, le seigneur du singe gagnait des points assurément.

Mitsuru s'avança quelque peu pour se démarquer du reste de ses troupes, il était vêtu d'un simple hakama noir et de ses habituelles épaulières de combat. Torse nu, ce dernier rempli de cicatrices, il n'était pas coutumier des apparats de cérémonie, et il savait que sa réputation l'excuserait d'un tel manquement de respect.

Son regard rencontra celui du seigneur Saruha qui lui souhaita la bienvenue.

- Merci Seigneur Saruha, je vous prie de m'excuser pour cette visite impromptue, mais il me semblait nécessaire de venir en personne afin de m'entretenir de quelques sujets cruciaux avec vous.

N'avançant point afin de garder les distances protocolaires avec son vis-à-vis, il se courba légèrement par signe de respect et continua.

- Loin de moi l'idée de presser les choses, mais pourrions nous commencer à l'instant?

Suigyuuku Mitsuru n’était pas le genre d’homme à se laisser distraire par des faux-semblants. Être à la tête d’un Clan de l’acabit du Clan Suigyuuku poussait naturellement à la méfiance. Kotaro savait par conséquent qu’il ne servirait à rien d’emprunter des chemins détournés en sa présence. Acquiescer, tout au plus, cela suffirait pour un début. C’est ce que Kotaro fit avant de pivoter sur le côté pour ouvrir le passage à son invité. Les discussions diplomatiques avaient toujours eu le don de l’amuser. Il espérait à présent que cette entrevue déboucherait sur quelque chose de tout aussi amusant même si tout dans l’attitude du Seigneur Suigyuuku laissait penser qu’il n’était pas le type de personnage à s’amuser d’heures graves.

KOTARO - Vous êtes venu me trouver dans l’espoir que vos pensées trouveraient un écho dans mes paroles. Ma curiosité n’en est que plus grande. Qu’est-ce qui peut bien amener un homme de votre stature à quitter son domaine pour un autre de moindre importance ?

La question pouvait paraître directe, voir peu protocolaire. Mais Kotaro avait appris à jouer avec les manies de ses interlocuteurs. Si celle du Seigneur Suigyuuku était de toujours prendre les raccourcis alors il se montrait en quelque sorte courtois en faisant de même. Après tout, n’étaient-ils pas là pour s’entretenir de manière claire et concise ?

Martelant un rythme de pas léger, Kotaro guida son invité au travers du dédale de couloirs que constituait son château. Après quelques minutes de déambulation, ils débouchèrent finalement sur un grand hall terminé par deux imposantes portes en chêne massif. Voyant leur seigneur arrivé, les gardes ouvrirent les portes, révélant ainsi au regard du Seigneur Suigyuuku la célèbre Salle du Nénuphar, ainsi nommée car un gigantesque nénuphar y trônait en plein centre d’une fontaine spécialement aménagée entre les deux castes de conseillers. Ces derniers s’inclinèrent bien bas en voyant les deux seigneurs entrer côte à côte et conservèrent cette position jusqu’à ce qu’ils se soient assis l’un en face de l’autre sur une estrade située en bout de salle.

Des servantes prirent aussitôt le relais et deux services, un à thé et l’autre à saké, furent apportés. Kotaro n’eut à prononcer le moindre mot quant au choix de boisson, le thé légèrement fumant lui fut aussitôt servis dans une coupelle en porcelaine. Les servantes attendirent le choix du Seigneur Suigyuuku sans un bruit, se contentant de rester penchés sur les deux services.

Détaché de toutes ces considérations, Kotaro tendit les bras en soulevant la coupelle à hauteur de son menton avant d’abaisser la tête en guise de respect. Ainsi en était-il d’une salutation protocolaire chez les Saruha : humble et sobre à la fois. Kotaro attendit que son invité soit servit pour relever la tête et avaler une lampée du délicieux liquide.

Ramenant ensuite ses bras le long de son corps pour laisser choir ses mains sur ses cuisses, il se demanda sérieusement ce qui avait pu pousser son invité à vouloir cette rencontre au point de se déplacer lui-même plutôt que d’envoyer un porte-parole comme il était coutume de le faire par ces temps de paix relative. Suigyuuku Mitsuru traînait une réputation de guerrier avec lui, non de diplomate. Les cicatrices bien en vue sur son torse rappelaient constamment cette idée à l’esprit de ses interlocuteurs. Devait-il être pris pour un imbécile ? Kotaro en doutait. Il savait par expérience qu’un excellent guerrier ne le devenait pas à la force de ses bras, mais à la portée de son intelligence. Suigyuuku Mitsuru devait compter parmi ceux qui la préservaient le mieux, quitte à en paraître rustre par moment.

KOTARO - Quelles nouvelles m’apportez-vous ?

Saruha Kotaro était un homme sage de réputation, peut être trop sage en apparence pour Mitsuru qui aimait se jouer des on-dit. Il était prêt à jouer sur cette image de guerrier de sang froid qui laisse parler sa lame avant son esprit, mais c'était sous-estimer la portée de celui de son hôte.

Alors que ce dernier invitait respectueusement le seigneur des montagnes à le suivre dans son palais il l'interrogea sur la raison de sa présence après avoir avoué qu'il était plus que curieux de la réponse de son vis-à-vis. Cet homme était à n'en point douter un doux orateur qui tentait tant bien que mal de jauger la répartie du seigneur de Suigyuuku. Il était vrai que depuis que Mitsuru avait accédé au rang de seigneur de ses contrées il n'était venu qu'une fois à Saruha, pourtant contrée plus que voisine de la sienne. Il était ainsi normal que Kotaro ait envie de tester l'homme d'âge mûr qui se tenait devant lui.

Mitsuru lui répondit simplement sans laisser transparaître aucune émotion, le ton rauque de sa voix ternie par les saisons et l'alcool fort permettant de masquer toute variation sonore.

- Les rapports de force entre nos clans sont bien dérisoires quant aux nouvelles que j'apporte seigneur Saruha. Il est primordial que vous soyez au fait que votre importance est tout sauf moindre à l'aube de ce qui se trame à l'ouest.

Sans réellement divulguer ses informations tout de go, il avait tout de même émit une localité. Le seigneur des contrées du Dieu singe était tout sauf dupe et ce premier échange lui avait sûrement déjà mis la puce à l'oreille.

Les deux hommes se mirent à déambuler dans le palais Saruha qui était tel qu'il était conté dans les livres. D'une beauté de nacre et d'émeraude, le raffinement de chaque espace était plus époustouflant encore que la salle du trône de Suigyuuku. De la tranquillité émanait de chaque recoin, de chaque plante, de chaque ornement mural. Lorsque Mitsuru pénétra dans la salle du Nénuphar célèbre à travers tout l'Hinomoto, les yeux du vieux guerrier furent presque aveuglés. La lumière qui émanait de cette pièce était presque plus radieuse qu'en extérieure. Les agencements étaient parfaits et comme dans la légende, il s'agissait sûrement du lieu construit de la main de l'homme le plus propice à la méditation.

Alors que les deux seigneurs s'installaient en fond de salle, chacun épaulés d'une armée de conseillers, un service à boisson fut apporté. La réputation de Mitsuru l'avait encore trahi et voilà qu'on lui proposait du saké en plein milieu d'une réunion. Il était admis que le guerrier aux milles cicatrices était d'une résistance sans bornes aux méfaits de l'ivresse, mais il ne pouvait se permettre un seul écart de réflexion dû à l'alcool. Il s'empara alors d'une coupelle de thé qui embaumait toute la salle de son nectar à la fois fruité et amer. Alors qu'il voyait que son hôte était encore légèrement courbé par signe de respect, il s'empressa de goûter au doux nectar afin de débloquer la situation.

Reposant la tasse à ses genoux, il laissa ses deux mains se poser sur ces derniers, paume ouverte. Son regard se posa alors sur celui du seigneur Saruha. Ce dernier l'épiait sans réelle insistance, un profond respect émanait de cet homme. Il demanda alors quelles nouvelles apportait Mitsuru, ce qu'il s'empressa de dévoiler.

- Les nouvelles sont tout sauf bonnes. Vous avez sûrement pu entendre les échos d'une menace qui se soulève à l'ouest.

Baissant immédiatement les yeux, il s'empara de sa coupelle encore fumante et soutira quelques gorgées au récipient de porcelaine ornée de peintures locales. La tasse toujours à la main, il releva les yeux et continua.

- Toragi lève une armée sans précédent dans l'histoire de notre pays. Mes éclaireurs sont formels, il s'agit de plus de dix milles hommes. Je ne veux pas dramatiser la situation mais en cas d'attaque frontale les chances de succès de nos contrées sont quasi nulles.

L'esprit affuté de Saruha avait sûrement déjà saisi l'idée qui trottait derrière la tête de Mitsuru qui n'était pas homme à cachotterie. Il était plutôt de ceux qui allaient droit au but et il put continuer son monologue avec ces mots.

- Je ne vous cacherais pas plus longtemps que nous avons besoin de toutes les forces encore libre de l'Hinomoto pour pouvoir faire face à Toragi qui peut également compter sur le soutien de la puissante contrée d'Ondorie qui semble t'il est également en pleine croissance.

Reprenant légèrement son souffle il attendit une réaction de la part du seigneur de Saruha.

Le choix du Seigneur Suigyuuku se porta, contre toute attente, sur le thé. Ce détail ne manqua pas d’interpellé Kotaro. Ainsi, Suigyuuku Mitsuru optait pour l’approche protocolaire plutôt que privée. Ce comportement ne signifiait qu’une seule chose : Mitsuru était venu en Seigneur du Clan Suigyuuku, non en Suigyuuku Mitsuru, l’homme des neiges éternels. Le détail était sans doute très subtile, mais il faisait toute la différence aux yeux du Clan Saruha.

La question était diplomatique et comme on pouvait s’y attendre avait un rapport direct avec la levée d’une armée par le Clan Toragi. Kotaro ne marqua aucune surprise à l’évocation des chiffres relevés par les éclaireurs de Suigyuuku. Plus de dix mille hommes… La force soulevée par le Clan Toragi était sans doute l’une des plus importante jamais soulevée dans l’histoire d’Hinomoto. Pourtant, Kotaro ne pouvait que s’amuser d’une telle prise de risque. Le Clan Toragi avait-il seulement conscience que si son armée échouait dans une campagne menée à l’est, jamais il ne se relèverait ? Placer autant d’hommes sur l’échiquier représentait une menace sans précédent pour certains Clans de l’ouest, mais un danger tout aussi réel pour le Clan Toragi.

Kotaro porta la coupelle de thé à ses lèvres et conserva le silence devant les affirmations de son invité. Le problème des Clans de l’envergure des Toragi et des Suigyuuku était qu’ils avaient toujours tendance à ramener l’échec ou la victoire à l’évaluation de leur propre force. Kotaro n’avait sans doute pas l’expérience militaire de son aîné, mais il avait une arme hautement plus mortelle : la connaissance.

Il ne s’agissait pas ici de la connaissance du relief ou d’une quelconque stratégie militaire de pointe, mais de la connaissance des fragilités et des dissonances au cœur même du cercle d’influence des Toragi. Que ces derniers se présentent avec mille ou dix mille hommes ne changeait pratiquement rien en réalité. Kotaro avait bien conscience qu’il serait jugé avec froideur s’il venait à exprimer un tel point de vue. Aussi se contenta-t-il d’une intervention sobre mais appuyée.

KOTARO - Vous êtes un chef de guerre aguerrit, meilleur que je ne le serais sans doute jamais et pourtant vous parlez comme si la reddition était déjà déclarée.

Peur ? Désespoir ? Kotaro avait bien du mal à déterminer la raison pour laquelle le Clan Suigyuuku tenait un discours si alarmiste. D’autant qu’une ombre parsemait ce discours. Une ombre que certains conseillers avaient dores et déjà relevé, comme en attestait les quelques murmures en toile de fond. L’absence de motifs concrets justifiant une campagne des Toragi de ce côté du continent. Kotaro savait parfaitement qu’il fallait peu de choses en réalité pour éveiller la colère de Toragi Araki, mais pour quelles raisons se risquerait-il à soulever une si grande armée, au risque de fragiliser son pouvoir s’il venait à échouer et les rares alliances tissées de force ?

Kotaro croisa le regard de son interlocuteur et l’interrogea :

KOTARO - Vos éclaireurs vous ont-ils rapporté autre chose qui justifierait une campagne d’envergure des Toragi ? Si leur armée est aussi importante que vous le dites, le coût économique d’une levée serait très élevé. Si élevé en réalité que si une guerre s’éternisait ou que la campagne échouait, le Clan Toragi perdrait tout de sa puissance et finirait probablement en haillons.

Un autre facteur entrait en ligne de compte du point de vue de Kotaro : l’implication de son clan. Les Toragi avaient beau posséder un sang chaud, rien ne les opposaient directement au Clan Saruha. Ils n’étaient pas plus amis qu’ennemis.

Kotaro but une lampée de thé, serein.

KOTARO - Je comprends l’appel du Clan Suigyuuku, d’autant plus s’il se voit menacé par une force si importante. Vous savez certainement que je ne suis pas en mesure de vous offrir ouvertement mon aide comme de vous la refuser, ma parole ne pouvant entrer en dissonance avec celle du Seigneur Umano. Mais entendez bien ceci. Peu importe la force que déploiera concrètement le Clan Toragi, le nombre importera peu face au Clan Saruha.

Saruha Kotaro a le verbe facile, ça tout le monde le sait. Il est de ces seigneurs qui gagnent leurs batailles à la force de leur vision des choses et pourtant, il était aveugle devant l'évidence. Alors qu'il annonçait que le discours de Mitsuru était beaucoup trop alarmiste, le seigneur des glaces bouillonnait intérieurement. Comment pouvait on ne pas se rendre compte du danger qui frappait aux portes de ses propres contrées? Il sembla néanmoins sur la deuxième phrase du seigneur singe que ce dernier était curieux de savoir pourquoi Suigyuuku était si inquiété, ce qui ne manqua pas de soulever une réponse de sa part.

- Mes éclaireurs m'ont rapportés bien d'étranges choses seigneur Saruha, et certaines même que je ne peux vous dévoiler. Cependant, je peux vous assurer que des troupes du clan Toragi ont été aperçues non loin d'ici. Leur taille laisse penser à une reconnaissance typique, cependant leurs mouvements sont suspects. Mes plus grands stratèges tentent d'élucider ces bizarreries et la raison principale de ma visite se trouve là, contrairement aux apparences.

N'écoutant qu'à demi mots la dernière phrase de Saruha, il nota tout de même ses derniers mots. Son hôte dévoilait une certaine assurance qui ne manqua pas d'intriguer Mitsuru. Il était de notoriété publique que le clan Saruha disposait de forces armées relativement honorables en vue de leur situation de clan dominé. Cependant rien ne semblait les immuniser à une attaque de front, et ce même à force égale. Il était donc étonnant d'entendre tel discours, cependant le seigneur buffle tenta de mettre ça de côté pour se concentrer sur l'essentiel.

Il y avait plusieurs choses qui rendaient la situation compliquée, ce qu'il ne manqua pas d'exposer.

- Vous êtes connus dans tout l'Hinomoto pour être un homme de raison qui sait élucider le vrai dans le faux. Alors comment pouvez vous expliquer ces mouvements?

Alors qu'il terminait sa phrase, un de ses conseillers lui tendit une carte qu'il s'empressa de déplier devant son vis-à-vis. Sur celle ci se trouvait une représentation de la région. Les mouvements des troupes de Toragi étaient représentées par des épingles rouges, reliées par des pointillés. Mitsuru lui montra l'ordre des déplacements ennemis.

Les éclaireurs avaient d'abord été repérés au sud de Seian, non loin de la forteresse des montagnes. Celles ci s'étaient ensuite dirigées vers l'île puis repiquèrent immédiatement une nouvelle fois vers la forteresse. Ces allers et venues incessants se répétèrent environ pendant deux semaines jusqu'à l'évanouissement de ces troupes. Chose étrange puisque les Ninjas de Suigyuuku ne pouvaient matériellement pas se faire distancer dans leur propre région. Deux questions se soulevaient alors.

- Aucun des pouvoirs des cristaux ennemis n'aurait pu les faire disparaître. De plus, mes propres hommes m'ont affirmés que leurs camps n'avaient pas été nettoyés et que donc leurs traces n'avaient pas été effacées. Ces erreurs de débutant ne ressemblent pas aux ordres d'un tel Seigneur de guerre.

Mais la possibilité la plus inquiétante restait à venir.

- Mes stratèges ont émis une hypothèse. Il y aurait des kamis derrière tout cela.

La simple évocation d'une aide divine aura suffi à créer un incessant ballet de chuchotements entre conseillers. Cette possibilité était absurde, bien qu'elle avait le mérite d'avoir été soulevée. Tout le monde savait que les kamis n'aidaient plus les mortels depuis belle lurette et que ces derniers n'étaient présents que par les pouvoirs donnés via les cristaux. Ces balivernes de bonne femme auraient sûrement un accueil peu chaleureux aux oreilles du seigneur singe, mais Mitsuru n'avait pas l'intention de lui cacher quoi que ce soit.

Il termina ainsi.

- Kami ou pas, cela ne présage rien de bon. La furtivité extrême de ces troupes alliée à leur incapacité de masquer leurs traces n'indiquent qu'une chose... Ils nous testent et nous provoquent.

Pour la première fois dans cette entrevue, Mitsuru semblait avoir vraiment mis le doigt sur quelque chose qui attirait réellement l'attention de son hôte. Le seigneur de l'hiver éternel était quelque peu fier d'avoir réussi ce coup, rares étaient ceux qui pouvaient se vanter d'avoir piqué la curiosité de Saruha Kotaro à ce point. Alors que la salle se vidait petit à petit ne laissant qu'une poignée de stratèges de Saruha et le cortège complet de Suigyuuku, Mitsuru appela un de ses fidèles serviteurs.

Ce dernier se pencha légèrement et tendit l'oreille, le seigneur buffle susurra quelque mots à son oreille, même la plus fine des ouïe n'aurait pas pu déterminer l'objet de ces messes basses, il s'agissait simplement d'un ordre. L'ordre de se préparer à lever le camp sous les plus brefs délais. Le conseiller se leva alors et salua respectueusement ses hôtes avant de convier ses compatriotes à le suivre dehors. Mitsuru quant à lui se redressa, toujours assis, il porta ses deux paumes sur ses jambes et répondit au seigneur singe par ces quelques mots:

- J'ai bien peur de n'avoir emmené que trop peu de mes stratèges pour tenir cette réunion sur vos terres. A vrai dire je n'avais pas imaginer une seconde que ma visite puisse avoir tel résultat. Il semblerait que j'ai sous estimé le pouvoir attirant de l'occulte.

Mitsuru profita de ce léger silence pour terminer sa tasse de thé qui était maintenant plus tiède que chaud, l'entrevue s'était quelque peu éternisée et le chemin de retour de nuit n'était pas envisageable, du moins pas en ces temps troubles. Alors que le seigneur des glaces allait prendre congé il rajouta:

- Je vous invite à me rejoindre dans ma cité au plus vite afin d'établir les recherches. Quelques espions de votre cité ne seraient également pas de trop, la plupart de mes troupes ninja sont actuellement en territoire ennemi afin de surveiller tout mouvement suspect permettant d'infirmer ou d'affirmer ma théorie.

Il fit une légère pause et continua

- Maintenant si vous me le permettez, je vais prendre congé. Ce thé était absolument fantastique, j'en avais entendu parler mais rien ne vaut de le goûter.

Alors qu'il se levait, il s'inclina légèrement en signe de respect pour Kotaro. Il avait été honorablement accueilli et il espérait pouvoir faire de même lors de la visite prochaine du seigneur singe dans sa cité.

Mitsuru commença à s'éloigner mais ne put s'empêcher de ralentir ses pas. Quelque chose le dérangeait encore, mais quoi? Oui c'était cette phrase qu'avait prononcé son hôte peut de temps avant. Ces quelques mots qui étaient lourds de conséquences et qu'il ne fallait pas dire à la légère devant un guerrier aguerri comme le seigneur du froid. Cette phrase qui selon laquelle Saruha était plus ou moins invincible et que le nombre ennemi n'était en aucun cas une menace pour ses terres.

De prime abord, Mitsuru avait ignoré ces mots qui lui semblaient rien d'autre que fantaisie, pourtant il se souvenait maintenant du regard de Kotaro lorsqu'il les avaient prononcés. Ses yeux étaient purs et ne respiraient aucune intention de pavaner. Il était sûr de lui, c'est alors que Mitsuru se retourna et essaya d'en savoir plus.

- Excusez moi seigneur Saruha, avant que je vous quitte, j'aimerais vous demander quelque chose. Vous avez dit précédemment ne pas pouvoir être inquiété de quelque manière que ce soit par l'incroyable force armée de Toragi. Qu'entendiez vous par là? Le seigneur Umano ne m'a jamais fait part d'une telle invincibilité lors de nos entrevues, et pourtant nous avons tous deux joué carte sur table.

Après la réponse de Kotaro, Mitsuru s'inclina une fois de plus et se dirigea vers la sortie du palais. Le temps lui manquait et chaque heure qui passait était insupportable à vivre. Personne n'avait le droit de venir se balader impunément sur les terres de Suigyuu, personne !