Dans le château de Nezumi, le jeune Bankichi s’attelait avec le plus grand zèle à réaliser toutes les tâches que son seigneur lui demandait. Il était en effet, et depuis peu, son élève, bien que ce titre soit une façon déguisée de le désigner comme son larbin. Aujourd'hui le seigneur avait décidé, comme il le faisait parfois, de prendre son déjeuner dans ses quartiers et avait donc envoyé Bankichi aller chercher quelque chose en cuisine. Malheureusement il était un peu tôt pour le déjeuner, le seigneur s'était en effet levé de très bonne heure, et avait d'ailleurs fait réveillé son élève-serviteur attitré pour l'occasion, et avait donc faim avant que le repas ne commence à être préparé.

Arrivant dans les cuisine, le jeune garçon aux cheveux rouge déplora l'absence du moindre cuisinier à qui demander de cuisiner pour le seigneur. Un sentiment de panique parcourait le corps de l'élève, il était clair qu'il serait lourdement réprimandé si le repas tardait à venir. Après quelques secondes de réflexion, Bankichi décida que la meilleure solution serait qu'il fasse lui-même le repas du seigneur. Aoi lui avait demandé "quelque chose de simple", visiblement il avait l'air de désirer un repas sobre avant de s'attaquer à ses activités de l'après-midi. Le jeune garçon était un habitué de la cuisine, il cuisinait très souvent pour sa mère et pour leurs invités et s'était pris à adorer cela. Il était sans doute un des jeune de son âge les plus talentueux en la matière, bien qu'il n'en savait rien. Il était certes persuadé de n'être pas trop mauvais mais se pensait bien en dessous du talent d'un vrai cuisinier. Il entreprit donc, non sans une certaine crainte, de préparer un bentô, ou boîte-repas, pur son seigneur.

Une dizaine de minutes plus tard il remontait des cuisines, son bentô à la main et la peur au ventre. Arrivant dans les quartiers du daimyo Nezumide il se présenta devant lui et alla s'incliner, posant devant lui le bentô qui lui était destiné.

"Voici votre repas Nezumide-sama, j'espère qu'il vous conviendra."

Il se garda bien de le dire qu'il l'avait fait lui-même, ne voulant pas s'attirer la colère de son seigneur. Suant à grosses gouttes à cause de l'anxiété qui le rongeait, il n'osait pas relever la tête et espérait sincèrement que ses efforts et le soin apporté à la préparation de ce repas suffirait au seigneur.

S'il l'avait regardé, le jeune Bankichi aurait vu le regard dubitatif que son seigneur posa sur le bentô qu'il venait de lui apporter. Mais il était agenouillé devant lui et n'osait pas relever la tête. Finalement le seigneur, sentant qu'il y avait quelque chose d'anormal dans la présentation de son repas, demanda à l'enfant des détails sur l'origine du met.

"Ce n'est pas mon bentô habituel ça ! As tu une explication ?"

En entendant cette question qu'il redoutait au plus haut point, le jeune garçon blêmit et se mit à trembler comme une feuille. Il avait bien de la peine à dissimuler son malaise devant son maître et tentait péniblement d'articuler quelques mots. Il espérait sincèrement ne pas avoir mal fait et ne pas avoir offensé son seigneur, lui qui voulait juste que son daimyo puisse satisfaire sa faim rapidement était à mille lieues de vouloir l’incommoder.

"J... je... je... c'est moi qui l'ai fait, Nezumide-sama. Il n'y avait personne en cuisine et je ne voulais pas vous faire attendre alors... J'espère que vous ne m'en voulez pas... je... je peux aller en chercher un autre si vous le désirez... je... je suis désolé."

Il était au bord des larmes à cause de l'angoisse qui le rongeait. Lui qui n'aspirait qu'à bien faire se retrouvait une nouvelle fois dans une situation délicate. Il allait décevoir son seigneur et sa mère, malgré tout ses efforts... Cette pensée l'obsédait et le désolait, il commençait à croire qu'il n'était qu'un incapable. Pourtant il était le fils d'un héros, il ne pouvait pas être un incapable, ce n'était tout simplement pas concevable. Agenouillé et tremblant, il attendait la sentence de son maître comme un condamné à mort attend de consommer sa peine.

Ce gamin avait du cran, il n'était pas le fils de sa capitaine pour rien après tout. Alors qu'Aoi regardait à tour de rôle le bento puis son kohai, il l'écouta s'expliquer. Il avait donc trouvé cette solution toute bête et toute simple de préparer son plateau repas lui même en l'absence de ses cuisiniers ce matin... Le Seigneur réfléchissait un peu, où étaient donc passés ces cuisiniers ?? S'ils ne pouvaient pas compter sur eux, qui veillerait sur sa faim ? Il ferma un bref instant les yeux, puis les rouvrit pour fixer le jeune homme.

Assied toi.

Il ne dit rien de plus, rien de moins, jouissant de cette maigre torture psychique, ne le punissant pas, ne réagissant pas à ce qu'il venait de dire. Il attrapa les deux baguettes qu'il avait à disposition, puis dégusta son bento tranquillement, silencieusement, sans qu'aucun son ne vienne perturber son repas. Appréciait il ? Trouvait il cela bon ou fade ? Nul ne pouvait le savoir, il restait tout simplement impassible aux moindres réactions face à ce repas. Il prit toutefois la peine de terminer son bento entièrement pour ne rien en laisser, puis repoussa le plateau vide vers le centre de la petite table.

Bankichi kun, va faire passer un message pour moi veux tu ! Dis aux gardes qui se trouvent près de la porte de mettre aux arrêts mes cuisiniers et de les conduire dans nos geôles jusqu'au coucher du soleil, sans leur apporter un seul repas de la journée.

Il replaçait son kimono convenablement alors qu'il ne daigna pas lever son regard sur lui, il attendait simplement qu'il se lève et s'exécute. L'absence des cuisiniers ne lui avait pas plu et toute faute méritait d'être punie en ces lieux. Il se leva quand le jeune garçon s'exécuta, puis s'avança vers la porte de la salle où ils se trouvaient, attendant le garçon qui ne tarda pas à arriver. Il aperçut d'ailleurs les gardes qui cherchaient des yeux le Seigneur pour confirmer les dires du petit, confirmation qu'ils eurent dans le regard d'Aoi.

Quand ils partirent à la recherche de ces cuisiniers, le Seigneur se tourna vers Banchiki qui revenait tout juste, puis il s'adressa à lui.

Sais tu te battre ? J'ai un peu de temps devant moi.

En plus clair, cela voulait dire, suis moi, et ne pleure pas si tu choppes quelques bleus lors de ton entrainement. Il passa devant le jeune homme et entama une marche sans y prêter attention, sans faire attention s'il le suivait ou non, mais il n'en doutait pas, après tout entre s'entrainer et servir, le choix devait être tout fait normalement dans la tête du jeune kohai. Il marcha jusqu'à une petite cour encore déserte, la plupart des personnes étaient encore plongées dans leur sommeil. Il attrapa, rangés dans un coin de la cour, un bâton léger et souple qu'il lança à Banchiki.

A quoi me servirais tu si tu ne sais même pas te défendre !

La tension de Bankichi ne fit que croître tandis que le seigneur restait silencieux après ses explications. Il essayait en vain de se calmer en respirant profondément mais rien ne semblait pouvoir mettre fin à ses tremblements.

"Assied toi."

La voix grave, calme et sans émotion de son seigneur le ramena à lui. Il s'exécuta, se redressant pour s'assoir face à son seigneur, la tête toujours baissée, préférant fixer le bentô plutôt que son maître. Le daimyo mange silencieusement, sans émettre le moindre commentaire. Cependant il avait terminé entièrement son repas, le jeune garçon en déduisit donc qu'il n'avait probablement pas détesté le repas. Il était même persuadé que si son bentô avait été mauvais il ne se serait pas gêné pour le signaler à son élève. Il avait du juger que le repas satisfaisait à ses attentes et donc que ses ordres avait été respectés, il n'y avait en effet aucune raison d'en dire plus car il était le seigneur, de ce fait il était normal que ses ordres soient exécutés sans qu'il soit besoin de féliciter tout ceux qui s’acquittaient de leur devoir. Cependant cette certitude ne suffit pas à dissiper entièrement le malaise qui habitait le jeune garçon aux cheveux rouges mais, au moins, il était suffisamment calmé pour ne pas que son trouble ne se lise de façon trop évidente sur son visage.

"Bankichi kun, va faire passer un message pour moi veux tu ! Dis aux gardes qui se trouvent près de la porte de mettre aux arrêts mes cuisiniers et de les conduire dans nos geôles jusqu'au coucher du soleil, sans leur apporter un seul repas de la journée."

Légèrement surpris, le jeune garçon s'empressa d’acquiescer et se leva pour aller transmettre les ordres du seigneur à ses gardes. Il avait un pincement au cœur pour les cuisiniers mais tels étaient les ordres et ils étaient indiscutables. Bankichi transmit donc aux gardes exactement ce que le seigneur lui avait demandé de porter comme message aux gardes et ceux-ci, après un bref regard à leur maître pour confirmer ce qu'ils venaient d'entendre, s'en allèrent en quête des cuisiniers. Le jeune kohai revint alors à l'intérieur de la salle. À peine fut-il entré que le seigneur lui posa une question.

"Sais tu te battre ? J'ai un peu de temps devant moi."

Bankichi allait de surprise en surprise. Il acquiesça timidement d'un signe de tête et suivit son daimyo. Il n'y avait nul besoin de lui répondre, car Bankichi n'avait nul choix de refuser cet honneur que lui faisait son seigneur et il n'en avait d'ailleurs nulle envie.

Au bout d'une courte marche dans les couloirs du château ils arrivèrent à une petite cour intérieure servant, au vu de sa disposition et des armes en bois qui y étaient installées, de zone d'entraînement. Le seigneur lança à Bankichi un hanbô, un bâton court. Le jeune garçon aurait de loin préféré se servir du bokken qu'il avait toujours accroché dans le dos, mais son seigneur avait décidé que cet entraînement se ferait avec un hanbô, alors il en serait ainsi. Il voulait sans doute le tester avec une arme dont il n'avait pas l'habitude.

"À quoi me servirais tu si tu ne sais même pas te défendre ?"

Cette question rhétorique ne trouva aucune réponse de la part de Bankichi, car elle n'en nécessitait aucune. Elle ne faisait que confirmer ce qu'il pensait : cet entraînement était un test et il se devait de ne pas décevoir son seigneur et de faire honneur à sa mère qui l'avait entraîné depuis plusieurs années maintenant. Tenant son bâton comme un sabre il se concentra et détailla son seigneur. Contrairement à sa mère, il n'allait sûrement pas le ménager et voulait visiblement savoir si le jeune garçon pourrait survivre face à un adversaire réel, au moins quelques secondes. Prenant des inspirations profondes et régulières, Bankichi fit le vide dans son esprit. Bien que sa technique soit largement imparfaite, ce qui était normal au vu de son jeune âge, il avait des atouts qui pourraient l'aider au court de cet entraînement. Sa petite taille et son agilité le rendrait probablement assez difficile à toucher et il fallait qu'il essaie d'en tirer profit pour passer sur les côtés de son seigneur. Il savait qu'il n'était pas assez endurant pour tenir bien longtemps comme cela, mais le test consistait à tenir le plus longtemps possible et il n'avait guère le choix. Il aurait été stupide de penser que lui, une jeune garçon de douze ans, pourrait parer les attaques du plus grand des Nezumide en restant face à lui. Serrant fermement son arme il attendait que le daimyo lance les hostilités, espérant ne pas déshonorer sa famille et parvenir à satisfaire aux attentes de son maître le concernant.

Aurais tu perdu ta langue ?

A force de ne pas répondre à ses questions, Bankichi allait s'attendre à recevoir les foudres du Seigneur... Il montrait preuve de patience avec ce jeune garçon mais il ne fallait tout de même pas pousser non plus trop loin... Ils s'étaient engagés tous les deux dans une marche à travers le palais, jusqu'à une petite arrière cour encore désertée, cour où de nombreux samouraïs venaient s'entrainer... Endroit tranquille, pour des entrainements sans chef, personnels, afin de fortifier son corps ou ses techniques de combat.

Aoi avait décidé de passer un peu de son temps avec ce jeune homme, il lui fallait le faire grandir, le faire devenir Homme, un vrai samouraï au coeur bien accroché, et non plus ce jeune être encore accroché aux jupons de sa mère... Il était à un âge où les changements se faisaient souvent tout seul, où les modèles masculins se bousculaient pour prendre la place de cet enfant chéri qu'il était. Mais sans père, comment allait il pouvoir obtenir ces images d'homme fier et droit prêt à mourir pour une juste cause ?

Il lui avait lancé un hanbô, bâton assez court mais souple et léger. Le plus important n'était pas l'arme, mais la manière de l'utiliser.. après tout, l'on pouvait tuer avec un simple kunaï, point besoin de katana pour cela ! Il fallait connaitre les bases, savoir jauger son adversaire, et surtout connaitre ses limites. La fuite n'était pas une option non, combattre jusqu'au bout, toujours avoir un plan de secours c'était quasi obligatoire si l'on voulait survivre en tant qu'homme d'armée...

Prépare toi !

Aoi, un même hanbô en main, se mit en position, la garde à l'italienne, ou garde du faucon comme on l'appelait, la pointe du bâton levée vers le ciel au dessus de sa tête, prêt à descendre en flèche vers le crâne du jeune garçon. Ses deux jambes étaient légèrement pliées, pour avoir des appuis puissants, jambe droite en arrière par rapport à la gauche, son corps faisant face à celui du jeunot. C'était une position particulière, qui permettait des coups puissants ainsi que de parer la plupart des attaques en cognant son arme avec la sienne.

Il finit par se lancer, avançant d'un pas rapide, appuyant fortement sur sa jambe droite en arrière pour se propulser en avant à une vitesse qui aurait pu surprendre quelqu'un ne s'y attendant pas. Le coup fut simple, assez rapide, son hanbô tomba lourdement sur celui de Bankichi qui avait eu ce réflexe de placer son arme entre lui et le Seigneur... Un grand claquement de bois se fit entendre sous le coup, alors qu'Aoi s'était déjà reculé d'un pas. Il observait son kohai, il n'attendait pas de miracle non plus, mais il voulait lui offrir une des plus grandes leçons lors des combats en duels... Il évaluait la distance entre eux, afin de la garder suffisamment grande, se demandant s'il allait tenter de s'approcher, ou de s'éloigner de lui.