Une nouvelle nuit s'annonçait et les derniers rayons du soleil venaient mourir à travers la fine feuille de riz qui ornait la fenêtre. De magnifiques tons grenats et fauves peignaient le tableau de la déclinaison d'un jour sur les tatamis beiges.
]Les iris sombres de la jeune femme parcouraient rapidement la pièce qui lui servait de chambre, depuis un moment déjà, pour se poser sur le miroir. Une beauté froide inexpressive, dont les lèvres purpurines rehaussaient le teint ivoire. Ses doigts jouaient dans sa longue chevelure noire de jais une partition tressée dont l'extrémité venait battre la cambrure de ses reins. Des gestes gracieux et sûrs étaient devenus le rituel d'une préparation à la prise d'une garde nocturne. Un kimono aussi sombre que sa chevelure venait couvrir son corps mince, noué à la taille par un obi dont le liserai pourpre s'était aventuré à quelques fantaisies de la part de sa propriétaire.Elle ferma les yeux quelques instants inspirant profondément alors que ses mains terminaient d'ajuster le Nodachi qu'elle portait en bandoulière dans son dos. Kuroni ramena sa longue natte sur le devant de son épaule la faisant glisser d'un franc revers de main. Ses yeux s'ouvrirent lorsque le gong commença à résonner dans la petite courette appelant à la relève de la garde. Comme chaque soir elle était en retard…
La jeune femme se leva à la hâte, sortit de la pièce, enfila ses zoris, posa gracieusement un genou à terre devant les portes en feuille de riz qu'elle referma avec soin avant de se relever. Petite inspiration avant de reprendre sa marche. Les battements de son cœur se précipitaient un peu plus à chaque pas venants cogner d'un bruit sourd contre sa poitrine. Elle zigzaguait entre les autres gardes d'un pas sûr, ça n'était pas la première fois qu'elle s'adonnait à cet exercice. Depuis son arrivée ici elle avait cette étrange sensation de toujours courir… courir après quelque chose, ne plus maîtriser le temps mais d'en être devenue son esclave.
Les visages s'enchainaient à mesure que sa course progressait, doucement sa mémoire se réveillait… un petit rictus sadique était cousu sur le visage d'un des hommes qui lui faisait face la ramenant à son passé et cette fameuse nuit.
Tout sembla s'écrouler autour d'elle, tournant rapidement sur elle-même les visages s'effaçaient, les corps partaient en fumée alors que ses doigts tentaient de les retenir. Le voile sombre de la nuit avait enveloppé la ville. C'était une nuit sans lune, où le brouillard épais rendait la vision difficile. La neige tombait depuis deux jours déjà couvrant la bâtisse d'un épais manteau blanc.
Soudain elle entendit des pas, des hommes qui riaient… une dizaine d'hommes à en juger le bruit, elle fit volte face se tournant vers la grande porte qui commençait à s'ouvrir. Comme une impression de déjà vu… ses yeux se plissaient à mesure que sa bouche s'ouvrait peu à peu. Ses membres lourds semblaient ne plus vouloir obéir. Des hommes entraient traînant derrière eux… ses yeux s'ouvrirent grands et la mydriase pupillaire qui s'était développée trahissait sa surprise. Son cœur se fit plus rapide et manqua quelques mesures…. ses yeux finirent par se fermer.
D'amples inspiration et grimace de crispation à la douleur… quelques côtes endommagées surement, ses doigts glissaient sur son flanc l'effleurant, d'un revers de main elle essuyait le sang qui coulait de sa lèvre écorchée… elle n'avait rien oublié non, ni le goût du fer qui resta en son palais des jours, ni la fraîcheur des flocons qui venaient mourir sur sa joue.
Elle rouvrit les yeux, et là stupeur sur son visage ivoire figé… tout était revenu à la normale, les binômes formés sur la place attendaient leurs affectations, le jour baissait mais résistait encore un peu tirant sur un rouge très foncé.
Sa marche reprit, elle déglutit passant sa main encore une fois sur ses côtes… quel était donc ce nouveau sortilège… un rêve ? L'exacerbation d'une fatigue accumulée depuis des jours ? Des questions se bousculaient en son sein. Son visage n'aurait su transparaître l'état dans lequel elle se trouvait, luttant contre ses propres maux, ses propres peurs, les lèvres légèrement pincées et les poings serrés.
Suigyuuku Tomoe, Isami Kuroni... Porte nord !
Et l'index pointé de l'instructeur, une légère impulsion des orteils et sa marche reprit. La tête un peu plus baissée qu'à l'accoutumée laissant quelques courtes mèches de sa frange se placer autour de ses joues. Combien de temps s'était écoulé depuis qu'elle avait effectué sa première garde ici ?
De longues minutes à marcher en silence pour rejoindre la porte, ses yeux balayèrent le lieu se posant sur Tomoe. Elle s'installa en silence offrant un petit sourire à son amie. Assise à ses côtés elle se préparait à une longue nuit de veille…
C'était ici notre première garde… tu t'en souviens ?
Son regard se perd dans le fond ténébreux de l’horizon, comme percevant quelques ombres mouvantes au tréfonds du paysage. Seule capable de suivre le manège irréel imaginé par son propre esprit, Tomoe demeure inflexiblement droite, sa main tenant adroitement une lance point vers le haut, manche reposant contre pierre. Sur les flambeaux accrochés tout le long des remparts, les langues de feu dansent et gémissent au même rythme que l’hymne intérieure qu’elle se chante lèvres closes. La jeune fille serait-elle poète ? N’est-il pas que tout samurai cache un cœur mélancolique… L’âme de Tomoe ne cesse de se pavaner quand bien même le corps reste immobile, n’est-elle pas fille de la Lune ? Son visage se lève quelque peu vers le ciel fort peu étoilé ce soir-là. La lune est presque rougeoyante annonçant le vent du lendemain. Le regard de la fille n’est pas doux. Il n’est pas innocent ni féminin. Il est sévère, presque glaçant. Il est d’acier. Observateur, fouillant pour acquérir ce qu’il désir. Soif de savoir, soif de découverte, une envie d’aller jusqu’aux extrémités de la terre.
« C'était ici notre première garde… tu t'en souviens ? »
Si elle se souvenait ? C’était comme si c’était hier. Tomoe fixa le ciel qui changea sous son regard. Oui… C’était une nuit différente de celle-ci. Des étoiles inondèrent la sphère marine pour ne laisser presque plus aucune place à la couverture, il n’y avait que l’espace et tous ses mondes proches comme lointains. De même le luminaire de la nuit changea de teinte pour se vêtir toute de blanc. Calme et paisible, la lune offrait le sentiment serein que tout allait pour le mieux, qu’aucun danger ne les guettait. Et puis elle était là, ses mains toutes autant agressées par l’exercice mais son vêtement était différent, de la même couleur et du même motif dédié au clan Suigyuuku mais plus vif, il avait l’odeur du neuf tandis que celui qu’elle portait précédemment montrait des signes de fatigue. Tomoe fut alors interpelée par une voix féminine….
« Dégage, t’es sur MON territoire ! »
Une femme se dressait devant elle, la flinguant de son regard révolver. Leurs regards se croisèrent, se déchirèrent, se divisèrent… Tomoe n’était plus elle, se voyant elle-même répondant à l’assassin.
« Suigyuuku Tomoe, Samuraï. Je suis assignée à la garde du soir jusqu’à nouvel ordre.
- Suigyuuku ? »
Le silence se fit, sachant toutes les deux ce que cela signifiait mais le ton, de par ce simple mot prononcé, accompagné du regard félin de la jeune femme révélait que le nom n’entrerait pas en jeu dans leur relation ni dans son perfectionnement. Tomoe était un bleu, Isami le lui faisait comprendre par un silence lourd de sous-entendu. La jeune fille abaissa alors profondément le buste devant son ainée, au-delà que ce que les traditions le mandaient, se soumettant, acceptant, la respectant profondément. Et quand elle se redressa tout se brouilla, c’est alors que le visage d’Isami Kuroni du passé laissa apparaitre celui du présent, de profil et lui aussi fixé sur l’horizon comme elle plus tôt. Tomoe resta à le regarder, le détailler dans ses moindres traits, la ligne de sa mâchoire, franche et spontanée, tout comme son menton et son nez adroit. Elle ne souriait guère mais Tomoe se rappelait de son sourire un an plus tôt. Satisfait et amical. Elle avait appris à la connaître et savait que la Kuroni ne souriait pas souvent, elle-même non plus d’ailleurs, mais c’était très certainement depuis ce soir là qu’elles étaient devenues amies.
Elles se ressemblaient toutes les deux se dit-elle avant de reprendre son observation des alentours. Ne parlant peu mais sachant se faire comprendre d’un regard habile. Elles étaient toutes deux jeunes mais Isami avait bien plus d’expérience qu’elle. Elle l’avait enseigné à sa façon, avec son intelligence affinée et Tomoe lui avait offert son amitié exclusive. Isami Kuroni était devenue celle qu’elle protégeait au même titre qu’elle l’aurait fait pour son père ou son frère et toutes les deux devenaient les mêmes furies dévastatrices sur le champ de bataille. Tomoe n’avait pas encore connu réellement la guerre, mais depuis qu’on l’avait chargé régulièrement de la sécurité des routes, des combats elles avaient dû en livrer et elles étaient si bien puissantes ensemble, performantes et complémentaire, qu’on ne les dissociait plus pour les missions importantes. Mais il y avait bien certaines différences entres elles ; Tomoe ne se permettait aucune liberté, exigence et conservatrice envers la moindre des traditions. Isami était plus ouverte, comme un oiseau elle s’avait se fondre dans son environnement. Tomoe fonçait, tel un taureau toutes cornes dehors. Elles avaient un art raffiné chacune mais tandis qu’Isami aimait la discrétion, Tomoe cumulait une rage qu’elle faisait exploser en des gestes direct mais précis.
« Hai… Je me souviens. »
Sa voix était basse et s’accouplait parfaitement au mystère nocturne qui les entourait. Son regard ne se détachait de son amie, son cette étrange et habituel fixation qui dérangeait beaucoup de monde et dont Takeshi, son frère adoptif, s’amusait.
Isami Kuroni*
■ Clan Suigyuuku ■ |Assassin|
Sexe : ; Age : 37 Messages : 65
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Sujet: Re: L'amitié est la similitude des âmes* Dim 1 Juil - 9:16
Les mains liées dans le dos et les coups qui lui étaient assénés pour la faire avancer… ne valait-elle rien de plus qu'un vulgaire animal ? Ainsi donc était le prix à payer pour avoir voulu fuir ? Elle ressentait la corde doucement brûler ses poignets , ils garderaient une marque pendant des jours. Même s'ils avaient réussi à la capturer elle ne s'avouerait jamais vaincu… pas après tant d'efforts et de sacrifices.
A genoux !
S'écria son geôlier celui là même dont le lire faisait naitre en elle quelques sentiments amères et poils dressés sur les avants bras. Alors que droite comme un I elle fixait Tomoe, un regard froid, provocateur, un mauvais coup au niveau du genou la fit fléchir et son corps s'embla s'effondrer. Les mains également à terre son regard n'avait pas baissé, mais les imposantes mains du guerrier délicatement insérées dans l'épaisse chevelure brune firent basculer sa tête en avant. La corde tirée sèchement la fit tomber lourdement sur une épaule. Elle ne cria pas non retenant sa douleur au plus profond d'elle-même, l'humiliation était grande mais trop fière elle ne le montrerait pas.
La joue collée à la terre aussi humide que froide, l'iris noir dégagé de quelques mèches lui laissait toujours la vision de la Suigyuuku. A la minute où leurs regards se croisèrent elle eut cette impression bizarre que leurs destins seraient liés d'une façon ou d'une autre.
Les souvenirs se brouillaient peu à peu laissant un grand vide dans la mémoire de Kuroni et un retour à la réalité. Tomoe assise juste à côté d'elle, les traits figés comme à son habitude. Et de la nuit de mon arrivée ?
Les questions se bousculaient dans sa tête et elle aurait pu assaillir son amie de questions plus ou moins farfelues les unes que les autres, mais son tempérament posé l'en empêchait. Elle sentit le regard insistant de Tomoe et se tourna vers elle, mêlant le sien et la soutenant. L'envie de l'interroger se faisait plus grande et son cœur se mit à cogner un peu plus contre sa poitrine. Quelque chose ne tournait pas rond, faisait-elle encore un rêve éveillée ?
Mes souvenirs me mènent à notre première rencontre… et puis plus rien, comme si ma mémoire bloquait cet instant.
Les yeux ouverts un peu plus grands qu'à l'accoutumé, les longs cils noirs figés, l'air grave et l'abstraction de tout ce qui l'entourait jusqu'à ne plus entendre que les battements irréguliers de son cœur, cognements sourds contre ses tempes.
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Sujet: Re: L'amitié est la similitude des âmes*
L'amitié est la similitude des âmes*
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Mer 6 Juin - 19:42
