Après l'effort...

La pluie, toujours la pluie… Seul dans l’immensité de la forêt, Jin observait le ciel gris, infini et maussade qui semblait scellé à cette région depuis des temps immémoriaux. Il était à bout de souffle et ses jambes le faisaient terriblement souffrir. Epuisé, il s’assit contre un grand arbre et tentant de retrouver sa respiration, il se perdit dans ses pensées.

D’un coup, une douleur dans le bras le ramena sur terre. L’assassin hitsujide avait été blessé lors de la tentative d’assassinat d’un riche propriétaire agricole qui sous l’emprise de la démesure avait voulu étendre son pouvoir sur les terres du clan. Ce contrat qui semblait pourtant ne pas être une mission des plus difficiles s’était avéré être une succession d’embuches dues à la prudence de la cible et à l’ingéniosité des mercenaires engagés. En effet, Jin accompagné de deux autres shinobis du clan avaient dû multiplier les séances d’observations et d’interrogatoires afin de comprendre la routine des gardes et de la cible. Ils passèrent des journées entières sous la pluie de la région de Noguchi à guetter la moindre faille, la moindre faiblesse dans l’emploi du temps de leur cible. Il avait fallu plus d’un mois aux assassins pour convenir d’une stratégie d’attaque et passer à l’action. Au final le contrat fut réalisé mais Jin fut blessé au bras en tentant d’éviter l’attaque d’un mercenaire mais la lame de son katana avait finalement effleurée le biceps de l’assassin laissant une entaille peu profonde dans la chair. Après la réussite de leur contrat, les trois assassins Histujide s’étaient séparés afin qu’aucun des mercenaires restants ne puissent leur tomber dessus. Ils connaissaient la région comme s’il s’agissait de leurs propres maisons et ils purent ainsi semer facilement leurs poursuivants.

C’est ainsi que Jin s’était retrouvé seul dans la forêt, exténué par tous ces jours de travail dans des conditions épuisantes. Il n’était maintenant plus très loin du village de Noguchi. Le point de ralliement se trouvait être un puit écarté du village et sans trop de passage. Lorsqu’il arriva sur les lieux, ses deux autres compagnons étaient déjà là. Les visages étaient marqués et les organismes fatigués. Il était maintenant temps pour eux d’aller enfin se reposer, car cette histoire n’était toujours pas terminée, il leur restait encore à se rendre à la soirée organisée par leur chef afin d’y récupérer leur paye. Jin normalement si enclin à célébrer toutes ses victoires et à dilapider tout son argent si durement gagné était submergé par l’épuisement et tout ce qu’il souhaitait était de pouvoir enfin se reposer et récupérer.

Après un après-midi de repos, le moral de Jin était ragaillardi et finalement une soirée aux frais de l’employeur ne pouvait être qu’une réjouissance. Il s’était vêtu d’un simple kimono de cérémonie bleu foncé et s’était coiffé les cheveux en une longue queue de cheval descendant jusqu’au bas de son dos. C’est donc le cœur léger et bien décidé à en profiter que Jin se rendit dans la bâtisse louée pour l’occasion. De l’extérieur la construction de bois n’attirait pas l’œil et passait inaperçue au milieu des maisons alentours. Un homme le fit entrer et rapidement Jin comprit que son employeur avait à disposition beaucoup d’argent. En effet, au milieu de la pièce principale avait été dressée une grande table basse afin que tous les convives puissent manger ensemble. En parlant de nourriture, de nombreux plats, tous plus alléchants les uns que les autres étaient disposés sur la table. De nombreux tissus et autres étoffes venaient aiguayer la pièce et lui donner un ton plus chaleureux.

L’employeur de Jin et aussi organisateur de la soirée était un petit homme d’une cinquantaine d’année, toujours souriant. Il vint saluer le jeune homme et s’empressa de le présenter aux restes des invités. Evidement la véritable identité des assassins étaient gardée secrète et pour ce soir, les trois assassins qui avaient accompli la mission étaient des associés commerciaux de leur hôte. En voyant les autres invités, il était évident pour Jin qu’il n’était pas habillé de la meilleure des manières pour ce genre de soirée. Effectivement, tous les autres invités portés des kimonos riches en parures et en accessoires alors que lui était vêtu d’un simple kimono, le classant immédiatement dans une catégorie sociale inférieure aux autres invités. Mais peu importait, après tout Jin était ici pour recevoir sa paye et profiter au maximum de l’argent de son hôte. En regardant autour de lui, Jin aperçut l’okasan d’une maison de geisha qui visiblement semblait scruter l’assemblée de convives par l’entrebâillement d'une porte . Un sourire illumina la face de Jin qui comprit que des geishas devaient se préparer dans une autre pièce pour ce soir. Jouir de la présence de geishas était rare pour le jeune assassin qu’était Jin, les primes d’assassinat n’étant pas encore assez élevées pour permettre au jeune hitsujide de côtoyer ces femmes.

C’est donc comblé que Jin se prépara à passer ce qui s’annonçait être une grande soirée…

L’ambiance dans la petite salle aurait pu surprendre. L’excitation était palpable et pourtant un silence épais s’était abattu dans la pièce. Toutes les filles sans exceptions attendaient avec impatience qu’on leur demande de rejoindre la soirée, chacune à leur façon. Certaines fignolaient leur habillement, les musiciennes luttaient pour ne pas vérifier leurs accords encore une fois, les chanteuses marmonnaient en silence et d’autres se trituraient les mains en sans retenues. Sumire appartenait bien entendu à la première catégorie citée, loin du stress de certaines, elle s’assurait que son chignon de tresses était parfait, le sourire aux lèvres. C’était une soirée importante qui allait avoir lieu.

Elle se souvenait encore du moment où l’Oka-San avait reçu la visite de l’organisateur de la soirée. C’était un début d’après midi très tranquille et Sumire dans sa chambre s’affairaient à ses occupations habituelles, quand des bruits de pas et murmures répétés l’avaient attirée dans le couloir. Toutes les geishas de la maison présente à ce moment, ainsi que leurs petites sœurs, s’agglutinaient autour d’une servante. Curieuse de savoir ce qui provoquait autant d’intérêts, elle rejoignit le petit groupe. Et bon sang que l’histoire était intéressante ! Un riche commerçant désirait employer plusieurs des filles (beaucoup même) de l’Okiya pour une soirée qu’il organisait. Ce fait en lui-même aurait pu être banal, si le client potentiel en question n’avait pas appartenu au clan Hitsujide et s’il n’avait pas voulu faire sa soirée à Noguchi. Les Hitsujide était un clan allié des Umano, mais ce qui surtout mettait tout le monde dans cet état de joie incontrôlée, c’est que les filles qui feraient partie de cette soirée travailleraient hors d’Uma et même hors du territoire Umano. C’était l’occasion rêvée pour celles qui avaient de l’ambition de se faire connaître plus loin et de beaucoup plus de monde. Et en général pour l’Okiya c’était une opportunité en or. Qu’on vienne requérir ses services d’aussi loin attestait de la bonne réputation et lui offrait la possibilité de se montrer à la hauteur et au-delà même des autres établissements. Nuls doutes qu’Oka-San elle-même devait lutter pour cacher sa joie. Lorsque la source d’information qu’était la servante se fût tarie, on la renvoya en mission d’espionnage et chacune des filles regagnèrent leur chambre, la plupart dont Sumire s’imaginant déjà à cette soirée. L’imagination n’est pas toujours trop loin de la réalité, puisqu’en effet Sumire faisait partie de celle qui avait été choisie pour la soirée. En toute franchise elle aurait très mal vécu de ne pas être de cette « délégation ». N’oublions pas que la règle d’or chez les geishas est celle de la concurrence.

Et voilà la soirée allait bientôt commencer. L’Oka-San épiait de façon plus ou moins discrète les invités qui arrivaient au compte goutte. Il avait été convenu que les geishas n’entreraient que lorsque tout le monde serait arrivé. Aussi l’Oka-San attendait que l’organisateur ne lui fasse signe. Entre deux moments d’observation, elle venait donner à ses filles les quelques renseignements, que seul l’œil avisé d’une Oka-San peut glaner, ainsi que multitudes de recommandation et de consignes. Ce soir la réputation de l’Okiya était en jeu, il ne fallait pas lui nuire ! Alors que l’Oka-San retournait à son poste d’observation, Sumire observa ses sœurs. Toutes étaient jolies, et avait fait un effort remarquable sur leurs affaires. Oka-San avait elle-même tout contrôlé et vérifier. La maîtresse de l’Okiya était stressée, elle attendait beaucoup de cette soirée, gare à celle qui ferait de mauvaises vagues.

Sumire dans l’ensemble était contente d’elle et de son apparence générale. Son kimono bleu nuit avait pour motif les lueurs d’un feu d’artifice. Du vert, du rouge et du jaune étaient les couleurs de ces lueurs. Un obi rose aux mêmes motifs enserrait un morceau de dentelles blanches sur sa taille. Même dentelles que l’on retrouvait au bout de ses manches, liée par des nœuds fins de la même couleur que sa ceinture. Elle avait choisit un ruban pour attacher son chignon plutôt que les épingles habituelles et une fleur de lotus y avait été accroché.

L’Oka-San finit par leur dire qu’il était l’heure. Toutes souriantes les jeunes filles se placèrent comme cela avait été décidé auparavant afin de pouvoir faire leur entrée. Les invités étaient assis autour de la table qui était au centre de la pièce richement décorée. Les filles étaient arrivées avant les invités, la durée du trajet et le temps qu’il leur fallait pour se préparer, faisaient qu’elles étaient là depuis un moment déjà.

Quand les portes s’ouvrirent, L’Oka-San entra en premier évidement et fit un petit discours, banal et de rigueur dans ces soirées. Dès qu’elle eut terminée, deux des filles allèrent s’asseoir vers le fond de la pièce tout en jouant de la musique. L’entrée avait été préparée, soignée et répétée. Les autres Geisha dont Sumire suivirent en esquissant quelques pas de danses. Elles étaient évidement moins nombreuses que les invités mais suffisamment cependant. Chacune se plaça à égale distance les unes des autres. Elles s’assirent aussi et l’organisateur déclara la soirée ouverte. Les conversations débutèrent donc.

Sumire se tourna donc vers l’homme le plus proche d’elle toute souriante. Il ne semblait pas être un des plus riches, mais Sumire savait que les apparences pouvaient être trompeuses.

« Accepterez-vous Monseigneur, que je vous tienne compagnie ce soir ? Je suis Sumire, de l’Okiya d’Uma. »

Alors qu’il allait maintenant entrer dans sa trentième année, Jin n’avait jamais connu l’amour comme il en avait rêvé plus jeune. Prisonnier dès son enfance des volontés de son père, sa vie sentimentale avait été un néant absolu jusqu’à ce qu’il se décide à se libérer de l’autorité martial qui pesait sur ses épaules. Il n’avait connu que tard le plaisir de l’étreinte d’une femme mais comme la vie d’assassin n’est pas compatible avec celle d’un couple, Jin s’est rapidement résolu au fait qu’il ne connaitrait surement pas tout de suite le bonheur instantané de savoir qu’il y a quelqu’un chez soi qui vous attend.

Depuis ce jour, Jin a décidé de profiter au maximum des plaisirs que cette vie pouvait lui offrir. La compagnie et la grâce d’une geisha était pour lui un summum, un bonheur normalement inaccessible pour une personne de son rang. C’est pourquoi lorsque l’Oka-san fit finalement son entrée accompagnée de ses sœurs, Jin ne put empêcher un large sourire d’illuminer son visage. Durant le petit discours d’introduction, les yeux de l’assassin ne purent s’arrêter de dévisager chaque geisha présente pour la soirée. Il était comme un enfant devant un stand de friandise.

Puis les geishas vinrent s’installer à leurs places et la soirée put commencer. Les discussions et les rires commencèrent à fuser à chaque coin de la table et la geisha qui se trouvait proche de Jin entama la discussion. Elle était ravissante, sa robe colorée, son ruban et la fleur dans ses cheveux lui donnait un coté exotique. Elle l’avait appelé Monseigneur et en entendant ce mot le teint d’habitude si pâle de l’assassin s’était empourpré. Il n’était pas habitué à tant d’égard et cette flatterie eu le don de le mettre en confiance. On le prenait pour quelqu’un d’important, lui le simple assassin qui passait d’habitude inaperçu au milieu des simples gens des villages.

« Sumire… Quel joli prénom pour une si jolie femme. Je m’appelle Jin. »

Depuis sa découverte tardive des femmes, Jin s'était avéré être un séducteur invétéré ou du moins c'est ce que lui pensait. Désireux de rattraper le temps perdu, il se plait à jouer avec les femmes et à jouir de leur compagnie. Pourtant il n’était pas complétement à l’aise, surement était-il encore trop sobre pour pouvoir réellement se lâcher. C’est pourquoi, et aussi dans le but de répondre à sa question par l’affirmative que Jin dit à Sumire :

« Et si tu nous servais du saké pour bien commencer la soirée ? Je meurs de soif.»

Il ne se préoccupait maintenant plus tellement des autres invités de la soirée. La mission qu'ils venaient d'accomplir devait rester un secret et de toute manière, il n'avait plus envie de parler affaire maintenant. Tout ce qu'il voulait s'était pouvoir pleinement en profiter. Toute la fatigue et la pression causées par cette longue mission étaient maintenant derrière lui. Il ne put s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement tout en posant ses mains au sol derrière lui oubliant subitement la présence des autres à ses cotés. Cette attitude n'était surement pas du gout ni du prestige prétendu de la soirée. En se rendant compte qu'il passait surement pour quelqu'un de moin raffiné qu'il n'aurait du l'être, Jin ne put retenir un petit rire qu'il voulait discret.

Ce que Sumire préférait par-dessus tout dans une soirée, c’était le moment où elle commençait à faire connaissance avec la ou les personnes avec qui elle allait passer une partie de la soirée, ou peut-être même toute la nuit. Elle aimait la surprise qu’il y avait à découvrir la personne d’en face. Ici Sumire ne connaissait personne, ce n’était pas des gens influents d’Uma, mais d’une autre ville, ce qui leur donnait à tous un intérêt plus vif. Sumire ne savait pas à qui elle s’était adressée mais elle se ferait un plaisir de le découvrir. Elle lui avait proposée de lui tenir compagnie et attendait sa réponse. Le changement de teint de son interlocuteur ne lui échappa pas, cependant elle se demande ce qui pouvait bien le provoquer. Dans ces paroles à elle, elle ne voyait rien de surprenant. L’habitude de commencer ses dialogues de la même façon à chaque fois y était sans doute pour beaucoup. Il lui fît un compliment, que Sumire accepta avec joie évidement, et il se présenta avant d’enchaîner en lui demandant de leur servir un verre de Saké.

« Eh bien sachez Jin-San que cela me contrarierai que les Kami vous enlève à moi avant que nous ayons eu le plaisir de faire connaissance ; je vous sers cette coupe immédiatement. »

Sumire usait du ton de la plaisanterie sachant bien que son interlocuteur était très loin de l’agonie provoqué par le manque de boisson. Cependant, elle avait la sensation que la soirée pourrait être amusante et son compagnon de fort agréable compagnie.

Pendant qu’elle attrapait les deux verres et la bouteille de Saké, elle le vit s’appuyer sur ses bras placés derrière lui et laisser échapper un soupir. Certes cela pouvait sembler quelque peu décalé par rapport à certains autres invités, mais la jeune femme elle y vit un signe de bien être non feint. Elle avait l’impression que son invité n’était peut-être pas un grand habitué de ce genre de soirée. Cela ne l’embêtait pas, car cela signifierait au moins qu’elle pourrait s’écarter un peu des conventions souvent ennuyeuses que certains messieurs n’oubliaient pas avant une heure très très avancée. Si Sumire n’était pas une grande délurée, elle aimait quand même s’amuser un peu, de façon contrôlée, elle avait une image à respecter quand même.

Avec des gestes mesurées et volontairement lent, elle fit couler le liquide de la bouteille aux deux tasses tout en disant à son compagnon.

« Mais dîtes moi Monsieur, quelles activités ont pu vous assécher la gorge à ce point ? »

Elle reposa la bouteille entre elle et son compagnon, dans le seul but de s’assurer qu’un autre invité ou l’une de ses collègues ne la lui prendrait pas, et tendit de ses deux mains l’une des coupes au jeune homme.

La jeune femme en profite pour l’observer un peu plus. Sa tenue était simple, pauvre comparé à certains autres hommes présent. Il semblait jeune et en bonne forme ce qui lui permettait de rattraper aisément certains des hommes précédemment cité. Certes un client riche c’est bien, mais un client un peu moins riche mais attirant sera tout aussi bien.

Elle prit sa propre coupe avant de reporter à nouveau son attention sur son compagnon de soirée.

« Je bois à votre santé Messire Jin et à la soirée qui s’annonce. »

Elle but ensuite une petite gorgée de son verre avant de le reposer devant elle, le Saké était fort, et s’il y avait bien une chose qu’elle avait apprise, c’était boire avec modération.