Un nouveau départ

Mon oeil borgne considéra un moment l’épingle posée avec raffinement devant moi. Bien que j’avais espéré la voir réfléchir longuement à se sortir de cette situation et de la voir gênée à l’idée de m’offrir une pièce de vêtement…L’épingle était un présent qui me contentais. Elle était représentative de la jeune femme et je ne doutais pas que nombre de client l’avait déjà admirée dans sa chevelure. Du moins s’ils avaient eut le temps de voir autre chose que les magnifiques yeux de Sumire ainsi que ces magnifiques courbes. S’il m’arrivait quelque chose, le bijou serait un bon indice pour remonter jusqu’à la Geisha.

A qui devais je laisser une piste ? Ma seule idée était qu’il n’arrive rien à la jeune femme et qu’on prenne soin d’elle si la mort devait me faucher silencieusement. Je n’avais confiance en personne dans le clan. Pas même dans les rangs de mes frères d’ombres. Devrais je plutôt dire : Encore moins parmi les Shinobis du clan ? Laisser un indice a Toragi était hors de question. Pourtant, je ne voulais pas que la Geisha soit démunie du moindre soutien financier. Il me fallait une autre femme. Une marchande ou un eunuque qui pourrait se charger de cette mission.

Pourquoi pas une noble endettée ? Ce n’était pas ce qui manquait en général. Une mentor pour Sumire qui pourrait s’élever comme elle le désirait. Oui, c’était un plan de secours que je savais apprécier. Simple a mettre en place et qui ne me laisserait aucun regret si je venais a disparaitre de manière plus définitive. Une éventualité que je savais être possible…N’était ce pas moi qui avait tramé et ourdit des complots pour arriver à la place qui était la mienne ? Sans compter qu’ils devaient être légion ceux qui désirait ma mort sans connaître mon vrai visage ou mon nom.

Je tendis sa main vers l’objet, désireux de laisser mes doigts jouer avec l’accessoire avant de me raviser. Ma main se contracta dans le vide, reculant légèrement avant de reprendre sa position initiale sur mon genou. Une habitude que j’avais du mal à perdre ces derniers temps. Un besoin de toucher que j’arrivais de moins en moins à contrôler, le besoin de sentir un poids dans le creux de ma main, d’éprouver les formes et les contours pour les graver dans ma mémoire. Une habitude qui pourrait me faire repérer un jour. Une habitude pourtant que j’aurais aimé laisser prendre toute sa mesure avec la jeune femme. Bien que mes yeux s’en soient réjouit, ma main brûlait toujours de la connaitre. De l’explorer jusqu’à la graver dans mon corps et mon esprit.

‘‘Cela suffira’’

Après une petite moue du bout des lèvres, je recouvrais la broche de son enveloppe de tissu pour la faire disparaitre dans l’une des poches secrète de mon kimono. Je levais mon œil vers la jeune femme, attendant son gage…Et devais avouer qu’il me laissa pour le moins surpris. Je papillonnais de l’œil, éprouvant pour l’une des rares fois de ma vie une émotion que j’avais pourtant appris à délaisser et à me désintéresser. Je détournais le regard en me demandant ce qui était passé par la tête de la jeune femme qui avait pourtant refusée de devenir la femme du marchand.

Etait ce l’un de ces grands mystères féminin de la vie que nul homme ne parviendrait à comprendre ? J’avouais que je n’y avais jamais vraiment cru…Mais force était de reconnaitre que j’avais été pris de court par cette demande. Je n’avais jamais pensé à faire une demande un jour. Pour moi, il ne s’agissait que d’un contrat entre deux parties…C’était ma manière de voir la vie. Non, il était plus juste de dire que je n’avais jamais pensé à aller jusqu’à ce point. Que ce soit de manière personnelle ou pour l’un de mes nombreux avatars. Si j’avais du le faire, j’aurais pris le temps d’étudier la situation pour créer une ambiance adaptée au caractère de ma cible.

Néanmoins, je n’en n’avais jamais fais et j’ignorais totalement comment m’y prendre.

‘‘Hé bien…’’

Je détournais le regard vers l’extérieur. Essayant d’assujettir mes pensées à cette demande si particulière pour la traiter rapidement. Devais je le faire en tant que Marchant ou en temps que Shinobi ? Ou peut être comme je l’avais toujours fais ? En Shinobi sous un masque de Marchant ? Je croisais les bras, profondément dépassé par la situation que je ne contrôlais plus.

‘‘…Je n’ai jamais demandé quelqu’un en mariage. Je ne sais pas vraiment comment l’ont peut faire.’’

Un peu de sincérité ne faisait pas de mal de temps à autre. Surtout lorsque j’étais pris un peu au dépourvu et que je ne contrôlais pas les expressions de mon visage. Une des raisons pour lesquelles j’aimais à arborer un masque en permanence.

‘‘…Je supposerais que je commencerais par l’ambiance et le cadre. De disparaitre un jour sans laisser de trace, de laisser l’inquiétude prendre une place assez importante. A cet instant j’userais d’un indice pour l’amener dans un endroit très spécifique. Mais avant, je ferrais en sorte qu’elle passe dans des lieux qui m’ont beaucoup marqués. J’y laisserais un journal de ce qui s’y est produit. Je n’y cacherais absolument rien, bonne ou mauvaise chose, je la laisserais découvrir tout ce qu’elle doit absolument voir. Les bonnes comme les mauvaises choses. Celles qui m’ont fait rire ou qui m’ont étreinte de chagrin.’’

Léger rire

‘‘…Cela risque de prendre quelques jours pour remonter toute la piste. Mais c’est une chose qui me tiendra à cœur. Si je me suis trompé, elle n’ira pas jusqu’au bout. A moins qu’elle ne soit trop terrifiée pour le faire ? Dans ces deux cas, je n’aurais pas à avoir de regret et ce sera une bonne chose. Mais si elle venait à persister, je la laisserais arriver jusqu’à cet endroit que moi seul connait.’’

Mon œil se fit plus rêveur alors que je déterminais l’endroit en question.

‘‘C’est l’un des rare endroit où je me sens particulièrement en paix. En sécurité. L’endroit où je peux être moi-même sans crainte d’être jugé ou d’être trouvé. Inutile de dire que si j’y invite cette personne, cela aura un fort impact sur ma vie. Si on peut me trouver dans cet endroit, je ne pourrais plus me sentir serein. Je devrais avoir une parfaite confiance en elle.’’

Je croisais les bras en regardant la lune dans un sourire doux.

‘‘Un monastère abandonné dans les montagnes sur un parterre de nuage. L’herbe y est toujours verte, l’air frais et vivifiant, je ne l’ai jamais connu sous la pluie et l’odeur des fleurs…Enfin je ne vais pas tout dévoiler non plus. Ce que je lui dirais à ce moment là ? ’’

Je restais un moment songeur, essayant d’imaginer cette situation. Je me voyais portant ma panoplie complète de Shinobi, prêt à me faire démasquer une nouvelle fois. Ou non, je l’aurais étalée sur le sol, y ajoutant les déguisements, les lettres, les autres identités que je pouvais porter. Je l’aurais attendu assis, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine.

‘‘Qu’elle est la femme la plus belle, la plus intelligente et la plus courageuse sur laquelle j’ai pu poser les yeux…Enfin l’œil…Que les épreuves qu’elle a passée était nécessaire, m’en excusant car il s’agissait de quelque chose à laquelle je tenais. Ma vie est emplit de danger, d’ennemi tapis dans l’ombre prêt à tout pour me faire du mal. Je ne peux pas épouser n’importe qui. Cela m’est interdit sans quoi je ferrais du mal à ceux qui m’entoure. Je ne peux épouser qu’une femme aussi forte que moi. Un cœur qui ne s’emplit pas de peur à la vue de quelques mots, de quelques actions. Un courage qui ne me ferra pas craindre de me montrer tel que je suis, me dépouillera des artifices dont je peux m’entourer pour me protéger. Qu’elle est la seule femme qui me permettra d’être simplement moi-même. Je lui avouerais que je l’aime. Bien au-delà de tout ce qui peut être lu dans les contes. Bien plus que tout ce que les hommes peuvent inventer. Jusqu’à en inventer de nouveau mot juste pour elle. Chaque jour, je ferrais en sorte de l’aimer d’une nouvelle manière. Qu’elle ne soit jamais triste. Qu’elle ne se sente jamais délaissée. Qu’elle habiterait chacune de mes actions ou de mes pensées. Je serais fou d’elle et m’escrimerais à la faire sourire tous les jours. Même la mort ne serait assez puissante pour me séparer d’elle. J’en reviendrais pour elle si elle me le demandais.’’

Je levais l’œil vers la geisha, emplit d’une détermination à la fois froide et brûlante.

‘‘Bien plus que mourir pour elle, je serais prêt à bien pire. Je serais prêt à vivre pour elle. Abandonner clan, famille, amis ou collègue. Mettre à bas ma réputation et mon honneur pour simplement pouvoir vivre avec elle. Si elle m’accepte tel que je suis…Qu’il soit Kami, Démon, Seigneur ou Homme…Rien ne me barrera la route. ’’

Pourquoi lui avait-elle posée ce gage-là ? Ce serait en soit une question pertinente. Mais l’idéal serait que les mots qui y répondraient aient toutes leur logique. Hors cela n’était pas certain. Sumire avait clairement refusée, lorsqu’elle en avait eu le choix, de devenir la femme du marchand. Cela aurait à ses yeux représentait une responsabilité bien trop éloignée de ses rêves de libertés et de grandeur. Cette première nuit, celle où ils s’étaient rencontrés, il était évident que Sumire ne pensaient pas à un engagement à long terme, c’est pourquoi le rôle de maîtresse lui avait paru bien plus approprié à sa personne et plus en accord avec ses ambitions. Et dorénavant les choses n’avaient pas vraiment changées. Mais un petit peu quand même. Etait-ce leurs jeux, leurs conversations ou leurs mensonges qui rendaient leurs rencontres si attrayantes ? Si elle devait choisir à nouveau, elle referait le même choix. Elle ne pouvait imaginer qu’un époux et une épouse puissent avoir ce genre de relations durant toute leur vie commune. Hors même si le mot relation était sans doute inadaptés à la situation, les choses comme elles étaient maintenant plaisaient à la jeune femme. Des rencontres qui se font attendre, des retrouvailles désirées et des soirées inhabituelles, inattendues et qui ne suivent aucuns schémas et sortent des chemins battus. Le tout enrobé dans des jeux et des mots à double sens. Sumire avait la sensation qu’ils se cherchaient. Pourquoi ? Aucunes idées. Mais elle sentait comme une envie, de le découvrir sans pour autant perdre la part du mystère qu’elle sentait toujours flotter autour de lui. L’envie aussi de se révéler sans ne rien dire. C’était amusant, pas toujours facile et très déroutant, mais surtout très plaisant. Derrières des choses qui pouvaient sembler banale, suintait une vraie profondeur. Des secrets, des souvenirs aux bords des lèvres, prêt à se dire avant de se rétracter pour mieux se cacher derrière des détours.

Sumire pourtant si sage en temps normal s’était lancée dans une aventure dont elle ne connaissait pas l’issue. Leur première rencontre aurait pu avoir l’air d’un rêve, la période qu’il avait passé cacher dans chambre avait été un secret. Mais cette soirée qu’est-ce que c’était au juste ? Peut-être une transition simplement. Un moment entre deux autres, qui les lient et les expliquent. Ce serait bien possible, après tout cette soirée serait celle qui allait lier leur rencontre et leur promesse verbale aux jours où une relation officielle de Danna/Geisha apparaîtrait. Ah…Ce que les choses simples peuvent paraître compliquée si on se penche un peu dessus. Pour le moment tout ce que la jeune femme se disait c’était qu’elle passait une bonne soirée. Passant sur le fait qu’elle s’embarquer dans un jeu aux conséquences inconnues. N’y avait-il pas un gage pour le perdant ? Ne restait plus donc qu’à gagner. Mais pouvait-elle gagner ? Oui peut-être, elle le pensait en tout cas, et elle ferait tout pour cela. Alors pourquoi choisir un tel gage qui relevait plus de l’intuition, de l’envie que de la raison ou de la logique. Réaction féminine peut-être. Au moins cela avait eu l’avantage de surprendre son camarade de jeu et ce ne pouvait qu’être qu’une bonne chose, n’est-ce pas ?

Sumire trouva mignon de le voir hésiter ainsi et réjouissant de prendre ne serait-ce qu’un instant le contrôle de la situation. Elle était dévorée d’impatience et de curiosité. Elle avait hâte de savoir ce qu’il allait lui dire. Aussi se contenta t’elle d’un sourire engageant et d’un regard neutre, ni observateur, ni insistant, juste présent.

Elle s’imagina le chemin que le marchand disait qu’il ferait emprunter à sa dulcinée. Elle imaginait en toute ignorance, un village, un sentier de campagne, peut-être même des gens, et cette fameuse femme avec un carnet dans la main, s’arrêtant sous un arbre où à l’entrée d’une maison pour le lire. Elle imaginait les différentes émotions que cette femme pourrait aborder. Il avait parlé de bonnes et mauvaises choses. De la possibilité qu’elle fasse demi-tour. Que pourrait-il bien y avoir dans ces journaux ? Qu’avait-il à cacher ? *Jinjiro est un marchand pourtant je ne suis pas un marchand, je laisserais la femme qui m’embrassera regarder au-delà du masque.* Ces deux phrases revinrent à l’esprit de Sumire. Fujiwara Jinjiro avait-il quelque chose à cacher ? Après tout que faisait un marchand avec un masque de chat et une blessure à la jambe dans sa chambre, la nuit de leur première rencontre ? Sumire se dit soudain que son gage à elle avait eu l’avantage de le faire parler, alors que celui qu’il lui avait donné n’avait en fin de compte pas grand-chose de personnel. Après tout ce n’était pas comme si il lui avait demandé de lui donner l’objet auquel elle tenait le plus. Non cela avait été seulement un objet qui lui appartenait. Certes elle le reconnaîtrait entre mille, il lui était propre. Mais il n’y avait aucuns risques de se révéler. Alors que dans une demande en mariage, on demande de la sincérité et du courage aussi. Sumire avait la sensation que ce passage du carnet était très important. L’originalité de la chose ne pouvait que signifier un grand attachement à cette pratique de la part du jeune homme. Pourquoi ? Tel était le mystère.

Sumire imaginait le temple dont il parla comme un havre de paix. Elle voyait dans cette description un lieu serein, paisible, tels ceux que les dieux parcourent, loin du monde des hommes.

La déclaration qu’il fit ferait sans aucuns doutes partis des plus belles et plus sincères demandes en mariage qui soit et cela même si Sumire ne pouvait faire de comparaisons. Elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il ne pouvait exister de femmes si parfaite. Si ce n’est peut-être le seul et véritable amour, celui qui peut conduire jusqu’à la mort. Mais une telle chose peut-elle vraiment exister ? Dans le monde de la geisha l’amour véritable n’existe pas. Ce n’est qu’un sentiment transformé en objet pour atteindre ses objectifs. En fin de compte ce gage qui avait surpris le marchand ébranla la jeune femme. Si tout ce qu’il disait était vrai, cela soulevait de nombreuses questions.

Sumire porta son regard sur ses mains jointes sur ses genoux. Elle ne pourrait pas trouver les mots suffisant pour exprimer ce qu’une telle demande devrait mériter. Pourtant elle était habituée à parler, c’était un art qu’on lui avait appris. Ne jamais être à court de réponses. Pourtant là c’était bel et bien le cas. Sans doute que la femme qui aurait un jour peut-être droit à cette demande ne pourrait rien dire d’autre que Oui. Aussi se contenta t’elle d’un :

« C’est parfait. » A défaut de trouver les mots elle lui adressa un sourire éblouissant.

Elle avait comme la sensation qu’elle ne pouvait réattaquer le jeu immédiatement. Sans doute lui fallait-il un moment pour s’imprégner comme il faut de ses paroles. Et nul doute qu’elle ne les oublieraient pas. Elle laissa s’écouler quelques secondes de silences avant de prendre une grande inspiration et de dire :

« Bien les questions maintenant. Deux chacun. On peut répondre par un seul mot comme par une longue phrase ou une devinette, mais il faut répondre. Ensuite comme c’est censé être un indice, il me paraît logique qu’il ne faille pas mentir. Vous êtes d’accord ? »

Ne pas mentir. Aucuns des deux ne pourraient avoir la certitude que l’autre ne mentait pas. Il faudrait prendre pour vrai ce qui allait être dit. Faire confiance…

« Très bien je commence. Première question : Pourquoi le monde qui vous entoure est-il aussi dangereux ? et la seconde : Pensez-vous un jour trouvez la femme à laquelle vous pourrez faire cette déclaration ? »

Ces questions n’étaient peut-être pas les bonnes, peut-être les réponses qu’elle aurait ne l’aiderait pas à trouver le vrai du faux dans les affirmations du jeune homme. Mais comme pour son gage, c’était les questions qu’elle voulait poser, là, maintenant, alors elle l’avait fait. Tant pis pour la sagesse et la réflexion.

Il était assez étonnant de constater que bien qu’elle ait posée ce gage, son exécution l’avait laissée troublée. Pour ne pas dire légèrement rêveuse ? A mesure que j’énonçais ce que je pensais faire, les yeux de la geisha buvaient mes paroles. Etait elle friande des contes et histoires ? Des romances impossibles qui font rêver toutes les jeunes femmes ? A moins qu’elle ne regrettait son choix, désireuse de savoir ce qui l’aurait attendue…ou de ce qui l’attendrait peut être un jour ? Difficile de le dire, même pour moi. Sur l’heure je préférais mettre cela sur le compte de la curiosité naturelle de la demoiselle.

Du moins, jusqu’à ce qu’elle ne repose des questions. Les deux questions qu’elle avait gagnée le droit de poser sur ma vie…Sur l’instant, je me demandais si je n’aurais pas du donner un gage plus conséquent au vu de la demande qu’elle formulait. Elle n’avait rien à voir avec la devinette que j’avais posée mais plus en rapport avec le chef ninja que le marchand. Elle se désintéressait complètement du jeu, semblant même prête a l’abandonner et perdre de bonne grâce si elle pouvait voir au-delà des ombres dans lesquelles je m’étais immergé.

Etait ce une erreur de ma part ? D’ordinaire, j’excellais à orienter les conversations. J’avais certainement sous estimé l’impact qu’avais eu ma réponse sur le cœur de la Geisha…Aurais je du faire une demande moins romancée ? J’eu sans le vouloir un léger sourire en me disant que mon erreur était certainement que je m’étais montré un peu trop…Honnête ? Impliqué ? Finalement, c’était moi qui l’avais attirée à moi et non vers le marchand. J’aurais du parler d’or, de débauche de moyen, d’une grande cérémonie et de met divin. En tout et pour tout, j’avais commis une erreur de débutant que même le dernier des apprentis n’aurait pas faite.

Pour quelle raison ? M’étais je laissé prendre à mon propre jeu ?

Mon cœur prit un rythme plus rapide, une légère panique s’emparant de moi avant de disparaitre aussi rapidement qu’elle était venue. Je n’étais pas en mission et ce qui se passait ici ne concernait que moi. C’était ma porte de sortie et je pouvais être aussi franc que je le désirais. Même si j’allais certainement en profiter pour essayer de la placer parmi les plus hautes instances du clan…Tant que je ne révélais rien sur mon origine, je pouvais paraitre aussi mystérieux et exaltant que je le voulais. Elle était assez intelligente pour comprendre qu’il faudrait garder ces lèvres scellées sur ce sujet.

Un nouveau sourire s’installa sur mes lèvres.

‘‘Quel monde n’est pas dangereux ? Les hommes se déchirent entre eux pour l’honneur ou l’argent…J’essaye simplement de rester parmi les ombres, là où on ne peut me trouver. Je regarde, je m’enrichis et parfois…Je m’en amuse ’’

Je ricanais intérieurement sous le sens sibyllin de mes paroles. Mais quand à la seconde question...Il était plus difficile d’y répondre. Je caressais ma gorge. Pensif.

‘‘Peut être l’ais je déjà rencontrée. Mais peut être lui faudra t’il du temps pour réaliser…De même pour moi.’’

Cela voulait dire beaucoup de chose et pourtant pas tellement que cela. Mais la situation m’allait parfaitement. Je ne voulais pas trop m’avancer, Sumire n’était peut être pas si intéressée que cela et quand à une autre femme…Les autres connaissaient mon statut ou ma réputation. Faisant de moi un tueur ainsi qu’un espion avant d’être un homme. Pour leur défense, c’était la seule chose que je laissais entrevoir. Je doutais qu’il en fût un jour autrement. Les conversations étaient plutôt difficiles quand on cherchait la survie.

‘‘ Pourquoi poser cette question ?’’

Je me mordis l’intérieur de la lèvre. La question avait jaillis sans que je n’y prenne réellement garde. Je m’admonestais intérieurement avant de réfléchir à une autre question. Je relevais mon œil d’or fondu sur elle…

‘‘ Qu’est ce que vous désirez au fond ?’’

Le danger qu’il y avait à parler sans réfléchir, à oublier toutes réflexions et à se laisser aller à ses envies, c’est que l’on risquait de dire des âneries ou de commettre des erreurs. Pourtant il était important dans le métier de la jeune femme de savoir manier les conversations, les diriger, les contrôler. En principe chacun des mots qui sortaient de sa bouche étaient calculés, maîtrisés mais cachés derrière des expressions plus vraies que nature. Mais ce soir la jeune femme se laissait aller à jouer à l’imprévu. Posons une question irréfléchie et attendons de voir quelles réponses inattendues en sortiront. C’était …inhabituel. Elle qui se targuait pourtant d’être la plus censée et la plus sage de ses consœurs.

Curieuse des réponses qui allaient venir, la jeune femme attendait curieuse. Cela étant sans doute ce qui la définissait le mieux dans leurs derniers échanges. La réponse à sa première question prouvait à quel point elle aurait dû réfléchir avant de parler. Car la réponse n’avait rien d’extraordinaire. Elle mettait seulement en relief une certaine vérité, celle que le monde est parfois dangereux et que c’était une nécessité de faire attention. Non dans cette réponse il n’y avait rien qui pouvait aider la geisha dans leurs jeux de devinettes. Sa réponse était parfaitement celle qu’elle aurait reçue de n’importe quel marchand. Ils se doivent lors de leurs voyages de se faire discrets pour éviter les bandits de grands chemins. Quant au fait de parfois s’amuser du danger, c’était commun à beaucoup de monde. Qui ne s’était pas un jour risquait à des agissements risqués pour tester ses limites, ou même juste pour donner du piment à ses habitudes ?

Oui Sumire pouvait se dire, que d’une certaine façon, elle avait gâché sa question. Quant à la réponse à sa seconde question, elle ne lui serait pas d’une grande aide. Bien sûre elle éveillait encore, si cela était toujours possible, sa curiosité. Mais cette réponse était en fait assez proche de la seconde devinette. Y avait-il quelque chose entre eux ? Il était sans doute bien trop tôt pour y songer. Raisonnablement Sumire ne croyait pas aux coups de foudre. Raisonnablement… Comme elle se l’était déjà dit plusieurs fois durant la soirée, il y avait quelques chose, mais quoi ? Quoi qu’il en soit réellement, Sumire ne songeait pas pour le moment à s’engager sérieusement. Du moins pas plus que ce qu’impliquait déjà le fait de devenir la maîtresse d’un homme influent. Oui décidément, Sumire avait bêtement utilisé ses questions. Il était peut-être temps de redevenir sérieuse.

Mais visiblement elle ne semblait pas être la seule à s’être laissé dicter par tout autre chose que le désir de gagner ce jeu. Car lorsqu’elle entendit les questions du marchand, elle ne vit pas en quoi elle pourrait aider à la résolution des affirmations qu’elle avait annoncée plus tôt dans la soirée. Quoique la seconde peut-être, pourrait avoir un rapport avec son ambition mais ça son camarade de jeu le savait sûrement déjà. Ce n’était pas très dur à deviner au vus des échanges qu’ils avaient déjà eu par le passé, toutes soirées confondues. Enfin, cela remettrait peut-être de remettre les deux participants sur un pied d’égalité. A elle maintenant de se reprendre et de répondre correctement et le plus sincèrement possible.

« J’ai posé ces questions parce que c’est celles que je voulais poser. Pour ce qui concerne la femme de la demande en mariage, j’ai posé cette question car vous avez présenté la demande comme un parcours initiatique d’une certaine façon. Durant laquelle l’échec de la dite femme semblait plus que probable. Aussi je me suis demandée si vous pensiez vraiment pouvoir en trouver une qui vous accepterait sans conditions, ou si vous vous reverriez vos conditions à la baisse lorsque viendrait le moment de faire cette demande.»

Sumire fit une pause le temps de reprendre.

« Ce que je veux…Tellement de choses en fait ! Je crois qu’on ne sait jamais vraiment ce que l’on veut au fond. Mais si je dois vous répondre, je dirais que je veux être quelqu’un. Quelqu’un d’influent, jouer avec les grands. »

Voilà, leurs droits à deux questions étaient maintenant épuisés, du moins pour le moment. Quel tournant allait donc encore prendre leur soirée ?

« C’est une soirée plutôt inattendue, vous ne trouvez pas ? »

La question de Sumire était plutôt une constatation et était bien évidement sans rapport avec le jeu. Mais le fait était qu’à l’origine Sumire c’était attendue à une soirée protocolaire et en fait elle ne l’était pas du tout. Mais alors pas du tout, ce qui s’avérer ne pas être pour lui déplaire.

On pose des questions, on se voile dans les réponses et parfois nous en sommes légèrement déçus. L’espace d’un instant, j’étais presque désireux de la voit énoncer une autre parole. Esquisser d’autres gestes. S’illuminer d’un autre intérêt en éveillant sa curiosité…Une qualité chez elle qui me donnait toujours envie de lui offrir des lambeaux de vérité. L’amener toujours plus loin sur une pente glissante. Lui faire renier tout ce en quoi elle croyait pour lui montrer un autre monde. Bien au-delà de ce que les simples mortels peuvent voir. Bien au dessus de tout ce que les seigneurs peuvent concevoir malgré toutes leurs paranoïas.

Une réponse effacée, vide de toute passion et somme toute basique. Il n’y avait rien à tirer de tout cela bien que sa deuxième diatribe était plus intéressante car tout aussi incomplète. Un rêve d’enfant, on s’imagine là où l’herbe était la plus verte et la vie plus douce. L’influence sur les cœurs et les esprits n’était pas un exercice exempt de risque. Cependant sa caractéristique première était une étonnante propension au chantage et à la diplomatie du poignard. Les plus doués se contentaient de manipulation mais ceux là était bien plus rare.

Après tout, il existait toujours des idiots prêts à se sacrifier pour l’honneur. S’accrochant à de vertueux principes de leurs doigts frêles. Se gargarisant soit de leur gloire ou de celle passée d’Ancêtres dont le nom n’est connu que de quelques vieillards. Une leçon que je connaissais parfaitement et je me demandais si la Geisha comprenait parfaitement ce qu’impliquait être une personne d’influence. Peut être même était ce pour cela qu’elle s’attachait à un homme étrange qui n’était pas vraiment marchand, se baladait parfois sous un masque…Peut être était elle plus perspicace que je ne l’avais prévu ? Elle était plus qu’intelligente après tout.

Je levais mes yeux sur la jeune femme, un mince sourire s’installant sur mes lèvres.

‘‘Vous trichez’’

Je ramenais mes bras autour de mes genoux basculant d’avant en arrière. M’amusant de la situation.

‘‘Je ne peux répondre à une question que si je vous donne un autre gage…Si vous avez le courage et l’habileté de me voler un baiser, peut être daignerais je y répondre’’

Je gloussais sans le vouloir, appuyant mon regard sur elle.

‘‘Et vous avez triché plus tôt ! Vous étiez censée donner une réponse honnête et sincère ! Qui n’aimeraient pas devenir un seigneur ? Un haut fonctionnaire ? Vous dite que vous désirez de l’influence, mais vous n’avez pas dit pourquoi ! Votre désir profond ne se résume pas à une maison, donner quelques ordres et avoir un peu d’or. Cela tout le monde peut l’avoir.’’

Ce n’était peut être pas entièrement vrai…Mais jouer avec les mots et les esprits n’était pas mon métier pour rien. Tant que je pouvais la faire parler gratuitement, je n’allais pas m’en priver. J’avais déjà confirmé qu’elle désirait bel et bien s’élever dans les échelons sans pour autant déterminer le nombre d’obstacle qui l’entravait. J’aurais pu reposer une question mais pour le moment, je voulais pousser ma chance et voir sa réaction…

Même si Sumire était bel et bien le genre de personne à s’offusquer d’une accusation de tricherie, elle n’en fit rien cette fois ci. Elle devait bien admettre qu’elle était en « tort », elle aurait dû formuler de façon différente sa remarque. Cependant cette réponse rappela à la jeune femme qu’elle jouait avec un bon joueur et qu’il fallait qu’elle cesse ses petites erreurs tant que la partie ne serait pas terminée. Elle se contenta donc d’esquisser une moue râleuse en attendant que son camarade termine sa remarque. Il proposa un baiser contre la réponse à la question qu’elle avait formulé auparavant. Sumire s’assit sur ses genoux pour faire à face à son vis-à-vis et ses lèvres ornées d’un sourire malicieux elles déclarèrent :

« Soit, j’ai parlé trop vite, cela n’arrivera plus. Cependant cette question était bien inutile et peut se passer de réponses. Ce qui d’un côté s’avère dommage car votre gage était des plus intéressants. »

Sumire ramena ses cheveux détachées derrière ses épaules.

« Il serait bien qu’il soit conservé pour un questionnement plus profond, mais vous êtes seul décideur de la nature du gage. »

Simple proposition. Pas de questions. Car dorénavant les questions étaient interdites à moins que l’on ne veuille subir un gage. Il allait donc falloir faire attention et se montrer réfléchie et ingénieuse. Cette histoire de baisé volé était assez tentante. Sumire aimait les défis et elle savait que ce ne serait pas facile. Mais elle ne chercherait à lui voler un baisé que si il lui autorisait une autre question car elle se fichait bien d’avoir une réponse à celle qu’elle avait énoncée plus tôt.

Quant à la remarque de Neko-chan sur le fait qu’elle avait triché plus tôt, la geisha comptait bien se défendre bec et ongle. Certes il n’avait pas tout à fait tort, cependant, elle avait ses arguments elle aussi !

« Demandez-moi de vous donner la réponses à mes énigmes tant que vous y êtes ! »

Elle se leva pour faire quelques pas. Cela l’aider à réfléchir. S’arrêtant rapidement devant lui, elle reprit :

« Je vous rappelle que nos réponses ne doivent être que des indices indirects puisqu’ils ne doivent pas révéler la validité ou non de l’une de nos affirmations. Cela dit, je peux concevoir que ma réponse était peut-être un peu vague et je veux bien l’étoffer un peu. »

Elle se remit à faire quelques pas tout en disant :

« Il est vrai que tout le monde, ou presque, souhaite améliorer sa condition sociale. Mais nous sommes tous différents, nous n’avons pas les mêmes capacités, la même histoire et par conséquent nos obstacles sont bien différents. Enfin pour conclure, ce que je veux c’est allé au-delà de tout et être le grand vainqueur. »

Sa tirade terminée, la jeune femme fit de nouveau face à son camarade tout en se rasseyant. Elle se demandait si ces nouvelles paroles allaient convenir à l’autre joueur. Sumire avait bien conscience d’avoir formulé
différemment ce qu’elle avait dit précédemment. Mais parce qu’elle était à l’origine des affirmations qu’elle avait posé auparavant, elle savait ce qui dans ce court monologue était important pour résoudre la vraie nature des affirmations sur lesquelles se fondait leur petit jeu. Elle espérait seulement avoir réussi à détourner l’attention de son camarade de ce point précis en attisant peut-être sa curiosité sur d’autres points peu important et plutôt communs.

« Je tiens à préciser qu’au vu des règles du jeu, ma réponse me semble correcte. Si elle ne vous convient pas, il faudra avoir de solides raisons. »

Edit

La soirée ne continua pas bien longtemps car le marchand dût s'en aller. Il resta vague dans ses explications, l'heure tardive y étant sûrement pour quelque chose.
Bien que Sumire apprécia moyennement d'être quitée aussi promptement, elle espéra qu'il reviendrait vite afin qu'ils puissent finir leur petit jeu.
Pourtant en le voyant partir elle ne pût s'empêcher de se demander s'il reviendrait un jour.